Rien ne nous en apprend plus sur un auteur que d’examiner le lieu où il travaille. Si quelques scénaristes se vantent de pouvoir écrire n’importe où, la plupart d’entre eux ont besoin de se réfugier dans un lieu dédié. C’est dans ce sanctuaire qu’ils passent de longues heures solitaires à créer leurs histoires, coupés du reste du monde. Je vous propose de découvrir, à travers cette nouvelle rubrique, les bureaux de quelques scénaristes français(e), mais aussi leurs méthodes, leurs routines d’écriture…
Pour cette nouvelle édition, c’est mon confrère Yacine Badday qui nous ouvre la porte de son bureau…
Les fidèles lecteurs de Scénario-Buzz connaissent déjà Yacine Badday, talentueux jeune scénariste et cinéaste qui a co-signé avec Alexandre Hilaire le magnifique documentaire Jean Aurenche écrivain de cinéma, mais aussi le court-métrage Hors Saison. Le tandem prépare actuellement, entre autres choses, un documentaire consacré à Boris Vian et ses liens avec le cinéma…
Depuis combien de temps travaillez-vous comme scénariste ?
Je développe des projets comme scénariste et auteur de documentaires depuis 2007. Au début, je faisais d’autres choses à côté (j’ai notamment écrit du matériel rédactionnel pour des maisons de disques pendant deux/trois ans ainsi que des articles pour des magazines) mais depuis la fin 2009, j’ai la chance de consacrer la plus grande partie de mon temps à cette activité d’auteur.
Travaillez-vous dans un coin de votre habitation ou dans une pièce dédiée ?
Il y a un bureau situé dans ma chambre qui me sert principalement pour la mise au propre des textes, la relecture, l’organisation et un peu (trop) de navigation sur Internet. Pour les deux documentaires que j’ai co-écrits avec Alexandre Hilaire, j’écrivais souvent à domicile, avec le plus de documentation possible à disposition. Pour la fiction en revanche, je préfère sortir de chez moi.
Pouvez-vous décrire cette pièce ?
J’ai placé le bureau dans un coin, près de la fenêtre face à un mur. Le meuble en lui-même n’est pas très pratique, il prend de la place et n’a pas de grands tiroirs mais il appartenait à mon oncle et ça me fait plaisir de m’y asseoir chaque matin.
Avez-vous choisi un espace neutre ou êtes-vous au contraire entouré d’objets et souvenirs ?
Pendant un moment, j’étais content d’être face à un mur blanc, mais toute cette épure a fini par me peser. Alors un week-end, j’ai accroché un peut tout ce que j’avais à portée de main : deux, trois affiche des films, des photos de la Tunisie où j’ai de la famille, des cartes postales, un post-it fluo avec la liste des projets en cours … Il est néanmoins possible que je rechange d’avis et que j’enlève tout la semaine prochaine.
Etes-vous capable de travailler hors de cette « tanière » ?
Ah oui, un peu partout d’ailleurs : dans les cafés, les bibliothèques, au Moulin d’Andé, à la SACD… Il m’est même arrivé de rester vingt minutes sur un quai de métro à prendre des notes, un bloc notes sur mes genoux. De même, quand on écrit un documentaire, on va chercher l’info à la source (dans des centres d’archives etc..) et la consultation de documents amène des idées qui en entraînent d’autres sur les personnages, les idées d’extraits, les intentions du projet … On se retrouve donc à écrire sur les lieux même pour ne rien oublier.
Etes-vous satisfait de votre bureau et/ou l’organisation de vos journées de travail.
Oui et non. J’en suis plutôt satisfait mais quand on est livré à soi-même dans l’organisation de ses journées, on réfléchit toujours à la manière d’être plus efficace.
Qu’aimeriez-vous pouvoir changer?
J’aimerais ne pas dépasser une heure de temps sur Internet par jour et de ce côté-là, chaque jour ou presque est un échec (sourire). Et puis même si je compense en travaillant en soirée j’aimerais aussi arriver à me lever plus tôt. Quand je lis (notamment dans l’excellent Writers on comics scriptwriting) que la plupart des scénaristes interviewés se lèvent à sept heures pour travailler, je me sens minable. Un jour, une amie scénariste m’a dit « si je ne suis pas debout à 8 heures, j’ai l’impression d’être une feignasse ». J’ai baissé la tête en rougissant et j’ai changé de sujet.
Préférez-vous travailler seul ou avec un co-auteur ?
J’ai fait trois films avec le réalisateur Alexandre Hilaire et j’en suis très heureux. Après tout, la fabrication d’un film est une entreprise collective et je trouve ça sain d’intégrer cette donnée dès l’écriture. Cela dit, à la longue, on peut parfois avoir l’impression de se diluer dans la collaboration. Aussi, je pense que c’est bien d’avoir un ou deux projets de côté, qu’on développe seul, histoire de conserver un point d’ancrage créatif.
Etes-vous plutôt Mac ou PC ?
PC, même si je n’y accorde pas plus d’importance que cela.
Utilisez-vous un logiciel d’écriture ? Si oui lequel ?
Word pour les documentaires, FinalDraft, pour la fiction. J’aime beaucoup Final Draft, le seul souci est que si on collabore avec quelqu’un, c’est mieux qu’il ait le logiciel également, sinon on finit par hurler à la mort à cause des soucis de format.
Travaillez-vous à horaires fixes ?
J’essaie. En gros, je suis devant mon ordinateur de 9 heures à midi, puis je pars écrire quelque part dans Paris, durant trois ou quatre heures. Parfois moins. De temps en temps, un peu plus.
Combien de temps de travail en moyenne par jour ?
Six ou sept heures.
Jusqu’à combien de pages utiles pouvez-vous écrire par jour?
C’est dur à dire. Je préfère penser en termes de temps fixe que je consacre chaque jour à un projet donné. Si on parle de fiction et si je veux tenir cette « production » sur la longueur, je pense que le rythme qui me convient le mieux est entre 6 et 10 pages de continuité par jour. Mais ça reste flottant.
Avez-vous besoin de faire des pauses à heure fixe ?
Toutes les heures ou toutes les deux heures, j’aime bien aller sur Internet répondre à quelques mails. Comme j’ai des amis qui ont des emplois de bureau leur laissant visiblement beaucoup de temps libre (je ne citerai aucun nom, on ne sait jamais), ils m’envoient souvent des liens d’articles à lire. Je résiste parfois à la tentation de les lire sur le champ, mais de temps en temps ça me change les idées.
Travaillez-vous dans le silence total ? En musique ?
J’aime bien écouter les radios généralistes, la musique, ou les gens qui parlent au bar. Ca me fait un bruit de fond, même si ça peut parfois me déranger. Au pire, j’éteins la radio (mais en revanche, je laisse les gens parler au bar car je suis quand même poli)
Avez-vous un ou des compagnon(s) d’écriture à quatre pattes ?
Aucun mais c’est un projet à moyen terme.
Vous coupez-vous du reste du monde ou restez-vous connecté à votre entourage (mail, téléphone, Twitter, Facebook…) ?
Je laisse le téléphone allumé la plupart du temps. En revanche, je ne reste pas présent sur Internet.
Avez-vous des rituels d’écriture ?
Pas spécialement. J’essaie d’écrire à la main le plus possible car je considère que ma main a moins de chance de tomber en panne que mon PC ! Puis j’aime l’idée d’écrire où je veux sans avoir à me trimballer un ordinateur sur le dos. En général, j’aime écrire à partir du document imprimé et relié que j’annote et étoffe le plus possible, avant de tout remettre au propre et ainsi de suite … (oui, je sais, c’est coûteux et très peu écolo). Mais ça dépend des projets et il y a des scénarios que je n’ai écrits qu’à l’ordinateur.
Utilisez-vous une méthode particulière (tableau, fiches, cahier…) ?
Pas spécialement. Parfois, même avant tout blocage, j’aime rêvasser sur les à-côtés du projet : ce qui se passe avant, après, la biographie de tel personnage … Là encore, ça donne pas mal de notes manuscrites que je mets au propre et finis par classer sur word.
Comment trouvez-vous l’inspiration ? Musique, photos, films ?
Si la vie ne vaut pas toujours la peine d’être vécue, elle mérite au moins d’être racontée ! Au moins, ainsi les moments ennuyeux servent à quelque chose. On a l’esprit qui vagabonde, on remonte le fil des évènements, on s’attarde sur un détail anodin qui grossit et qui devient une idée de scène ou d’histoire…
Pour le reste, une phrase dans un morceau de rap peut m’enthousiasmer. J’en écoute beaucoup et j’y trouve depuis longtemps beaucoup de choses qui nourrissent ma réflexion. J’ai écouté des morceaux sur les rapports père/fils qui m’ont touché et m’ont rendu sensible à ce thème, par exemple. Et si j’ai notamment insisté pour que ce sujet soit aussi clairement évoqué dans Jean Aurenche, écrivain de cinéma, c’est peut-être indirectement grâce au rap ! D’ailleurs, si mon blog me sert à quelque chose, c’est à formuler clairement les choses qui m’ont marqué dans tel bouquin expo, film, et qui me ramènent à des thèmes qui me touchent. Sinon, j’aime beaucoup les biographies de personnages historiques car on est vraiment dans la construction d’un personnage, dans la contradiction entre le mythe et l’intime et surtout dans la NUANCE, une qualité toujours utile quand on essaie d’écrire. D’ailleurs, ça me fait penser que je n’ai toujours pas terminé la biographie Le Jeune Staline.
Avez-vous besoin de « carburants » (thé, café, tabac, nourriture…) ?
Je bois beaucoup de trop de Coca light et plusieurs médecins m’ont dit de faire attention (je suis sérieux).
A quel moment et dans quel lieu pratiquez-vous le mieux le brainstorming ?
Il n’y a pas spécialement de lieu essentiel tant qu’on a le bon co-auteur en face! Pour l’horaire, je préfère le début d’après-midi, je ne suis pas le plus créatif en matinée. J’aime bien discuter dans des cafés, c’est parfois un peu bruyant mais ça rend les discussions plus vivantes et informelles.
Prenez-vous beaucoup de notes ? Comment les organisez-vous (carnet, notes volantes, logiciel…) ?
Oui, j’écris sur un carnet basique. Tous les projets se mélangent, j’essaie juste de garder une double page par projet.
Etes-vous sujet à la procrastination ?
Bien entendu, surtout quand je passe d’un projet à un autre. Le temps de transition peut être long (un à deux jours au ralenti). Heureusement, je m’améliore.
Avez-vous déjà été frappé par le writer’s block ? Si oui, quelle est votre recette pour en sortir ?
Bien sûr !
Si oui, quelle est votre recette pour en sortir ?
Il y a plein de raisons de bloquer sur un projet et les solutions sont à chaque fois différentes. Ce que j’essaie de me dire (et qui marche le plus souvent) c’est que tout est mieux que rien. A ce moment-là, la qualité n’est plus un enjeu, il s’agit juste de remettre la machine en route et ça peut être libérateur. Parfois, il me suffit de revenir en arrière, de relire et modifier des passages précédents , de reconsulter des archives si c’est pour un documentaire ou de … lire une interview de scénariste ! Même si c’est hors sujet ou que ça ne fait pas avancer le scénario dans l’immédiat, c’est toujours mieux que rien. Et dans le pire des cas, j’écris un billet pour mon blog.
Quand vous prenez des vacances, vous coupez-vous totalement de votre travail ?
J’essaie de ne pas trop écrire mais je vérifie quand même mes mails tous les deux-trois jours.
Qu’aimez-vous faire quand vous ne travaillez pas?
Vraiment rien de très glamour. Je vais au cinéma, je regarde des séries, je lis des comics. Je vous rassure, c’est beaucoup moins ennuyeux à faire qu’à raconter ! Mais ça ferait une bonne idée de rubrique pour Scenario-Buzz (si toutefois d’autres scénaristes ont des loisirs plus intéressants que les miens à raconter).
Avez-vous un ouvrage culte traitant de l’écriture ?
J’ai beaucoup aimé Ecriture de Stephen King car il aborde l’écriture à travers tous les biais (les souvenirs fondateurs de sa sensibilité; les rituels et conseils d’écriture ; l’écriture qui aide à continuer à vivre etc…). Malgré son côté très raide sur la structure en trois actes, la dernière édition de Screenplay de Syd Field donne un nouvel éclairage sur des vieux principes.
Sinon, j’ai énormément appris sur l’écriture en travaillant avec Alexandre Hilaire sur l’oeuvre de Jean Aurenche. En lisant et en retranscrivant des entretiens inédits, en consultant l’ouvrage La Suite A L’Ecran (co-écrit par Alain Riou), en étudiant les scénarios orignaux, la correspondance etc … j’ai vraiment pris conscience que l’écriture est plus affaire d’un nuage de cas particuliers que de règles strictes. Ce qu’Aurenche expliquait sur le rôle des descriptions dans ses scénarios, sur le rôle d’un dialogue dans une image, mais aussi sur les problèmes spécifiques que posait chaque film (sur la difficulté de montrer la solitude d’un personnage toujours en groupe par exemple, dans L’Horloger de Saint-Paul) m’a convaincu que chaque personnage, chaque projet, crée avant tout sa propre logique et, incidemment ses propres défis d’écriture.
Qui est votre scénariste fétiche ?
Il y en a plein mais je vais me contenter de dire que j’ai été énormément marqué par trois biopics écrits par le tandem Scott Alexander& LarryKaraszewski: Ed Wood, Larry Flint et dans une moindre mesure, Man On The Moon. D’ailleurs, de mémoire, le scénario d’Ed Wood est très réussi dans le ton et les descriptions. Ces trois films réussissent à s’approprier la vie d’un personnage (ils jouent avec les faits, tordent la chronologie) et conservent une part de mystère chez leur personnage. Ed Wood est-il un nullard arriviste ou un génie incompris ? Larry Flint est-il un passionné de la liberté d’expression ou un pornographe opportuniste ? Andy Kauffman était-il complètement fou ou simplement imbuvable ? A défaut d’apporter une réponse définitive, ils cultivent ce flou, en jouent même, mais font toujours preuve d’une empathie palpable pour leur protagoniste. J’aime beaucoup et par ailleurs, la dernière réplique d’Ed Wood me serre le cœur à chaque fois. En revanche, ils ont complètement raté Autofocus sur le héros de Papa Schultz, un film qu’ils ont réécrit et co-produit, mais je ne leur en veux pas.
Quelle est votre actu ?
Jean Aurenche écrivain de cinéma est toujours disponible en DVD et plusieurs projections sont encore prévues. Et Le cinéma de Boris Vian devrait être prochainement diffusé sur Ciné Cinéma Classic. Pour le reste, j’écris!
Rendez-vous dans quinze jours pour visiter un nouveau bureau de scénariste…
Copyright©Nathalie Lenoir 2011