CRI D’ALARME
Je lui avais fait la cour
Suffisamment
Pour posséder son amour.
Et j’imaginais naïvement
Que c’était la première fois
Qu’elle avait abusé
Le gros bourgeois
Qu’elle avait épousé.
Or voici ce qui s’est réalisé
La semaine passée.
Elle voulut diner chez moi.
Mais n’être servie que par moi,
Sans aucun valet,
Sans gênant témoin
Car elle voulait se saouler.
Sans jamais aller trop loin,
Elle s’était déjà offert
Quelques petits verres.
Elle avait obtenu un début de gaité.
Mais s’était à temps arrêtée.
Une femme ne doit se griser
Qu’avec du champagne rosé.
Or, dans mon salon,
Avant les huitres de Belon,
Le vent en poupe,
Elle but à jeun trois coupes.
Pour lui offrir les friandises
Disposées devant nous,
Je dû plier souvent les genoux.
Mais quoiqu’elle dise,
Je l’écoutais et l’observais.
Coup sur coup, elle buvait.
Commencèrent les confidences
Sur son adolescence.
Le regard un peu voilé,
La langue déliée
Ses idées se dévidaient
Interminablement.
Elle me demandait
Avec papelardise
De temps en temps :
-« Suis-je grise ? »
-« Non, tu n’as pas l’air. »
Elle buvait un autre verre.
Après sa vie de jeune fille,
Succéda celle de sa famille
Elle me répéta cent fois :
«Je peux te dire tout, à toi…»
Je sus donc les manies, goûts,
Défauts et secrets de son époux.
« Ah, il m’a rasée, celui-ci !
Mais quand je t’ai vu, je me suis dit,
Celui-là, il est plaisant.
Je le prendrai bien comme amant.
C’est alors que tu m’as courtisée.
Ah ! En as-tu pris des soins, insensé !
Mais quand on nous fait la cour,
C’est que nous le voulons, mon nounours !
Et alors, faut pas musarder,
Grand dadais !
Sans quoi, on se décourage, grand dieu !
Faut-il être bête pour ne pas comprendre
Cela, simplement à nos yeux.
Tu ne savais pas t’y prendre
Pourtant, je te disais « oui » !
Ah ! Je t’ai attendu, Louis !
J’étais pressée et même sacrément !
Et toi : des fleurs, des vers, des compliments,
Tu fus très long à te prononcer.
J’ai failli renoncer.
Les hommes, pour moitié
Sont comme toi
Tandis que l’autre moitié
Va vite, trop vite, quoi !…
Ces derniers ont souvent raison
Car bien des fois ça rapporte.
Mais Il y a aussi des occasions
Ratées où se ferment les portes. »
Quelques jours plus tard,
Je pensais aux aveux de ma maîtresse.
A l’issue d’une soirée, je me trouvai par hasard
Seul avec Marie Varèce.
Habitant le même quartier qu’elle,
Je lui proposai de la reconduire à son hôtel.
Dès que nous fûmes dans mon phaéton
Je me dis : « Tentons !
Je vais expérimenter. »
Mais je ne savais comment attaquer.
-« Comme vous étiez jolie, ce soir.»
-« C’était donc une exception, ce soir !
-« Non, mais je n’osai
Jamais vous en parler…»
-«C’est malaisé ?
Est-ce si difficile, allez,
De dire à une femme qu’elle est jolie ?
Seriez-vous un lâche impoli ?
On doit toujours le dire
Même si on ne le pense pas…
Parce que ça
Fait toujours plaisir. »
Je me sentis animé tout à coup
D’une audace insensée.
La saisissant par le cou
Je cherchai à lui donner un baiser
Mais je dus fort mal combiner
Mon mouvement, car elle a tourné
La tête pour éviter mon contact
En disant « Oh ! Vous manquez de tact.
C’est trop !
Vous allez trop vite !
Prenez garde à mon chapeau.»
J’avais vite
Repris ma place, désolé.
Devant sa porte s’arrêta le cabriolet.
Elle descendit,
Me tendit
Ses doigts
Et de sa gracieuse voix :
«Merci de m’avoir ramenée, cher monsieur.»
Et je m’en allais, honteux