C’est le quatrième suicide depuis le mois de juin dernier : trois forestiers avaient déjà mis fin à leurs jours en Lozère, en Gironde et en Haute-Saône. Et c’est le 24e suicide en sept ans dans cet établissement restructuré à la hussarde, qui a tout simplement oublié le social…
Que se passe-t-il donc à l’ONF qui gère les forêts publiques françaises depuis une cinquantaine d’années et où on vient souvent travailler par passion de la nature?
Même si les syndicats ne se prononcent qu’avec prudence sur une cause professionnelle des suicides, tous dénoncent un profond malaise et expriment leur ras-le-bol face à l’attitude de l’ONF et des tutelles consistant à sacrifier les forêts publiques sur l’autel du libéralisme économique.
En cause, une déferlante de réformes depuis 2001, qui ont profondément transformé le métier de forestier et raboté les effectifs. « On a scindé les activités des forestiers, on les a spécialisés, sectorisés et privés ainsi de vision globale. Parallèlement, on est passé de 15 000 agents en 1986 à 9 500 aujourd’hui, soit un tiers d’effectifs en moins. Et le contrat d’objectifs Etat-ONF 2012-2016, prévoit 613 nouvelles suppressions de postes… Ils souffrent de ne plus pouvoir faire leur travail correctement. Faute de moyens, ils ne peuvent plus assurer la surveillance et le suivi des parcelles de forêts coupées. Lorsqu’ils les voient abîmées, ils ont le sentiment de trahir leur mission» précise Philippe Berger du syndicat Snupfen-Solidaires (Syndicat national unifié des personnels des forêts et de l’espace naturel).
Le résultat aujourd’hui est là malheureusement : chaque forestier doit faire face à une plus grande surface de forêt à gérer, à une surcharge de travail. La direction de l’ONF a en effet tout axé depuis 2001 sur la productivité, au détriment des missions de service public, traitant la forêt comme une grande usine à bois et non plus comme un milieu à préserver et gérer durablement. La quête de rentabilité conduit ainsi à bafouer la culture des forestiers, en les obligeant, par exemple, à des coupes trop fréquentes, sur des arbres trop jeunes et de faible diamètre.
Il s’agit donc d’un profond mal-être qu’on ne peut attribuer qu’au bouleversement engendré par les réformes mais le directeur général de l’ONF défend toujours mordicus les choix durables de l’ONF. «Nous avons défini, en mars, les volumes de bois que nous sommes susceptibles de prélever tout en préservant l’environnement et ils sont inscrits dans le contrat d’objectifs qui a notamment été voté par France Nature Environnement et par les communes forestières. Ce sont des choix durables, mais qui permettent l’équilibre entre les demandes de la société : alimenter une filière bois-énergie et construction, préserver la forêt publique, et accueillir 200 millions de visiteurs par an.»
Les deux ministres de tutelle, Bruno Le Maire (Agriculture) et Nathalie Kosciusko-Morizet (Ecologie), c’est bien le moins, ont réclamé à la direction de l’ONF «une évaluation du climat social», et souhaité que «l’accompagnement personnel des agents soit renforcé» mais les syndicats ont peu apprécié que la ministre de l’Ecologie se borne à incriminer essentiellement «la forme de solitude» dans laquelle ils travaillent.
En fait, il s’agit là d’un choix politique délibéré de l'Etat qui ignore l’intérêt général et qui est très dangereux car que le volume de l’emploi public ne doit pas être la variable d’ajustement permettant d’éponger les déficits publics. Le nombre d’agents publics doit correspondre à ce qui est nécessaire au meilleur accomplissement des missions pour le bien de toute la population.
Tous les responsables de ce désastre seront comptables devant les personnels, les citoyens et les générations futures. Et s’il y a une vérité qui s’impose aujourd’hui, c’est bien celle de la nécessité de mettre en œuvre une toute autre politique, dans l’intérêt des salariés de l’ONF et de la population…
Photo Créative Commons : ONF par troglodyteking (http://www.flickr.com/photos/troglodyteking/5990093434/)
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