Le génial auteur qu’est JH Williams 3 nous a fait l’immense honneur de nous accorder une longue et seconde interview à la veille de la sortie de son Batwoman #1, au sujet duquel il parle avec passion et amour. De sa collaboration en trois arcs avec Amy Reeder à sa relation au personnage de Kate Kane en passant par l’exploitation du folklore Mexicain dans la série, le Californien est revenu sur beaucoup de points qui façonnent ce qui s’annonce déjà comme un des titres les plus merveilleux de cette fin d’année :
Comment avez-vous été amené à travailler sur Batwoman Elegy, ou autrement dit, les épisodes 854 à 860 de Detective comics ?
Ce fut simple, j’étais sensé revenir sur Detective Comics quand Paul Dini travaillait dessus, mais j’avais déjà mes obligations sur le numéro 1 de Seven Soldiers. Donc le temps que je le finisse, c’était déjà trop tard pour que je puisse retourner travailler avec Paul Dini. A ce moment-là, on parlait de travailler sur Batwoman et on me l’a présenté, mais je n’étais pas l’univers d’un nouveau personnage du Batverse m’intriguait, car cela présentait des nouveaux challenges par rapport à un travail sur Batman qui est établi depuis si longtemps. Et avoir la possibilité de travailler avec Greg Rucka était très excitant. Mais le principal problème c’était que le projet n’était pas totalement prêt, ainsi j’ai embarqué sur Batman avec Grant Morrison sur quelques numéros, pendant que Batwoman se préparait pour commencer. Ce qui s’est plutôt bien goupillé, puisque cela m’a permit d’être libre pour pouvoir dessiner l’une de mes histoires favorites du run de Grant.
Vous avez collaboré avec deux des plus éminents scénaristes de l’industrie. Qu’est ce qui différencie le plus selon vous Greg Rucka d’Alan Moore ?
Hmmm… C’est difficile de répondre à cette question. Ils ont tous les deux des qualités que j’admire. Mon expérience avec eux, ma relation de travail avec chacun d’eux, avait plus de similarités que de différences. Le point qui m’a le plus réjouit, c’est que chacun d’eux était prêt pour une véritable collaboration, pour avoir de vraies conversations, et attendait mon avis en retour. Je sais qu’ils accordaient de l’importance à ce que j’avais à leur dire et l’appliquait aux histoires qu’ils voulaient raconter. Je ne pense pas que ce que je leur ai dit les ait poussés à changer ce qu’ils voulaient dire mais plutôt comment le dire. Je travaille mieux quand un rapport avec les autres personnes évoluant dans le projet est noué. Là où pour moi les deux diffèrent le plus, c’est dans la structure, sur comment l’histoire se développe. Mais honnêtement, je ne me suis pas identifié à un style plus qu’à un autre, ce sont deux personnes incroyablement talentueuses.
Vous avez apporté quelques changements au costume de Batwoman par rapport à celui qu’elle porte dans la série 52. Ces détails sont très judicieux et font basculer ce personnage du statut d’héroïne juste sexy en véritable justicière de terrain. Etait-ce évident pour vous d’illustrer un personnage moins glamour et peut être moins accrocheur pour le public masculin qu’il le fut précédemment ?
Personnellement, je dois dire que oui. J’ai toujours eu à prendre en main des personnages féminins, en tant que co-créateur de Chase, puis sur Promethea et aussi Desolation Jones, où j’ai montré à quel point elles pouvaient être fortes. Cela ne m’intéresse pas de dessiner des furies sexy, plutôt des femmes réalistes. Je les trouve plus attirantes et belles. Cela implique qu’elles soient plus pleinement construites, pas juste des objets de fantasme. Cela vous permet de s’identifier à elles.
Avec Greg Rucka, vous avez contribué (et vous le faites encore de votre côté) à donner de la visibilité à un personnage issue de la communauté LGBT. Que pensez-vous justement du manque de visibilité des personnages gays dans les comics, et de la frilosité de la part des éditeurs mainstream d’aborder ce genre de sujet ?
Avec Alan Moore, on a beaucoup abordé ce sujet dans Promethea, nous avons aussi abordé plusieurs questions à propos des transgenres. Dans Batwoman, on aborde la problématique des transgenres sur quelques points aussi. Mais je pense que ce sujet à propos des personnages gays devient de moins en moins tabou dans l’industrie du divertissement. On voit le sujet de plus en plus abordé et cette tendance devrait se normaliser dans les années. La société dans laquelle nous vivons fait progresser doucement le sujet de l’homosexualité et même si cette avancée n’est que trop lente, elle existe. La preuve en est qu’un éditeur historique et conservateur comme DC en vienne à publier une série à l’héroïne Lesbienne, sans aucun (ou presque) commentaire négatif de la part du lectorat, preuve s’il en était besoin que cette acceptation est en bonne voie.
Les héros gay dans l’histoire des Comics ont déjà de belles années derrière eux, c’est seulement nouveau pour les super-héros. Terry Moore dans Strangers in Paradise par exemple, qui est un de mes Comics préférés de tous les temps, a su faire preuve de longévité sur une série à l’orientation marquée et assumée. Nous vivons dans une époque où même Archie Comics met en scène gay qui a de l’importance dans ses histoires ! Je pense qu’un jour, grâce à nos actions à celles d’autres auteurs qui n’ont pas peur d’aborder ce sujet, la question ne se posera même plus autour de l’orientation sexuelle desBatwoman est extrêmement riche graphiquement, que ce soit en termes de composition ou de styles. Quelles étaient vos principales influences pour le titre ?
Je ne peux pas pointer exactement toutes les influences que j’ai eu sur Batwoman, à part pour deux choses. L’une est plutôt qu’une influence, un effet psychologique et subliminal. L’autre est tirée directement d’un comics clé de l’histoire de Batman. Le premier dont je parle, c’est à quoi ressemblent les dessins quand Kate Kane essaye de vivre sa vie normale, les moments au milieu de ses dangereuses aventures nocturnes. Quand elle est Kate Kane, quand nous l’approchons sans avoir aucune ambiguïté sur qui elle est comme personne, elle a eu de profondes questions et des déchirements émotionnels en sachant qu’elle soit lesbienne, et puis elle s’est acceptée pleinement. Donc je trouvais important sur un niveau psychologique d’enlever toutes les ombres sombres du dessin de ces pages, créant un effet subliminal sur le lecteur comme quoi elle sait parfaitement qui elle est, elle ne se pose pas de questions à ce propos. Ces dessins ont une clarté ouverte qui symbolise cela vraiment efficacement et fonctionnent comme une contre balance à ses scènes en Batwoman. Ce sont ces scènes où elle continue de chercher sa voie qui sont donc plus sombres, plus empreintes de sentiments forts.
Et concernant les looks d’Alice et de Kate Kane, qu’elles ont été vos sources d’inspiration ?
Le second style a été utilisé pour raconter ses origines civiles, son enfance et sa recherche de soi. Quand j’en parlais avec Greg (Rucka), nous ne pouvions nous empêcher de considérer cet aspect comme son Year One, même si cela couvre essentiellement son enfance. Le fait d’en avoir parlé m’a donc immédiatement fait penser à Batman Year One, l’histoire du Caped Crusader la plus influente à mes yeux, et l’une des plus vénérées de tous les temps.
J’ai donc consciemment essayé de reproduire l’art de Frank Miller sous la forme d’un hommage pour mieux raconter cette partie de l’histoire et essayer de donner une influence de qualité aux lecteurs nostalgiques de l’époque de Batman Year One. Cette pratique a dès lors très bien fonctionné auprès des lecteurs, qui de manière subliminale ont tout de suite abordé ces pages comme l’origine de Batwoman (en tant qu’héroïne) et ont permis de rendre hommage à un chef d’œuvre sans jamais le copier.
Quand vous lisez Batman Year One, vous ne pouvez vous empêcher de ressentir cet esprit de nostalgie, comme un instinct primaire. Utiliser les mêmes procédés graphiques avec notre histoire permet donc de déclencher le même genre d’instincts chez les lecteurs, qui ressentent là aussi une nostalgie toute particulière face à ces scènes que l’on voulait fortes. En connectant notre travail à l’une des histoires les plus acclamées de tous les temps de manière métaphysique. Et je pense que cela marche très bien à ce niveau. Et pour les lecteurs qui n’ont pas lu Batman : Year One auparavant, ils verront cela comme une belle approche stylistique appelant les anciens temps du passé.Alice avait réellement besoin que le livre soit fait pour elle, et je voulais faire en sorte qu’elle semble sortie de cette réalité, cela lui donne une qualité éthérée comme jamais. Ce qui est parfait puisqu’elle est aussi le leader d’une religion, un culte. Un fantasme
Nous attendons tous la série régulière de Batwoman avec beaucoup d’impatience, comment se passe votre collaboration avec Amy Reeder et ou en êtes vous exactement ?Très bien et très loin.Je vais commencer les dessins du numéro 5 ce mois-ci, et Amy a fini le 6. Au-delà du numéro 0 qui est sorti il y a un moment, où Amy et moi partagions l’espace, je dessine tout le premier arc (les cinq premiers numéros), puis Amy l’arc suivant (jusqu’au numéro 11) et puis je dessine le troisième arc (qui fait cinq numéros). Les scripts sont finis jusqu’au dixième numéro. Donc chaque séparation sur les dessins se fait après chaque arc, mais l’histoire se perpétue au travers des différents arcs, mais chacun des 3 arcs que nous écrivons s’imbrique avec le suivant et ainsi de suite. C’est une situation particulière puisque nous voulions sincèrement écrire une histoire élargie sur 3 arcs, où chacun d’entre eux s’attarde sur une histoire précise. C’est très important de construire un personnage avec un héritage aujourd’hui…
Avez-vous peur que le « faux départ » d’Avril dernier affecte les ventes de la série en Septembre, avec des lecteurs lassés d’avoir attendu trop longtemps ?
Pas du tout. C’était une inquiétude au départ mais les fans nous ont rassurés très tôt en montrant un réel intérêt pour le titre. Il faut prendre en considération que de bonnes histoires prennent longtemps à réaliser et que l’on doit parfois consentir à attendre un peu plus…
Je pense que beaucoup de fans sont bien conscients de cette réalité et son prêt à prendre leur mal en patience en attendant de découvrir la série dans un mois maintenant, en nous accordant leur confiance sur l’approche qualitative du titre.
Avec Alejandro Jodorowsky par exemple, les fans sont prêts à attendre plusieurs années entre chaque numéro, parce qu’ils savent que son travail sera incroyable et qu’ils pourront s’en délecter à sa sortie…Pouvez-nous nous en dire plus sur Bette Kane, la cousine de Kate ?
Bien sûr, mais je ne veux pas trop en dire. Sachez juste que sa relation avec Kate va s’intensifier et que la vie de Bette s’apprête à devenir digne des montagnes russes !
Et concernant ce premier arc, « the weeping woman », comment en êtes-vous venus à vous intéresser au folklore mexicain ? Grant Morrison s’est-il impliqué dans l’histoire, après avoir amené Batman au Mexique dans Batman INC. ?
Je ne voulais vraiment pas que Grant soit impliqué dans ce que j’écris, même si c’est son idée, et nous n’aurions pas eu le contrôle sur ce que nous voulions raconter. J’aime Grant et son talent, mais je suis intéressé par développer mes propres idées, pas les siennes. Le folklore mexicain m’intéresse beaucoup. Et les légendes urbaines sont quelque chose que mon partenaire d’écriture, Haden Blackman, aime beaucoup. Il a beaucoup de connaissances à ce propos, ça a nourri les histoires que nous avons racontés, et nous avons tout les deux un amour pour les monstres et les sujets ésotériques. Donc nous en sommes venus à faire de la Weeping Woman la première d’un panthéon de vilains pour Batwoman, car nous avons sentis que c’était important de lui faire une galerie d’ennemis à affronter pour qu’elle développe un héritage. Nous avons l’intention d’introduire plusieurs vilains lors de cette première année.
Après Alice, le second adversaire de Batwoman est également une femme, êtes-vous en train de constituer un bestiaire d’ennemis comparable à ceux de Batman avec lesquels Batwoman sera régulièrement confrontée ?Oui, c’est important. Pour l’instant, cela ne nous intéresse pas qu’elle affronte des ennemis de Batman, car elle perdrait de sa force en tant que personnage et qu’elle perdrait sa propre histoire. Heureusement, nous avons fait en sorte que ces vilains soient construits de façon à ce qu’ils puissent revenir.
Allez-vous travailler sur un autre série que Batwoman dans un futur plus ou moins proche ?
J’ai peur que non, je ne vais pas faire de couverture non plus, je reste concentré sur Batwoman jusqu’à ce que je sente en avoir fini, ou que DC en ait fini avec moi. J’ai des plans pour développer mes propres personnages qui attendent leur moment. Les seules choses que je fais en dehors pour le moment, c’est une contribution à un dessin sur Star Wars Art : Comic Book, qui sortira à la fin de l’année et où j’ai créé un personnage, ce qui m’a bien amusé. J’ai aussi fait deux pages bien denses pour le CBLDF Liberty Comics, qui à l’air vraiment cool. Et j’ai écrit une histoire de 2à pages sur l’Epouvantail, dont je ne connais pas la date de sortie, et qui sera dessinée par le talentueux Alex Sheikman (Robotika).
Vous qui la côtoyez jour après jour, qu’est ce qui vous plait le plus chez ce personnage ?Batwoman /Kate Kane est coriace, sympathique, unique, facile à appréhender. C’est facile de tomber amoureux d’elle ;-) Mais ce que j’aime aussi chez elle c’est qu’elle a défauts, elle est loin d’être parfaite, ce qui la rend très intéressante à écrire…
Merci 1000 fois de la part de toute la rédaction à l’artiste dont la disponibilité, la gentillesse et l’intelligence n’ont d’égal que son talent ! Une vraie rencontre coup de cœur comme il devrait y en avoir d’avantage au sein de cette industrie !