Impossible en lisant L'Affaire Jennifer Jones de ne pas penser au cas des enfants-tueurs de Liverpool qui avait ébranlé la Grande-Bretagne en 1993. Impossible de croire qu'Anne Cassidy n'y a pas songé elle-même en se lançant dans cette histoire. Certaines similitudes permettent en tout cas de le penser, ne serait-ce qu'en ce qui concerne la thématique mais aussi la durée d'emprisonnement, la volonté des instances judiciaires de réinsérer au mieux et à brève échéance ces jeunes accusés, ou même encore dans la fébrilité, l'acharnement et les déboires médiatiques suscités par de telles affaires.
La comparaison s'arrête cependant là car Anne Cassidy a su se dédouaner totalement du fait divers, si on peut l'appeler ainsi, pour laisser libre cours à sa propre histoire, où ce qui l'intéresse n'est pas le drame en lui-même mais les circonstances qui l'ont amené à se produire. Qui plus est , elle le fait d'une manière tout à fait habile et subtile – la construction du roman est remarquable -, de sorte que le lecteur se trouve alternativement captivé à la fois par le présent et le passé de Jennifer Jones. Par exemple, longtemps dans l'histoire on ne sait pas quel enfant a été assassiné, ni quelles raisons ont poussé Jennifer à perpétrer cet acte. On ne doute pas que la réponse viendra, bien sûr, mais cela entretient un certain mystère, toujours présent, que l'on garde dans un coin de la tête, et qui contribue même à nous immerger un peu plus dans le parcours de Jennifer Jones. Pa tant pour savoir que pour comprendre.
Sous prétexte que le récit touche au meurtre d'un enfant, on aurait pu redouter qu'Anne Cassidy s'ingénie un peu trop à tirer sur les cordes du violon. Or, sa musique est ailleurs, dans la complexité des protagonistes de cette histoire et des sentiments qui les animent. Elle est même au-delà, dans l'évocation de l'enfance, dans la cruauté dont elle se fait parfois l'écho mais aussi dans les attentes qui lui sont relatives.
Anne Cassidy évoque d'une bien belle manière le sentiment d'abandon de Jennifer, sa sensation d'isolement, son envie d'être considérée, d'exister enfin au yeux des autres. Elle aborde aussi le sexe, la prostitution, la mort, la reconstruction de soi, la repentance, l'acharnement médiatique sans jamais paraître moralisatrice, sans qu'à aucun moment on ait l'impression d'être plongé dans un vaste fourre-tout thématique. Au contraire, tous ces éléments s'intègrent aisément dans le fil du récit.
Malgré l'annonce faite sur la couverture comme quoi ce livre avait reçu le Prix du meilleur livre adolescent en 2004 en Anglettre, j'ai redouté en l'entamant de devoir le refermer assez vite. Je craignais de me trouver face à un récit gnagnan et culcul la pral. J'en suis ressorti admiratif, tout ébaubi. Eh oui, ce genre de chose est bien sûr possible à la lecture d'un ouvrage. Et on aurait tort de penser que la littérature adolescente est exempte de produire un tel effet.
L'Affaire Jennifer jones, Anne Cassidy, traduit de l'anglais par Nathalie Laverroux, Milan jeunesse (Macadam), 320 p.