Un article assassin du directeur de la revue La Tribune de l’art, Didier Rykner, a mis le feu aux poudres le 26 juillet: «La restauration en cours est peut-être correctement faite, mais il est possible aussi qu’elle soit une menace pour ce chef-d’œuvre de la peinture européenne.» Une semaine plus tard, le chantier commencé le 6 juillet était arrêté. Et l’estocade est portée le lendemain par le maire de Colmar, Gilbert Meyer: il s’étonne du « manque de professionnalisme» du musée, tandis que, sur place, les visiteurs s’émerveillaient de la restauration achevée de L’Agression de saint Antoine.
«Je connais ce retable par cœur, depuis l’âge de 12 ans quand je l’observais dans les livres, chez moi, au Canada, raconte Carole Juillet. En 2003, Je l’ai scruté pour faire un constat d’œuvre. Puis en 2004, j’ai mené une campagne de refixage et écrit un long article dans Techné, la revue du Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF). Les vernis saturent les couleurs mais protègent aussi l’œuvre.» Mais, avec le temps, ils perdent leurs propriétés filmogènes. Est-ce le cas?
L’interruption des travaux risque d’être longue
Le C2RMF, s’il a analysé par stratigraphie les couches de peintures utilisées par Grünewald, n’a pas, en revanche, étudié le vernis, ni sa composition. «Or, les notions de liants de la peinture, du vernis, sont pour nous des connaissances bien plus importantes que de savoir ce qu’il y a en dessous. Car nous sommes concernés par le futur plus que par le passé», déplore la restauratrice. Comment, en l’absence de ces données, travaille-t-elle? «Nous sommes guidées par notre sensibilité, notre main et notre expérience.» Avec la polémique qui fait rage sur la conduite des travaux, l’interruption risque d’être longue. «Si seulement cela permettait au C2RMF de faire des analyses sur les vernis, mais la France ne s’en est jamais donné les moyens, contrairement aux États-Unis, des as en la matière», affirme la restauratrice.
Cet arrêt des travaux n’est pas gênant, car le retable, chef-d’œuvre du gothique tardif réalisé par Matthias Grünewald en 1512-1516, n’est pas en péril. Ce qui est dommage c’est qu’on devine plus que l’on ne voit désormais toute la palette de l’artiste.
Est-ce sur injonction du ministère de la Culture que son lifting a été interrompu? Ou cette suspension était-elle prévue dès le départ, comme l’affirme le musée? C’est en tout cas la grande controverse de l’été dans le monde de l’art.
«Je ne comprends pas cette polémique , se désole Pantxika De Paepe, directrice et conservatrice en chef du musée. Pour cette restauration, nous avons suivi toutes les mesures mises en place. Tous les services de l’État et de la ville étaient au courant depuis 2009 », quand a été décidée la restauration des œuvres et l’extension du musée. L’intervention sur le retable est estimée à 340.000 euros. Mécène, la Fondation du patrimoine en apporte un tiers. Pour la suite des travaux, il faut désormais attendre une réunion du C2RMF. Mais alors, pourquoi celui-ci a-t-il donné son feu vert à deux reprises: en avril, lors de l’adoption du projet, et en juillet, quand les deux restauratrices ont présenté un essai au comité scientifique dont le centre est membre?
Pour Pantxika De Paepe, la polémique serait partie d’une déclaration maladroite qu’elle a faite à Didier Rykner: «C’est vrai que le retable n’a pas besoin d’être restauré», lui a-t-elle dit. Or, alléger les vernis superficiels et enlever les repeints, c’est bien restaurer. «Pour les gens, ce verbe sous-entend que l’œuvre va s’effondrer. Le verbe “nettoyer” était moins alarmiste, mais aussi inexact», se défend-elle aujourd’hui. L’opération était-elle nécessaire? «Dans l’absolu, répond Carole Juillet, n’importe quelle intervention apporte une certaine atteinte à l’œuvre. Dans cette optique, on devrait tout laisser dans des boîtes.»
Texte: Valérie Sasportas – Source: Le Figaro.fr