ETRENNES
Vincent avait une maîtresse.
Non point une maîtresse
Comme certaines,
Femme à fredaines
Danseuses,
Ou chanteuses.
Vincent était un homme jeune et vif.
Il regardait la vie en esprit positif.
Ce 31 décembre, il faisait
Le bilan de ses passions.
Il réalisait
La balance de ses relations
Les disparues et les nouvelles.
Dans quel état était son cœur pour elles ?
Une sonnerie le fit sursauter.
Au Nouvel An, on ouvre par charité
Même à un inconnu.
Il tourna le verrou,
Tira la porte et perçut
Sa maîtresse debout,
Pâle, tremblant.
Elle entra, s’affaissa sur le divan
Et pleurait.
«Irène, qu’avez-vous ? Je vous supplie…»
Elle murmurait :
-«Je ne peux plus vivre ici.»
Il ne comprenait pas : « Vivre ainsi ? »
-« Oui, je souffre trop.
Il m’a frappé tantôt. »
-« Qui ? …votre mari ?... »
-« Oui…mon mari.»
-« Ah !,,,»
Il s’étonna.
Il n’avait, à aucune seconde,
Soupçonné cet homme du monde
Capable de brutalité,
Car il s’était toujours inquiété
De ses désirs, de sa santé.
Vincent restait épouvanté.
Alors elle raconta un long déballage.
Dès le jour de leur mariage,
La première désunion naissait
Chaque jour, elle se renforçait
Puis étaient venues les querelles,
Et une séparation inconditionnelle.
Le mari s’était montré violent,
Jaloux de Vincent.
Après une scène, il l’avait maltraitée
Irène ajouta avec fermeté :
-«Je ne rentrerai plus chez lui.
Faites de moi ce que vous voudrez. Dites oui. »
-« Vous allez faire une bêtise,
Une irréparable sottise.
Si votre mari veut vous quitter,
Mettez les torts de son côté
De telle sorte que votre position
Dans la société
Reste celle d’une situation
De respectabilité. »
-« Donc, que me conseillez-vous …? »
-« De rentrer chez vous,
De supporter votre existence encore,
Jusqu’à la séparation de corps.»
-« C’est lâche ce que vous me proposez là. »
-« Non, c’est raisonnable, pensez à cela.
Vous avez un nom à sauvegarder,
Des parents à ménager,
Des amis à conserver.
Il ne faut point perdre tout ça. »
-« Eh bien, non. Je ne veux pas.
C’est fini, vous saisissez ! »
Puis, les mains posées
Sur les épaules de son confident,
Et fixement le regardant
« M’aimez-vous, vraiment ? »
-« Mais, oui, absolument.»
-« Alors gardez-moi ! »
-« Vous garder ?...Chez moi ?
Ce serait vous perdre. »
-« Il faut me prendre ou me perdre. »
-« Ma chère Irène, divorcez
Et je jure de vous épouser. »
-«Dans deux ans, à la fin du procès,
Oui, …vous allez …peut-être m’épouser.
Vous avez la tendresse patiente, hein ? »
-«Si vous ne restez pas chez lui
Votre mari vous reprendra demain.
La loi et le droit sont pour lui. »
-«Je ne vous ai pas demandé
De me garder
Chez vous,
Mais de m’emmener n’importe où.
Je croyais que vous m’aimiez mieux.
…Je me suis trompée. Adieu ! »
-« Irène, écoutez… »
Elle se débattait.
-« Laissez-moi…
Voulez-vous me laisser aller ?
Lâchez-moi,
Que je puisse me lever. »
-« Irène, voyons …
Votre folle résolution
Est prise, dites-moi ? »
-« Oui….Lâchez-moi. »
-« Soyez raisonnable,
Restez.
Nous partirons demain pour Naples
Si vous le souhaitez. »
Elle se leva malgré lui et dit durement :
-« Non. Trop tard. Pas de dévouement ! »
-« Restez. J’ai fait ce que je devais.
Ma conscience est en paix.
Je viens de parler en homme sensé
Qui devait vous aviser.
Reste l’homme comblé
Qui à vous aimer se plait,
L’homme romanesque.
Est-ce que
Pour lui, vous ne risquez pas tout ?
Irène, vous me donnez tout de vous :
Cœur, honneur, vie, corps.
Oui, je vous adore. »
Radieuse, Irène l’embrassa
Et lui dit tout bas :
« Chéri, il n’y a rien.
Mon mari ne se doute de rien.
Mais je voulais voir,
Je voulais savoir
Je voulais …des étrennes,
Celles de votre cœur, d’autres étrennes
Que le collier de cet après-midi.
Vous venez de me les donner…Merci !
Dieu que je suis contente ! Merci !