La très dynamique Catherine Lalonde a devant elle un trio d’écrivaines prêtes à parler de leur naissance : Perrine Leblanc, Anaïs Barbeau-Lavalette, Mélanie Vincelette.
Parler du premier roman fait glisser vers le « avant » roman, le manuscrit. Perrine Leblanc a écrit un manuscrit avant son premier, mais il ne se nommera jamais "roman", de cela elle est certaine. Tandis qu’Anaïs Barbeau-Lavalette a une accointance avec les films et les romans ; quand le roman pointe, le film n’est pas loin ou vice et versa. Elle est habitée par des univers. Pourquoi ce besoin de les écrire au lieu de les montrer ? L’amour du mot. Pour parler en se taisant. Mélanie Vincelette a attendu sa première publication en envoyant des nouvelles dans les revues. Elle faisait le guet de sa boite aux lettres avec une grande anxiété. Quand une de ses nouvelles fut enfin publiée dans « Brèves littéraires », ses 16 ans l’ont vécu dans une joie débordante. Toutes s’entendent pour dire que les premiers écrits sont des tampons, question de se délester de ses influences de lecture, briser le réflexe de mimétisme des auteures qu’on a adulées.
À la question pourquoi publier, Perrine Leblanc répond que le livre objet est déjà une raison en soi, elle qui a choisi la couleur de la couverture et son côté sobre. Quand elle va voir L’homme blanc publié en 2012 dans la collection blanche de Gallimard, elle se prépare à un choc. Mélanie Vincelette a eu un coup de foudre dans une imprimerie. De voir les feuilles se remplir de mots, s’assembler, se relier lui a donné une émotion forte, suffisamment pour qu’à 26 ans, elle fonde la maison d’édition Marchand de feuilles.
Il a aussi été question de la crainte de vampiriser l’entourage. Mélanie Vincelette, une femme exubérante qui aime raconter des anecdotes, nous a parlé de sa crainte vis-à-vis son frère duquel elle s’est inspiré pour le cuisinier sur l'Île de Baffin dans son dernier roman Polynie. Depuis des mois, elle prenait des notes, l’écoutait, le questionnait, mais n’arrivait pas à lui avouer qu’il serait son personnage principal. Au lancement de la programmation de Marchand de feuilles, elle le lui révéla, lui déboulant l'aveu dans un même souffle. Finalement, ce fut une peur futile puisqu’il en fut flatté !
Catherine Lalonde, une animatrice très stimulante, a désiré les entendre sur leur réaction peu après la publication. Mélanie Vincelette, qui publie plusieurs premiers romans par amour pour les voix nouvelles, accole tout de suite le mot « déception ». Toute une vie d’attente se condense en cette heure qui devrait faire « boum » mais qui, plus souvent qu’autrement, n'émet qu'un léger bruissement. La conclusion de chacune est qu’on surévalue l'événement de la première publication et pour le contrer, Perrine Leblanc conseille de rapidement s’atteler à un autre projet, avant même la sortie tangible du premier. Dans le cas de Mélanie Vincelette, elle est naturellement protégée de la déception par son métier d’éditrice, son énergie rapidement dirigée vers l’accouchement des bébés des autres.
Toute cette route pour arriver à un deuxième roman. Une brochette d’auteures vigoureusement en santé puisque Anaïs Barbeau-Lavalette vient de sortir son deuxième roman chez Marchand de feuilles "Embrasser Yasser Arafat". Perrine Leblanc travaille très fort au deuxième et quand Catherine Lalonde a laissé échapper un "il sort bientôt donc !", elle s’est écrié «non ! » dans un grand sursaut.
Ce qui me fait penser à une autre question qui a été posée ; comment se voyaient-elles en écrivaines vieillissantes ? La seule qui fut claire à ce sujet est Perrine Leblanc, elle se souhaite de vivre l’aventure d’une manière moins angoissée, moins vulnérable aux perceptions extérieures.
Photos :
1. Anaïs B.L. (extrême gauche), Mélanie Vincelette (gauche), Catherine Lalonde (droite)
2. Anaïs Barbeau-Lavalette
3. Mélanie Vincelette
4. Perrine Leblanc