Bien entendu c’est kitch de chez kitch. Un collage. Un moyen étrange de réunir dans un même espace l’épouse d’un chef d’Etat, quelques peintres et écrivains qui se sont côtoyés avant chacune des deux guerres, ou leur quasi sosies. Un ensemble de poncifs. Des éclairages nocturnes qui font rêver quand on a assez du soleil californien ou de la neige de Manhattan. Comme une collection de cartes postales épinglées sur un mur et qui clignotent sous les projecteurs. Exactement le jeu de l’envers de ce que j’écrivais il y a deux jours. Une culture partagée entre les deux rives d’une mer, non pas telle qu’elle s’est hybridée pour le meilleur, mais telle qu’entraperçue au travers des catalogues d’opérateurs touristiques ou de magazines de luxe et qui est bien faite pour faire oublier les crises de conscience et les crises économiques. Une culture où sont mises en avant les femmes qui font aujourd’hui partie du prix des tableaux : les plus belles amazones de Picasso, les prostituées et les danseuses de Toulouse Lautrec, les maîtresses de Braque et les égéries non moins sensuelles qui traversent les romans d’Hemingway par effraction et écoutent dans la fumée des bars les compositions de Cole Porter. Une autre méthode pour remettre en avant les incertitudes du marché de l’art : quand les tableaux de Matisse ne valaient que 500 francs. Et alors ?
Un catalogue de luxe, tout en couleurs avec en plus la voix de Woody Allen qui habite le corps de son acteur et se demande pourquoi il s’est embarqué dans cette étrange aventure.
On pourrait presque dire que Carla Bruni, qui serre en permanence ses bras devant elle pour se protéger du dangereux monde extérieur, est l’actrice la plus naturelle de toute cette distribution qui cherche à égaler le talent de ceux qui ont suivi les metteurs en scène qui reconstituaient Paris en studio, entre les deux guerres, une époque où Jean Cocteau dessinait ses décors et où Marcel Lherbier travaillant avec Mallet-Stevens.
Et pourtant. Et pourtant, il y a quarante ans, je collectionnai bien les reproductions de Manet, Monet ou Marquet et je recherchai dans Paris, avec passion, les traces de ces tableaux-là ou bien encore je faisai la chasse aux fresques de Delacroix en m’arrêtant systématiquement Place Furstemberg devant la maison du peintre. Alors ? Alors ce n’est pas que j’ai vieilli, mais que je ne trouve là que du mépris, de la facilité, sous une apparente légèreté. Personne cette fois ne sort vraiment de l’écran. La Rose pourpre n’est pas au Caire, mais dans une mélasse collante.
Dans le genre, le « Gainsbourg » de Joann Sfar qui fait rajeunir des stars qui ont vieilli avec charme, est étincelant d’intelligence. Tout comme le Angel-A de Luc Besson avec lequel on s’envole sur les quais de Paris.
Finalement j’aime sans doute trop mon Paris à moi. Les rues que j’ai senti se transformer, les milliers de kilomètres à pieds, tous les amis qui sont venus croiser des chemins multiples et la rencontre avec Fritz Lang, un jour, au cinéma le « Dragon » alors qu’il sortait du « Mépris » de Godard pour inaugurer la version restaurée des « Espions ».
C’est l’époque où seuls les Princes de Monaco épousaient les actrices de cinéma et où les chefs d’Etats allaient à la messe le dimanche en compagnie de leur épouse et déclaraient en apprenant la mort de JFK, faisant allusion à la belle Jackie Kennedy : « Elle finira sur le yacht d’un vendeur d’armes ». Amen !
Où finira Carla Bruni quand elle sortira du film où Woody Allen l’a piégée dans la mélasse ?
Au fait j’aime beaucoup la musique de Cole Porter.