Serge Hefez
Leur rencontre fut un véritable coup de foudre, suivi d’une intense relation passionnelle. Le petit Théo achève de combler leur bonheur. Ils fondent avec lui une famille idéale, l’emmènent partout dans leur cercle d’amis, partagent équitablement les tâches de la vie quotidienne. Et puis ? Et puis, « la vie reprend le dessus ». Les câlins, les petites attentions se font plus rares. Oh ! pas de crises, bien sûr, mais un quotidien qui s’étire avec monotonie, les courses, le petit à aller chercher à l’école… Et l’angoisse que « ça soit cela, la vie : ce petit bonheur tiède et étriqué ». Cécile a une aventure et avoue immédiatement cette infidélité à Thomas, car « il est hors de question de lui cacher quoi que ce soit ». Celui-ci reconnaît, un peu penaud, qu’il s’est « laissé tenter » à une ou deux reprises…
Ils se confient leur désarroi, leur désir intense de vivre d’autres passions, d’autres rêves, d’autres voyages. Et c’est sans la moindre larme,
sans la moindre dispute, mais dans
la certitude de faire au mieux pour le bonheur de chacun qu’ils décident de cette séparation. Ce couple si tranquille m’a profondément troublé.
Leur demande m’est apparue exemplaire d’un mouvement de fond, d’une logique de l’individualisme et de la poursuite éperdue du bonheur qui mène à l’impasse de l’obsession narcissique, de la
gratification immédiate, du désir inquiet et perpétuellement inassouvi. Ce qui me revient comme un leitmotiv dans les thérapies conjugales est cette exigence de liberté, cette injonction à être
soi, ce rêve mythique d’un individu souverain, seul maître de son destin. L’amour a pris une dimension mystique. En transcendant les individus, la véritable passion doit ignorer la contrainte,
la critique ou la transformation. Dans ce contexte, la représentation du contrat conjugal a complètement changé.
En quelques années, nous sommes passés du CDI au CDD : l’idée même de la séparation fait partie du contrat initial comme une figure moderne du destin. Et l’injonction : « Ne restez pas ensemble pour les enfants, ils en souffriront plus tard » a largement été entendue. Jusqu’à quel point?
Serge Hefez est psychiatre et thérapeute de couple.
Dernier ouvrage paru : Dans le cœur des hommes (Hachette littératures, 2007).