Jean-Claude Prinz

Publié le 09 août 2011 par Jeanne Walton

Jean-Claude Prinz, fondateur de l’agence PRINZDESIGN, est architecte d’intérieur spécialisé dans l’architecture commerciale et connu pour avoir créé des concepts de magasins, de restaurants et de compagnies d’assurances. Monoprix, Habitat, Krys, Vibel, Bon Marché ou Jardiland sont autant d’enseignes ayant fait appel à ses services. Auteur du livre « Concept-store » il sort très prochainement « Matières et matériaux dans l’architecture, le design et la mode ».

Parlez-nous de votre parcours. Comment êtes-vous arrivé à ce métier et à vous développer aussi considérablement ?

Mes parents étaient commerçants. Ne souhaitant pas reprendre leur magasin, j’ai opté pour un métier artistique sans trop savoir où j’allais véritablement. Passionné par le dessin j’ai alors découvert l’architecture intérieure qui m’a finalement ramené inconsciemment vers l’univers des magasins. Je me suis très rapidement spécialisé dans l’architecture commerciale. Après des études à l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Appliqués et des Métiers d’Art à Paris, j’ai travaillé dans des agences de design pluridisciplinaires. D’abord au sein du Groupe ENFI Design, l’une des premières grandes agences de design globale, où très rapidement j’ai eu la responsabilité de développer l’architecture commerciale, puis au sein de l’agence TECHNES comme directeur associé, et à l’agence EURO RSCG Design comme directeur de création. Aujourd’hui, je suis à la tête de ma propre agence, PRINZDESIGN, spécialisée dans l’architecture commerciale et je suis partenaire de l’agence de design AKDV également spécialisée dans les concepts de magasins.

Je crois que ce sont véritablement des rencontres qui ont permis à ma carrière de prendre cette ampleur, notamment celles avec Philippe Houzé ou Alain Boutigny. Le goût de l’échange et de la communication est quelques choses de très important et je le dis souvent à mes élèves.

J’enseigne à l’Académie CHARPENTIER, une des grandes écoles d’architecture intérieure. Je fais des interventions régulièrement dans les grandes écoles de commerce mais aussi dans des entreprises. Mes conférences décryptent les nouvelles tendances de l’architecture commerciale à travers un panorama mondial. Je développe de nombreux projets comme celui réalisé avec l’agence AKDV, «l’Archigraphik » une nouvelle tendance qui lie graphisme et architecture.

C’est donc une véritable passion du commerce qui me tient, liée à une soif de curiosité. J’aime les grandes métropoles: New York, Milan, Tokyo, Paris, avec leurs rues commerçantes, leurs magasins, leurs centres commerciaux. Parallèlement à cela, j’entretiens des rapports étroits avec l’art: je dessine, peins et expose des peintures qui sont un prolongement de mon travail d’architecte de commerce.

Quelle est votre vision du métier d’architecte de commerce ?

Selon moi, pour faire ce métier il faut être curieux, et avoir une attirance pour l’univers des magasins, du commerce et de la consommation. Il faut être à l’écoute des tendances, des styles, des évolutions, aimer créer, s’exprimer et communiquer. Ce métier demande aussi beaucoup de partage, être à l’écoute de l’autre et des autres. Il est également important d’apporter de vraies nouvelles idées, des visions prospectives. Porter de l’intérêt aux matières et aux matériaux, aux éclairages, aux circuits. Aimer les produits et leur mise en valeur, aimer l’acte d’achat, aimer franchir le pas d’une porte d’un magasin, ressentir son atmosphère, sa vie, ses odeurs, sa musique, ses couleurs, son organisation, son merchandising, sa signalisation. C’est un métier complexe et passionnant. Par ailleurs, le commerce est pour moi un vrai besoin vital. Il est nécessaire et utile et il continue une vieille tradition qui existe depuis de nombreuses années depuis les marchés, véritables lieux de vie et de convivialité, indispensables à la rencontre et au marchandage.

Qu’est-ce qui lie votre métier avec celui du design graphique ou musical, deux secteurs qui participent également à l’architecture d’une marque ?

Par ma formation artistique, je sais davantage travailler les matières et les matériaux que le son. L’architecture intérieure est bien particulière, elle lie architecture, marketing, et commerce. Les marques ont besoin de spécialistes dans chaque domaine même si les travaux autour du son, du graphisme et de l’architecture sont liés. Le graphisme est un élément complémentaire et indissociable à l’architecture commerciale. Car dans tout commerce il y a une enseigne, un logo ou une typo qui va s’appliquer sur les façades, mais également sur différents supports de communication comme les sacs, les en-têtes de lettres, les cartes de visites, mais également dans la signalétique, la signalisation, les vêtements de travail etc. Le design graphique est un élément fort de communication identitaire pour les marques, visuel, comme le travail sur l’architecture.
Le design musical, au même titre que le design graphique accompagne la marque dans son positionnement mais crée un autre type d’émotions en empruntant un autre canal et en suscitant un autre sens: l’ouïe. Pour ce qui est de la sonorisation d’espaces, l’objectif est autant d’obtenir un bien être en magasin que d’insuffler plus de sens et de renforcer les valeurs identitaires dans l’espace. Ces trois différents métiers participent ensemble à l’architecture de marque et à son commerce. C’est pourquoi ils doivent dialoguer ensemble.

Le design musical a le vent en poupe, notamment la sonorisation d’espace. Quel est votre avis sur l’habillage sonore des magasins ? Il y a-t-il des réalisations qui vous plaisent, lesquelles et pourquoi ?

J’aime quand le design sonore s’harmonise avec l’architecture d’un point de vente, c’est important selon moi. il faut l’entendre sans nécessairement l’écouter. Le design musical doit être réfléchi et intelligent pour marquer un lieu dans le bon sens du terme: une force évocatrice. Il doit permettre d’évoquer des images, des valeurs sans se faire remarquer. Tout comme une musique de film peut évoquer des images qui restent gravées dans nos mémoires, le génie du design musical est de véhiculer subtilement des émotions et accompagner avec justesse le visuel. La musique a un pouvoir immense. Elle entre directement dans notre inconscient et agit sur nos émotions avec une grande finesse.

La notion de « design » musical, sous-entend un savoir faire, qui tout comme le design d’espace ou graphique est l’adéquation entre un DESSEIN et un DESSIN. Il ne s’agit donc plus de faire des choix subjectifs, mais de travailler en ayant bien à l’esprit les répercutions que cela aura sur les consommateurs dans le respect d’une stratégie et d’un positionnement commercial. Il faut aussi bien être expert dans le dessein que dans le dessin au service de la marque et de son univers.

L’architecture commerciale n’est pas une œuvre d’art, ni le résultat de gestes gratuits, mais c’est une réponse précise où chaque élément est étudié pour répondre à un positionnement commercial et obtenir un résultat économique. Le design musical se situe dans cette même démarche avec les mêmes objectifs. L’habillage sonore des lieux de vente nécessite une sérieuse réflexion en amont et du talent pour la réalisation. Si je ne suis pas en mesure de vous donner des exemples d’habillages d’espace qui m’ont touché, c’est que je ne les ai pas remarqué particulièrement. Cela veut dire qu’ils se sont bien intégrés à l’univers de la marque et qu’ils ne se sont pas imposés. Je crois que c’est ainsi que cela devrait toujours se passer.

Quelle est selon vous pour les magasins une bonne manière d’aborder la question de la musique ?

Il me semble indispensable d’intégrer les recherches sur le design musical en même temps que la démarche créative graphique et architecturale d’un concept commercial. La conception ou la rénovation d’un point de vente s’établit en plusieurs étapes.
La première étape est la recherche du positionnement de l’enseigne. La seconde est la création du concept avec l’expression graphique et architecturale, où sont présentés plusieurs axes de création. La troisième étape permet d’effectuer un choix de ces axes. La quatrième étape est la réalisation d’un prototype, d’une partie ou de la totalité du projet permettant de voir le magasin en grandeur réelle. On analysera les répercutions positives et négatives du concept. La cinquième étape est la réalisation d’un site pilote et de la réalisation des travaux jusqu’à l’ouverture du point de vente. Enfin au bout de quelques mois de mise en service du magasin, la sixième étape permet de développer le concept à travers un réseau de points de vente et d’industrialiser le concept.

Dans cette démarche assez traditionnelle, le design musical peut et devrait s’intégrer dès la première étape du concept, et proposer des « idées musicales » dès les premières présentations graphiques et architecturales du concept du point de vente. Ainsi, la cohérence entre l’architecture et le design musical du lieu serait réussie, ayant établi un profond dialogue garant de la maturité d’un projet.

Selon vous, quelles sont les qualités requises pour réaliser un travail efficace de la musique sur les points de vente ?

C’est la synergie entre le créateur de design musical et l’agence de design qui fera la qualité du projet. Car le positionnement et la stratégie seront travaillés conjointement, et les spécialistes dans chacun de leurs métiers travailleront dans un même esprit.
Mais c’est surtout au maître d’ouvrage, le client, de prendre conscience de l’intérêt de regrouper tous les spécialistes de la création dès le début d’un projet, de savoir les réunir pour trouver cette cohérence nécessaire et indispensable pour l’unité du projet.
On pourrait comparer cette démarche à celle d’un orchestre, où chaque musicien connaît parfaitement son instrument, mais pour qu’il y ait une harmonie entre chaque spécialiste, il est nécessaire d’avoir un chef d’orchestre qui coordonne et donne le ton et l’harmonie pour créer un ensemble cohérent et harmonieux.

Architecture commerciale et design musical, quels sont selon vous leurs points communs ?

L’émotion, la sensibilité, l’ambiance, l’atmosphère, l’harmonie, la cohérence, le style, le bien être, sont des termes qui conviennent aussi bien pour décrire l’architecture commerciale comme le design musical.

Quel impact a sur vous la musique ? Que recevez-vous de la musique ? Quels sont vos goûts ?

Je travaille toujours avec de la musique et suis très sensible à la musique baroque, de Jordi Savall à l’Arpeggiata de Christina Pluhar, qui mélangent des airs populaires d’origines espagnoles, portugaises ou italiennes et qui ont été repris par tous les grands musiciens comme Bach, Scarlatti , Corelli, Vivaldi, Diego Ortiz, Couperin, ou Marin Marais. Les larmes d’une viole de gambe de Marin Marais ou Monsieur de Saint Colombe me touchent aussi beaucoup comme tout Mozart, des symphonies aux sonates, en passant par les messes, les concertos et les opéras. Je suis un inconditionnel de la Flûte enchantée. Je suis allé plusieurs fois entendre cet opéra dans des versions très différentes, dont celle interprétée par le groupe d’Afrique du Sud, Isango Portobello/Young Vic, version magnifique d’émotion et de sensibilité qu’il faut absolument découvrir. J’aime également la chanson française avec Brassens, Brel, et les Têtes Raides, les grands classiques de la musique américaine : Bob Dylan, Léonard Cohen et Ry Cooder qui sont pour moi les meilleurs musiciens.

Je suis capable d’écouter en boucle certains disques jusqu’à ce qu’ils rentrent en moi et dans ma mémoire et me font venir les larmes aux yeux.