Plusieurs fois par semaine quand ce n’est pas chaque jour, le matin je fais une longue promenade dans le parc de Marly, appareil photo en main pour rapporter des clichés d’insectes ou mieux encore si l’occasion se présente.
A ces heures et en semaine, excepté les jardiniers qui taillent une haie ici ou là, il m’arrive de rencontrer des gens promenant leurs chiens et comme il est de tradition dans les campagnes quand on se croise sur un chemin, on se salue. Une femme avec son clebs, remarquant mon appareil pendant sur mon ventre, mon appareil photo bien entendu, m’avait abordé par cette apostrophe sibylline « Vous les avez vues ? Vous avez fait des photos ? ». Devant mon air étonné, elle s’empressa de préciser sa pensée, elle-même avait vu des biches un matin très tôt dans le parc il y a quelques mois. Qu’il y eut des biches dans la vaste zone enclose correspondant aux anciennes chasses présidentielles, contiguë au parc, je le croyais volontiers, qu’il y en eut également dans la forêt proche, certes encore, mais dans le parc même je ne l’aurais pas imaginé et j’avais du mal à croire cette brave dame. Je ne crois que ce que je vois. Nous nous séparâmes courtoisement néanmoins, l’information n’était pas tombée dans l’oreille d’un sourd mais demandait à être vérifiée.
Une semaine plus tard, ou guère plus, alors que j’entrais dans le parc par la porte principale, à une cinquantaine de mètres de la maison du gardien, sous le couvert des arbres bordant une modeste prairie récemment déboisée, deux biches figées comme des statues me fixaient de leurs beaux yeux. Interdit, je ne bougeais plus moi aussi, nous nous observions. Je rageais intérieurement car la météo pluvieuse m’avait déconseillé de prendre mon Canon et j’avais là, à quelques dizaines de mètres en zone dégagée, matière à faire une photo splendide et un post non moins mémorable pour ce blog. Partagé entre la joie de voir ces bêtes et l’agacement de ne pas avoir mon appareil justement ce jour-là, je stationnais laissant l’initiative aux deux belles.
Bien vite elles réalisèrent qu’elles n’avaient rien à craindre de moi, mais prudence est mère de sûreté, elles s’éloignèrent d’un pas gracieux autant que léger sous les ombrages en me jetant une dernière œillade. Depuis ce jour, je ne pense plus qu’à elles, dès que j’entre dans le parc aux biches, je vais et j’erre à leur recherche, comme Héraclès en quête de la biche de Cérynie aux sabots d’airain et aux bois d’or. Appareil en main, j’arpente les allées et les sentiers, m’identifiant à la statuaire du parc de Marly, tel un faune, je cours après mes belles sans grand espoir.
Pourtant, à cœur vertueux tout est possible. Alors que je trottais dans une allée gazonnée rendant mon pas silencieux, l’œil rivé sur les floraisons en quête d’un insecte photogénique, un craquement court et sec attire mon attention vers l’intérieur des fourrés. Une bête d’un fauve clair vient de bouger avant de s’immobiliser, l’instinct du chasseur me pousse à l’imiter, seuls mes yeux s’agitent, scrutant les taillis sous les arbres. Enfin je l’aperçois, je la devine devrais-je dire. Cachée derrière les jeunes troncs et les feuilles vertes, elle m’observe tandis que j’arme et la shoote au jugé et dans la précipitation, de peur de la manquer une fois encore. Puis elle se détourne sans hâte aucune et s’éloigne dans la direction opposée, indifférente de mon sort, me laissant frustré à nouveau, cette fois-ci j’étais très proche, cette fois-ci j’avais mon appareil photo, mais cette fois-ci elle ne m’a jamais laissé voir son visage et ses yeux.
Biche, oh ! Ma biche, tu sais y faire, tes taquineries exacerbent mon désir mais je n’ai pas encore dit mon dernier mot, tu finiras couchée non sur papier glacé mais en fichier JPEG sur mon ordinateur. Un jour ou l’autre.