Par Shawn L. Mac Farlane, Québec
Après la fusillade d’Oslo, et le massacre perpétré par Anders Behring Breivik, diverses interprétations, contradictions, sont apparues ces derniers jours. Les cuistres ne manquent en effet pas. Après le point de vue des libéraux (article 1) (article 2), il manquait le point de vue des libertariens. Le voici.
Depuis la fusillade de Polytechnique en 1989, on a conclu au Québec que le seul responsable lors d’une fusillade est l’arme à feu. C’était, avouons-le, beaucoup plus pratique de blâmer un assemblage de métal que de se demander par exemple comment il a été possible que personne ne s’oppose à M. Lépine. Ou encore de demander comment les hommes présents dans la classe où le massacre a eu lieu en cette journée ont-il pu accepter de sortir sans faire d’esclandre à la demande du tireur et de laisser les femmes se faire fusiller ainsi ? Pourquoi la police n’est-elle pas entrée plus tôt ? Serait-ce que le dicton: « Mieux vaut un chien vivant qu’un lion mort » a prévalu ? Peut-être… Mais une question demeure: pourquoi détestons-nous autant les armes à feu au Québec ?
Il y a une devise chez les aficionados des armes à feu qui dit que Dieu a créé les hommes, mais que c’est Samuel Colt qui les a rendus égaux. Les armes à feu ont permis les plus grandes révolutions récentes, et aussi les pires massacres. L’arme a permis le règne des démocraties et des dictatures. C’est un outil qui représente à merveille le génie humain.
Comment en effet ne pas s’émerveiller devant l’explosion contrôlée d’une charge de poudre propulsant avec précision un projectile dans une direction souhaitée à une distance qui peut parfois atteindre des kilomètres ? Les chasseurs de tout acabit vous diront que c’est pratique et délicieux, les combattants vous diront que c’est une question de vie ou de mort. Mais s’il est une chose que l’on n’analyse pas suffisamment lorsqu’on traite de la question des armes à feu, c’est la position de pouvoir dans laquelle elle place celui qui la porte.
Il y a tout d’abord une responsabilité individuelle. La personne qui a à sa disposition une telle arme reçoit de facto la responsabilité des actions qui pourront être posées avec son arme et des conséquences desdites actions. Étant donné le potentiel destructeur inhérent à ces outils, il va de soi qu’une personne qui veut vieillir sans être tourmentée se devra d’être très prudente quant à l’entreposage et au prêt de ses armes – c’est d’ailleurs pourquoi le gouvernement canadien erre totalement (encore !) en règlementant l’entreposage et le transport des armes à feu.
Nous avons au Canada des régimes de responsabilité, que l’on parle du Common Law ou du droit civil, qui pourraient se montrer très dissuasifs envers les propriétaires d’armes irresponsables. Nul besoin de criminaliser pour dissuader ! Sauf si bien sûr on veut dissuader la possession d’armes à feu en général chez le citoyen honnête…On affirme chez les prohibitionnistes que c’est surtout pour empêcher les crimes passionnels et les suicides qu’on règlemente l’entreposage des armes. De quel droit est-ce qu’on se permet d’atteindre au droit de propriété, base de la société moderne, et au droit d’usage qui y est inhérent, sous prétexte qu’une personne pourrait poser une action déraisonnable avec un bien? Tout bien peut être mal utilisé, et le code criminel prévoit des conséquences pour ceux qui s’en prennent à la propriété des autres ou aux autres eux-mêmes. Mais l’État ne doit pas aller plus loin dans la régulation des comportements si l’on veut pouvoir dire que l’on vit dans une société libre.Et en ce qui a trait au suicide, l’État n’a pas à empêcher une personne libre de disposer de ses biens, incluant sa vie. On peut trouver regrettable qu’une personne fasse certains choix, mais elle demeure libre de les faire si elle ne porte pas atteinte aux droits des autres, et ce n’est pas le rôle de l’État de guider les choix des individus libres. Il est évident que ce concept est difficile à comprendre au Québec, où l’État régule tellement nos vies qu’on ne perçoit même plus ses interventions comme des entraves à notre liberté.
Mais revenons-en à l’analyse du pouvoir conféré par la possession d’une arme à feu. Ce pouvoir, qui est d’ailleurs le plus grand que l’on puisse avoir dans une société libre, est celui de contraindre une autre personne libre à obtempérer selon votre volonté, sans quoi elle s’expose à ce que vous la priviez de sa vie. Il faut, et c’est le moins qu’on puisse dire, être très convaincu de la justesse de son point de vue pour l’imposer ainsi à quelqu’un d’autre. Car si la personne peut choisir d’obéir, elle peut aussi choisir de résister, ce qui vous place dès lors dans l’obligation de prendre une décision: quitter rapidement les lieux en la laissant agir, et espérer qu’il n’y ait pas de représailles, ou tirer. Et comme aucune société, même libertarienne, ne permet le meurtre injustifié d’un autre humain, vous pouvez assez rapidement raccourcir votre espérance de vie libre et heureuse en cas de mauvaise décision.
L’individu rationnel sait distinguer les situations qui justifient l’utilisation de son arme de celles qui le conduiront en prison à vie. Nul besoin de limiter le droit au port d’armes pour réduire le nombre de meurtres. Au demeurant, comment penser rationnellement qu’une personne déterminée à tuer quelqu’un se laissera arrêter par une interdiction sur le port d’armes?
Ce droit de porter des armes que tout humain devrait avoir est essentiel dans une société qu’on veut véritablement libre, car le pouvoir qu’il donne est malheureusement parfois le seul qui soit approprié. La tuerie de Polytechnique en est le meilleur exemple. Ce n’était pas de l’humour, de la diplomatie ou de la psychologie qu’il fallait opposer à Camil Gharbi aka Marc Lépine le jour de sa psychose, c’était une volée de plombs. Il ne fallait pas négocier avec lui, faire un film sur son personnage ou encore quitter la salle de cours pour le laisser assouvir ses bas instincts sur les femmes, il fallait le neutraliser le plus rapidement possible afin qu’il ne tue personne, ou du moins le moins de gens possible.
Est-ce qu’on peut croire qu’un groupe non armé aurait pu neutraliser le tueur? Certainement. Mais les circonstances nous ont démontrées que l’analyse coûts/bénéfices faite par les individus au moment où ils étaient menacés par Lépine les a amenés à se dire qu’ils auraient beaucoup plus de chance de rester en vie en obéissant au tueur, quitte à laisser dans la salle des femmes qui se feront éventuellement fusiller. La probabilité de rester en vie est beaucoup moins grande lorsque l’individu considère attaquer un Lépine armé en ne sachant pas si le reste du groupe va se joindre à lui. C’est un choix rationnel fait par des humains rationnels, même si on peut moralement trouver après coup que c’est d’une lâcheté abjecte.
La seule façon d’éviter ce genre de situation est de donner à l’individu les outils pour qu’il en vienne à conclure, dans ce genre de situation, qu’il a plus de chance de survivre en s’attaquant au tireur qu’en le laissant agir. Et le seul outil qui puisse permettre une défense efficace et rapide pour le commun des mortels, c’est l’arme à feu.
Nous sommes en face d’une des fatalités de la vie: un humain libre peut décider d’agir d’une façon qui soit tellement inacceptable qu’on doive absolument l’en empêcher, et ce, en allant même jusqu’à le tuer si nécessaire. De cette constatation nous vient l’autre facette du pouvoir amené par la possession d’une arme à feu, soit le devoir d’agir. Le fait que tous les citoyens puissent posséder des armes à feu amène dans une société un équilibre des puissances qui fait en sorte que tous peuvent agir pour empêcher qu’un crime soit commis. Personne ne pourrait plus se proclamer victime éternelle en disant qu’il n’avait pas les moyens d’agir lors d’une tragédie ou qu’il était désavantagé face à un voyou. Les gens seraient obligés, en cas d’inaction face à un crime, d’étaler devant une opinion populaire furieuse les motifs qui les ont poussés à ne pas protéger la vie d’autrui. Mais il y a fort à parier que ce serait souvent gênant: «Y nous a demandé de sortir, pis on connaissait pas vraiment les filles, faque…»
Les massacres comme ceux de la Norvège, du Collège Dawson, de l’Université Concordia ou de l’École Polytechnique sont le résultat direct du contrôle des armes à feu, qui est d’ailleurs très semblable en Norvège et au Canada, et non le résultat d’un manque de contrôle.
En analysant la tuerie de Norvège, et toutes les autres d’ailleurs, il ne faut pas se demander comment il se fait qu’un humain ait pu décider de tuer des gens, les récits de massacres étant plus vieux et nombreux que tous les autres types de littérature. On devrait plutôt se demander, en Norvège, comment il a été possible que personne n’ait pu répliquer à un tireur qui s’en est pris à des dizaines de personnes sur une période de plus d’une heure. Dans quelle société supposément civilisée expose-t-on les gens à endurer autant de violence tout en les privant légalement du seul moyen qui leur permettrait de se défendre? Et pour ajouter l’insulte à l’injure, comment peut-on oser prétendre après coup que le massacre commande une hausse du contrôle des armes à feu, alors que c’est précisément ce qui a causé la perte de la vie de tant de gens?
On dit souvent dans les cercles libertariens que les actions de l’État nuisent au marché ou qu’elles appauvrissent les gens, mais ce cas-ci est bien pire, car l’État norvégien, par ses politiques irresponsables interdisant le port d’armes, est directement responsable du fait que des citoyens honnêtes ont été laissés sans défense face à un tireur fou. L’État, loin de protéger le citoyen, a choisi d’avantager le tireur!
Un argument fréquent des adeptes du contrôle des armes à feu est que tous n’ont pas la capacité d’exercer le pouvoir et les responsabilités qui viennent avec la possession d’armes. Or, la capacité d’exercer un pouvoir ne vient qu’avec l’exercice effectif dudit pouvoir, parce que l’être humain placé dans une situation développe les compétences et les réflexes qui lui permettent d’évoluer le mieux possible dans son environnement. Il est vrai que toutes les personnes n’ont pas les capacités innées leur permettant de conduire un véhicule sans formation. Mais la pratique fait en sorte que les gens comprennent que certains comportements sont souhaitables pour tous sur la route et que d’autres comportements sont à éviter.
De la même façon, toute personne comprendrait rapidement qu’une mauvaise utilisation d’une arme à feu peut être assez risquée pour elle-même dans une société où les gens sont libres de porter des armes. Elle n’aura donc aucun intérêt à mal agir, et beaucoup d’incitation à bien se comporter. Même les gens qui choisiraient de ne pas porter d’armes seraient plus en sécurité, car d’autres personnes qui choisiraient de s’armer pourraient intervenir en cas d’urgence. C’est tout le contraire dans notre société où les armes sont tellement mal connues et réglementées que leur simple possession donne à quelqu’un un avantage indu sur les gens de son entourage qui ne disposeront pas des mêmes moyens pour répliquer si jamais le pire survenait, comme cela fut le cas en Norvège.
Il a été établi et mentionné à maintes reprises que la loi ne saurait dissuader les criminels de s’armer, car si l’arme leur donne un avantage incomparable dans la pratique de leur profession, sa possession illégale ne fait qu’ajouter des pages à un dossier criminel qui vient avec le métier. Il a aussi été établi par les tribunaux que la police ne peut, de par les limites qui lui sont intrinsèques, empêcher tous les crimes contre le citoyen. Il semble donc à quiconque qui fait une analyse logique de notre société, où les armes sont contrôlées, que les conditions pour une sécurité optimale ne sont pas réunies. Or, la sécurité publique n’a rien à voir avec le contrôle des armes à feu.
L’État, malgré des airs bienveillants, ne vise pas à protéger le citoyen par le contrôle des armes à feu. Il ne lui garantit pas qu’il ne sera victime d’aucun crime, ou encore que jamais personne n’utilisera une arme à feu contre lui. Il vise simplement à protéger son monopole de l’usage de la violence en enlevant au citoyen des outils pour exercer sa liberté et protéger lui-même sa vie et celle de son prochain.
* Shawn L. Mac Farlane est bachelier en droit et enseignant en éthique et cultures religieuses dans la région de Québec.
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Article initialement publié sur le Québécois libre, et reproduit avec son aimable autorisation.