SORTIR DE L’EURO ? Débat entre JACQUES NIKONOFF (Porte-parole du Mouvement politique d’éducation populaire (M’PEP) et DENIS DURAND (Membre du Conseil national du Parti communiste français (PCF), publié dans les colonnes de L’Humanité Dimanche, n° 270, du 13 au 20 juillet 2011 -.commenté et arbitré ici par Jean-Paul CRUSE (Le Monde Réel).
JACQUES NIKONOFF. Attention aux amalgames ! Il y a une sortie de gauche de l’euro et une de droite, comme il y avait un « non » de droite et un « non » de gauche lors du référendum de 1992 sur le traité de Maastricht et de 2005 sur le projet de traité constitutionnel européen. La sortie de gauche de l’euro est la suite logique de ces « non » de gauche de 1992 et de 2005 à ces traités qui visaient à sanctuariser les politiques libérales. Certains objectent un "effet désastreux d’une forte dévaluation sur le niveau de vie des travailleurs" en cas de sortie de l’euro. Il ne faut pas se laisser impressionner par la campagne d’affolement de la population menée par la droite, le patronat et le PS en reprenant leurs arguments ! Pourquoi faut-il sortir de l’euro et dévaluer le franc, la drachme, etc. ? Parce que, pour la plupart des pays de la zone euro – sauf l’Allemagne -, l’euro est surévalué. Cet euro « fort » signifie qu’actuellement 1 euro vaut 1,40 à 1,45 dollar alors que le taux d’équilibre est de 1 euro = 1,15 dollar. Cela entraîne une baisse des exportations, l’aggravation du déficit commercial, les délocalisations (automobile, aéronautique…), la pression sur les salaires. Inversement, les prix des marchandises venant des pays hors zone euro sont moins élevés à qualité égale que les mêmes produits fabriqués en zone euro. Les consommateurs préfèrent alors acheter les produits importés, moins chers. Donc, là aussi, encouragement aux délocalisations et au chômage. Si on veut mettre un terme à la surévaluation de l’euro, au chômage et à l’écrasement des salaires, il faut donc sortir de l’euro.
DENIS DURAND. Face à cette question, il y a trois positions. Celle qui est majoritaire, soutenue par les forces les plus proches du pouvoir, est favorable à la poursuite de l’euro tel qu’il est et a été conçu et mis en place depuis maintenant 20 ans. Le choix de la monnaie unique était destiné à instaurer des politiques destinées à satisfaire les marchés financiers. Elles ont eu pour résultats une faible croissance dans la zone euro depuis les années 1990, la montée du chômage et de la précarité, l’aggravation de l’emprise du capital allemand sur l’ensemble de la zone, et actuellement, une crise extrêmement aiguë des finances publiques dans la zone euro. Face à cela, une partie de la gauche socialiste propose de continuer et estime que si l’on a cette crise, c’est parce qu’on n’est pas allé assez loin dans le fédéralisme européen. C’est une fuite en avant pour mieux satisfaire les marchés financiers et qui passe par des politiques d’austérité. Première voie manifestement à rejeter. La deuxième voie, c’est celle de Jacques Nikonoff. La troisième, c’est celle du PCF, que je préconise. C’est considérer qu’il n’y a pas de formule magique pour sortir de la crise, et de la crise de l’euro en particulier. On ne peut surmonter la crise du capitalisme financiarisé dans lequel nous sommes sans lutter pour changer aussi l’Europe. La politique de l’euro cher a effectivement des aspects destructeurs sur l’industrie et l’emploi. Mais renverser cette politique exige une solidarité à l’échelle européenne face aux marchés financiers et face à l’hégémonie américaine. Ce sont les États-Unis qui ont délibérément provoqué une politique de création massive de dollars, pour faire baisser le dollar et répondre aux intérêts du capital américain. Le Japon, la Chine, les pays émergent ont réagi en refusant cette baisse du dollar : la hausse de l’euro a servi de variable d’ajustement. Pour en sortir, il faut changer l’euro et sa place dans le système monétaire international, et pour cela organiser une alliance entre l’Union européenne et les pays émergents afin d’imposer un autre système monétaire international, avec une monnaie commune mondiale qui ne soit pas au service d’une puissance dominante, comme l’est le dollar aujourd’hui. Si la solidarité entre Européens éclate au profit d’un repli sur une politique monétaire nationale, on perd un atout considérable dans cet affrontement avec l’hégémonie monétaire américaine. Il faut donc non seulement refuser l’euro tel qu’il est, mais se battre pour le changer.
JACQUES NIKONOFF. Je suis d’ accord sur le bilan mais j’en tire des conséquences différentes. Il existe des mesures connues et efficaces pour sortir de la crise. Les expliquer à la population permettra de dégager des perspectives de luttes. Pour la gauche et le PCF en particulier, il ya un problème d’articulation entre le court, le moyen et le long terme ; entre le niveau national, européen et international. Il faut mieux articuler tout cela. Agir dans un pays isolé serait-il une illusion ? Il est possible d’agir vite à l’échelle nationale, sans pour autant méconnaître le niveau européen. Il ne faut pas donner l’impression aux électeurs qu’on ne peut rien faire alors qu’ils ont voté pour nous. Ce serait alimenter le pessimisme. Il est évidemment souhaitable de parvenir à un nouveau système monétaire européen et international. Mais comment ? Il faudrait en effet mettre d’accord les 27 pays de l’UE sur une conception de gauche de la politique économique et monétaire. Ce n’est pas pour demain ! Est-il possible d’obtenir un accord politique de gauche sur les questions monétaires avec les gouvernements de droite ou sociaux-écolo-libéraux de Berlusconi, Merkel, Cameron et les faux socialistes méditerranéens ? La transformation de l’Union européenne, on peut continuer à y rêver et à lutter pour elle. Mais, encore une fois, pour changer le traité de Lisbonne, il faut l’unanimité des 27. Il ne peut pas y avoir de consensus droite-gauche au niveau européen. Cela voudrait dire qu’à l’échelle nationale on est prêts à gouverner avec la droite. Il faut articuler la perspective de transformer le traité de Lisbonne mais dans le long terme - avec des politiques unilatérales de court terme sur le plan national, comme la sortie de l’euro. La surévaluation de l’euro est structurelle, elle est inhérente à l’euro lui-même. L’euro est surévalué par construction, notamment parce qu’il a été conçu pour concurrencer le dollar comme monnaie de réserve. Et dans ce que j’entends, j’ai l’impression qu’il y aurait une sorte d’accord avec cet objectif initial. Mais moi, je ne suis pas d’accord avec cet objectif. Oui, il faut dédollariser l’économie mondiale, mais pas en concurrençant le dollar en faisant de l’euro un petit dollar Le but de l’euro était de favoriser l’attractivité des capitaux. Pour cela, la BCE a proposé des taux d’intérêt supérieurs à ceux de la zone dollar, ce qui a fait monter l’euro et a déprimé la croissance économique. D’autre part, le soubassement théorique qui a servi à la fondation de l’euro, c’est la théorie ultralibérale dite des « marchés efficients ». Pour elle, la liberté totale de circulation des capitaux devait permettre aux marchés de choisir les projets les plus rentables. On a vu le résultat ! L’euro a été le vecteur de cette stratégie. Il a été créé pour accompagner la dérégulation financière et faciliter la circulation des capitaux. La dernière raison de la surévaluation de l’euro est la politique des dirigeants allemands, qui ont besoin d’un euro fort. C’est Gerhard Schroeder qui a introduit une stratégie de confrontation, de guerre commerciale au sein même de l’Union européenne, contrairement à l’esprit supposé de la construction européenne. Il a dévalué les salaires des travailleurs allemands pour gagner en compétitivité et soutenir les exportations. Ces mêmes dirigeants ont délocalisé massivement dans les pays d’Europe centrale et orientale. D’où leur insistance pour l’élargissement de l’Union européenne. Le but était de se tailler une zone dans laquelle il y avait une main-d’œuvre qualifiée et une monnaie faible et dans laquelle il serait possible de faire produire à bas coût pour ensuite exporter dans la zone euro, à monnaie forte (43% des exportations allemandes !).
DENIS DURAND. La crise financière de 2007-2008 a révélé l’absolue nécessité de réorienter radicalement l’utilisation des moyens financiers. Mais comment y parvient-on ? En ayant d’autres objectifs que ceux de la rentabilité maximale, en privilégiant des objectifs sociaux qui peuvent se traduire par de nouveaux critères de gestion dans les entreprises et de nouveaux critères d’attribution des crédits. L’expérience historique a montré qu’il ne suffit pas d’intervenir au niveau gouvernemental. Il faut conquérir des pouvoirs à tous les niveaux. Et c’est là que l’on a une articulation. Les banques et les banques centrales ont ce pouvoir spécial, sans équivalent, de créer de la monnaie et de l’affecter aux financements des projets, des investissements qu’elles choisissent On peut s’attaquer à ce pouvoir dès le niveau local. Des milliers de PME et des entreprises plus grandes ont des projets et ne peuvent pas les réaliser parce que les banques leur refusent des crédits. On peut dans des centaines de bassins d’emploi développer des luttes avec les salariés, les élus, les habitants, avec des alliances entre différentes couches sociales, pour imposer la réalisation de ces projets qui se traduisent par le développement local, des territoires, de l’emploi, l’élévation des qualifications de la main-d’œuvre, la recherche, la protection de l’environnement. Il faut mettre en cause le comportement des banques par ces luttes. Puis, une fois que ce rapport de forces est créé, il faut le traduire dans les institutions. Par exemple, les régions peuvent décider aujourd’hui d’arrêter de distribuer des subventions aux entreprises, petites et grandes, et choisir de peser sur le comportement des banques, avec des techniques telles que la sélectivité dans l’attribution des garanties d’emprunt ou des bonifications d’emprunt. C’est ce que nous proposons avec la création de fonds régionaux pour l’emploi et la formation, qui seraient pilotés par les conseils régionaux avec la participation des syndicats, des élus locaux, et les acteurs économiques, publics et privés. Pour cela, on a besoin d’alliés dans le système bancaire : un pôle financier public avec des banques qui obéissent à d’autres critères que les banques privées. Un pôle financier public, c’est un réseau d’institutions financières qui utilisent leur pouvoir de création monétaire en fonction d’autres critères et en liaison avec les luttes des salariés. Ce pôle financier aurait pour but de peser sur le comportement de l’ensemble du système financier pour obtenir une réorientation des crédits à l’échelle nationale. Il faut créer une force composée de banques renationalisées, en liaison avec les puissantes banques mutualistes, avec la Caisse des dépôts, la Banque de France, Oseo, le Trésor public. Si on a un projet qui est soutenu au niveau local et au niveau national, on peut se tourner vers la Banque centrale européenne (BCE) pour lui dire : qu’est-ce que vous attendez pour favoriser ces projets-là et pour arrêter de refinancer les prêts que la Société générale ou Goldman Sachs font aux spéculateurs ? On construira ainsi petit à petit le rapport de forces qui fera que, dans l’ensemble de l’Europe, des majorités se constitueront dans les opinions pour exiger une modification des traités, une transformation du statut de la BCE, pour la mettre sous le contrôle des parlements nationaux, du Parlement européen, et faire en sorte qu’elle poursuive d’autres objectifs que ceux qui lui sont actuellement fixés par les traités.
JACQUES NIKONOFF. Je suis d’accord mais ce sont des vœux pieux. Car c’est incompatible avec le traité de Lisbonne et avec l’euro. Imaginons que d’autres pays ne souhaitent pas changer le statut de la BCE, ce qui est une hypothèse fondée et d’ailleurs la plus probable. Quel est le plan B ? On attend que tout le monde se mette d’accord ? Je crois que c’est la faille de la politique de la gauche de gauche. Elle n’articule pas les différents échelons et les différentes temporalités. Il est évident que les Allemands refuseront d’utiliser l’outil monétaire, parce que dans leur culture il y a un tabou. Dans ce cas-là, que fait-on ? On dit aux Français que l’on a essayé mais que les dirigeants allemands ne veulent pas ? C’est la raison pour laquelle il faut sortir de l’euro de manière unilatérale. Il n’y aura pas d’atteinte au niveau de vie des travailleurs si on prend trois mesures. Première mesure : rétablir l’échelle mobile des salaires et des prix. Deuxième mesure : faire entrer la France dans le SUCRE (Système unitaire de compensation régionale de paiement), la monnaie commune de l’Alliance bolivarienne pour les Amériques (ALBA). Il y a là une formule alternative à l’ordre néolibéral mondial très intéressante. La France pourrait diversifier ses sources d’approvisionnement, notamment en pétrole, ce qui la protégerait des conséquences de la dévaluation pour l’importation de matières premières. Et troisième mesure : mettre en œuvre de manière unilatérale la charte de La Havane de 1948. Il faut mettre un terme au libre-échange : c’est la guerre commerciale de tous contre tous, c’est la mise en concurrence des travailleurs à l’échelle planétaire. Pour mettre en place un autre système, on ne peut pas compter sur l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui est l’un des piliers de l’ordre néolibéral mondial, au même titre que l’OTAN, le FMI, la Banque mondiale et l’Union européenne. Il faut donc sortir de l’OMC. Un gouvernement vraiment de gauche devrait proposer à tous les autres pays des accords bilatéraux de coopération commerciale. Et construire ainsi, progressivement, à côté de l’OMC, une autre alliance avec les pays qui veulent coopérer et non pas se faire la guerre commerciale. La charte de La Havane repose sur la recherche de l’équilibre des échanges (balance des paiements). Des mesures protectionnistes n’interviendraient que pour rétablir l’équilibre. Beaucoup de pays accepteront. Il est probable que certains refuseront ces accords, les plus excédentaires comme la Chine et l’Allemagne. L’affrontement politique, idéologique et commercial semble inévitable avec ces pays, et il faudra instaurer des quotas et des droits de douane. C’est la condition pour réindustriaIiser, pour permettre de relocaliser en France, progressivement, un certain nombre d’industries : textile, ameublement, mécanique, machine-outil, chaussure...
DENIS DURAND. Je pense que c’est se tromper d’adversaire que de se placer dans la perspective d’un affrontement avec la Chine et d’autres pays émergents. Le système monétaire international et le système commercial international sont des systèmes hiérarchisés autour d’une puissance hégémonique, avec New York comme point d’impulsion majeur de l’ensemble des marchés financiers internationaux. Je ne crois pas que nos amis latino-américains attendent en priorité que la France adopte le SUCRE. Il faut coopérer avec eux, bien sûr. Et nous allier avec eux pour faire reculer la domination monétaire, commerciale, culturelle, politique, militaire des États-Unis. Ce que nous disent les Latino-Américains, c’est surtout ne faites pas éclater l’euro ! Cela nous a coûté trop cher d’être en ordre dispersé face aux États-Unis. Ne revenez pas à une situation de guerre commerciale et de guerre monétaire, avec des dévaluations compétitives. Il n’est pas utopique de dire qu’il faut développer des luttes sociales et politiques pour faire reculer le pouvoir des banques centrales et des marchés financiers. Je pense que cela ne ferait pas plaisir à ceux qui mènent ces luttes... Y compris dans le système financier lui-même. En 2003, par exemple, les salariés de la Banque de France avec les élus locaux ont mis en échec un projet de fermeture des succursales départementales. Jean-Claude Trichet, gouverneur à l’époque, a dû signer un contrat de service public avec le gouvernement. Quand la crise a frappé l’économie française, en particulier les PME, en2008-2009, on s’est rendu compte que les interventions pour éviter l’effondrement du tissu industriel dans les régions passaient par le médiateur du crédit, qui obligeait les banques à adoucir leurs critères de prêts aux PME, à travers l’intervention des succursales de la Banque de France. La crise, elle-même, a eu des effets sur la BCE. Elle a dû procéder à des achats massifs de titres de l’État grec et d’autres pays, alors qu’il y a encore 2 ou 3 ans, cela aurait semblé un sacrilège envers les traités européens.
JACQUES NIKONOFF. Je n’ai pas dit que nos amis de l’ALBA attendaient la France. C’est l’inverse ! La coopération avec l’ALBA, notamment avec le Venezuela pour le pétrole, est un moyen de diversifier les sources d’approvisionnement de la France, de manière à alimenter la dédollarisation, limiter l’augmentation des prix du pétrole, économiser des devises. Deuxièmement, il ne s’agit pas du tout d’opposer les peuples. L’UE, l’OMC, le FMI, la Banque mondiale, ce n’est pas l’union des peuples, c’est l’union des classes dirigeantes contre les peuples. Ce à quoi nous appelons, nous, au M’PEP, c’est à la solidarité des peuples contre leurs classes dirigeantes et contre l’ordre mondial néolibéral de domination et d’aliénation, incarné sur notre continent par l’Union européenne. Mais attention de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier en matière revendicative en considérant que la seule chose possible est un changement des statuts de la BCE. Je crois qu’il faut émettre l’hypothèse que ça prendra du temps, et qu’en attendant il faut avancer. Il faut donc envisager des mesures nationales unilatérales. Sur quoi le PS a-t-il abdiqué en 1983 ? Sur la question monétaire, en refusant de sortir du Système monétaire européen, et sur le libre-échange en refusant de réfléchir à un système s’inspirant de la charte de La Havane, de coopération internationale. On en est au même point, 30 ans après. Si la gauche radicale ne bouge pas sur la question monétaire et sur la question du libre-échange, le résultat sera le même : l’échec. On l’a tous dit en 2005 : on ne peut pas mener de politique de gauche dans le cadre du traité de Lisbonne. Il faut en tirer toutes les conséquences : ça veut dire désobéir à l’Union européenne. Il faut donc sortir de l’euro et de l’Union européenne. La souveraineté sur la politique monétaire est primordiale. C’est pour cela que les classes dirigeantes ont toujours gardé la main sur cet instrument décisif. Il faut la restituer au peuple, par l’intermédiaire de ses représentants, le Parlement, et cela ne peut se faire qu’au niveau national.
DENIS DURAND. La gauche est traversée par deux courants. Une conception que je considère comme dépassée, qui consiste à faire essentiellement confiance à l’État pour déterminer les évolutions économiques et sociales. Et l’autre qui mesure à quel point il faut aller bien au-delà de l’étatisme, qui a eu ses vicissitudes au XXe siècle, pour développer une prise de pouvoir partout où se prennent des décisions importantes : dans les entreprises, dans les banques, dans les territoires. Et bien sur aux niveaux national, européen et mondial. Le pouvoir sur l’argent, sur la monnaie est effectivement déterminant pour pouvoir financer des projets et des investissements. Il faut le reconquérir. On ne le retrouvera pas avec un gouvernement européen, comme le proposent certains à gauche. Mais pas non plus en s’en tenant au niveau national. Il faut se battre dès le niveau local, régional, celui des bassins d’emploi et des entreprises, jusqu’au niveau mondial pour conquérir de nouveaux pouvoirs. Et en ayant en tête une cohérence d’objectifs sociaux, d’efficacité économique et écologique. Et je crois que c’est cette cohérence qui peut donner au Front de gauche la capacité d’être écouté par des citoyens en attente d’une alternative.
PROPOS RECUEILLIS PAR DOMINIQUE SICOT AVEC JEAN-PIERRE CHAMPlAT
LEXIQUE:
ALBA: Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique, lancée en avril 2005 par Cuba et le Venezuela pour contrer la zone de libre-échange des Amériques voulue par les États-Unis. S’y sont ensuite associés la Bolivie, le Nicaragua, la Dominique, le Honduras (sorti en 2010), Saint-Vincent-et-Les-Grenadines,Antigua-et-Barbuda et l’Équateur.
Banque centrale européenne (BCE): Créée en 1998, elle est la banque centrale de l’Union européenne. Indépendante des politiques, elle a pour principale mission de contenir l’inflation de la zone euro dans la limite de 2% par an.
Charte de La Havane: Elle prévoyait une Organisation internationale du commerce intégrée à l’Organisation des Nations unies (ONU). Signée le 24 mars 1948, elle n’a pas été ratifiée par les États-Unis. Fondée sur la coopération et non la concurrence, elle visait l’équilibre des balances de paiements entre pays, le plein-emploi et l’adoption de normes équitables.
Organisation mondiale du commerce (OMC): Née le 1 er janvier 1995, elle remplace le GATT (General Agreement on Tariffs and Trade) de 1947. Son objectif : la libéralisation du commerce mondial.
SUCRE: Abréviation de Système unitaire de compensation régionale. C’est la monnaie commune de l’ALBA adoptée en avril 2009.
Traité constitutionnel européen: Projet de constitution pour l’Europe. Il a été adopté le 19 juin 2004 par les chefs d’État et de gouvernement des 25 pays alors membres de l’Union européenne, mais il n’a pas été ratifié. En France, il a été rejeté par référendum le 29 mai 2005 (54,68 de « non »).
Traité de Lisbonne: Signé le 13 décembre 2007 par les 27 chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne. Il modifie les traités de Rome (1957) et de Maastricht (1992) et entérine l’essentiel des dispositions du projet de traité constitutionnel qui avait été rejeté par référendum en France et aux Pays-Bas.
Traité de Maastricht: Signé en 1992, il lançait notamment l’Union économique et monétaire qui devait aboutir à la création de la monnaie unique, l’euro. En France, la ratification a été autorisée après un référendum (51,04 de « oui »).
Le commentaire de JEAN-PAUL CRUSE:
Une urne n'interprète pas un vote. Il y a eu un OUI au traité de Maastricht, porté par les électeurs de droite de Jacques Chirac, Valéry Giscard d'Estaing, François Bayrou, ou ceux de gauche influencés par François Mitterrand, Jean-Luc Mélenchon, les syndicats CFDT, FO etc., et un NON à ce traité, qui a été avant tout le NON des électorats communiste et gaulliste (Pasqua-Séguin), avec l'appoint de voix ultra-nationalistes. En 2005, la victoire du NON n'a pas été non plus une victoire du seul "NON de gauche", mais a été portée dans les urnes par tous ceux qui préfèrent l'indépendance nationale à l'intégration européenne: une nette majorité de gens qui pensent que c'est la condition du maintien des acquis sociaux et/ou de la poursuite du progrès social, plus une fraction d'électorat nationaliste, elle-même divisée en deux: gaullistes et antigaullistes racistes et ultranationalistes. Les faits sont là. Sur ce terrain au moins, le clivage droite gauche a volé en éclats; il existe toujours à l'état résiduel mais tend à s'effacer au fil du temps, tandis que s'y substitue peu à peu un clivage entre partisans du progrès par le développement de la société française, en coopération avec les autres nations indépendantes et les autres peuples (à commencer par les "émergents"), et mondialistes, euromondialistes ou euro-intégristes résignés à l'idée que la souveraineté des peuples n'est plus possible, qu'il faut donc s'incliner devant le pouvoir des "marchés".. Qu'il s'exprime par souci tactique, légitime, ou par conviction, Nikonoff, qui a raison sur l'essentiel, à tort sur ce point là. Il dit vrai en revanche quand il constate que la sortie de l'euro et de l'Union Européenne, toutes deux mises à l'ordre du jour dans le "mouvement réel qui abolit l'état actuel", ne pourra se faire ni à 27, ni même, contrairement à ce que feint de croire Le Pen, à 5, 8, ou 12... Comme le reconnaît l'expert du PCF, la zone euro est aujourd'hui la zone de stagnation économique de la planète:il n'y a pas de hasard à cela, seul en profite un peu, à l'intérieur de cette zone, l'Allemagne... Hostiles, à ce jour toujours, du moins, au fédéralisme européen, à l'intégration européenne, les communistes français, porteurs, depuis Thorez et surtout la Résistance, de valeurs nationales historiques, patriotiques, porteurs du drapeau de Valmy et de 1793, ont du mal à intégrer l'idée que leurs principaux alliés sur la scène de la politique parlementaire, sur la scène électorale française (dont ils font, à tort, le centre de gravité de l'action politique...) sont, eux, des partisans résolus (quoique souvent hypocrites) de la dissolution de la nation française dans un magma cosmopolite euro-mondialiste, des euro maniaques, des eurolâtres. Sur ce point, Nikonoff et le petit M'PEP, le mouvement qu'il a créé après au moment de son départ de la direction du mouvement "alter-mondialiste", donc mondialiste ATTAC, constituent un vrai problème pour le PCF et le Front de Gauche. Denis Durand tente d'esquiver le débat en ranimant une possible controverse entre gauche étatique et gauche mouvementiste, il n'y parvient pas vraiment. Ce qu'il dit sur l'importance des luttes diverses, à la base, y compris à l'intérieur des institutions régionales, bancaires, européennes, est loin d'être faux. Mais ces luttes, insuffisemment mûres, insuffisamment puissantes, ne permettent pas de rendre crédible une quelconque alternative européenne, "une autre Europe" , "une autre monnaie commune", sinon "un autre euro". La crise n'attend pas, et dans la crise, (là, Durand a raison et Nikonoff tort!) les ennemis stratégiques d'un pays comme la France ne sont nullement la Chine et le front large des pays émergents qu'elle a constitué autour d'elle (bien au-delà, là aussi, de tout clivage droite-gauche), mais le système oligarchique euro-atlantiste corrompu dominant les institutions internationales du système capitaliste mondialisé, y compris en Europe.