Des Français majoritairement pessimistes pour l’avenir…
Le contexte social est éprouvant pour une grande partie de l’opinion, inquiète à la fois pour son avenir mais également pour son quotidien. Le baromètre des préoccupations des Français réalisé par TNS Sofres au début du mois d’octobre le démontre bien. Avec un taux de chômage qui frôle la barre des 10% (9,7%) pour le deuxième semestre 2010 et qui concerne près d’un quart des jeunes actifs de moins de 25 ans (23,3%), on comprend aisément que la question de l’emploi constitue la première inquiétude des Français pour près des trois quart d’entre eux (73% ; une proportion qui s’établit à 80% pour les catégories les plus modestes). Traditionnellement, cette thématique occupe le haut du classement des inquiétudes des Français en alternance avec les craintes exprimées à l’égard du pouvoir d’achat, un sujet qui sur cette vague d’enquête ne se positionne « qu’en » quatrième position (avec 47% de citations) devancé, actualité oblige, par le financement des retraites, une préoccupation désormais majoritaire dans la société (58% de citations, +4 points depuis août 2010) et par la santé et la qualité des soins (54%, +4 points). Sur ce dernier point, une récente enquête du Credoc révèle que 13% des Français doivent se restreindre en matière de soins médicaux en raison de leurs coûts, contre 3% il y a 30 ans. Le déficit de la Sécurité Sociale et les mesures gouvernementales annoncées pour le réduire (à l’instar des récentes annonces faites dans le nouveau rapport Attali parmi lesquelles le déremboursement de nouveaux médicaments et l’instauration d’une participation financière des malades en affection de longue durée aujourd’hui pris en charge à 100 % par la Sécurité sociale, quels que soient leurs revenus), ne rassureront probablement personne. Rien de surprenant alors, dans ce contexte, à ce que plus de sept personnes sur dix (71%) partagent le sentiment que la situation sociale des Français a plutôt tendance à se détériorer contre 4% qu’elle s’améliore, et 22% qu’elle est stable.
Aussi, confrontés au quotidien à ces situations particulièrement anxiogènes, grand nombre de Français se déclarent pessimistes lorsqu’il s’agit de penser à l’avenir (55% ; 60% chez les moins de 35 ans). A l’inverse, seuls 44% d’entre eux expriment un certain optimisme (6% « très optimistes ») soit une proportion qui est passée sous la barre symbolique des 50% en perdant 11 points en six mois. En plein cœur de la crise en 2008, le moral des Français oscillait entre 33% et 38% d’optimisme.
…qui craignent de devenir pauvres
La notion de pauvreté a une part de responsabilité importante dans la morosité déclarée par l’opinion. Aujourd’hui en France, une personne peut être considérée comme « pauvre » quand ses revenus mensuels sont inférieurs à 791€ ou 949€. Cela concernerait 4,3 à 7,8 millions de personnes selon la définition retenue. L’Observatoire des inégalités donne une définition plus ancrée dans le réel de la pauvreté et nous rappelle que ces personnes dites « pauvres » « n’aspirent pas seulement à manger, mais aussi à avoir un logement décent, à étudier ou à travailler, à se soigner… comme les autres. », soit une définition qui va bien au-delà des chiffres. Si toute la population française n’entre pas dans cette case « pauvreté », il n’en demeure pas moins qu’ils sont aujourd’hui nombreux à la craindre. Plusieurs enquêtes récentes ont relayé cette forte inquiétude des Français à travers des résultats pour le moins éloquents. Ainsi l’enquête réalisée par Ipsos pour le Secours Populaire nous apprend qu’une personne sur trois âgée de 15 ans et plus a déjà fait l’expérience de la pauvreté (33% ; 45% chez les 35-44 ans – en hausse de 16 points en un an-), un chiffre en hausse de 3 points par rapport à la même enquête menée en 2009. En outre, si elles n’ont pas vécu de situations précises de pauvreté, l’inquiétude d’y être confrontée est bien réelle, 53% des personnes interrogées avouent ainsi qu’il leur est déjà arrivé de se dire, à un moment de leur vie qu’ils étaient sur le point de connaître une situation de pauvreté. Une autre enquête publiée par TNS Sofres dévoile une France scindée en deux grands groupes avec d’une part une moitié de la population qui partage le sentiment d’être pauvre ou qui exprime de fortes inquiétudes quant au fait de le devenir (48%) et d’autre part, une autre moitié qui regroupe 49% de Français qui se sentent particulièrement à l’abri de cette situation, en exprimant n’avoir ni le sentiment d’être pauvre ni de craindre un jour de le devenir.
…et qui ne se retrouvent plus dans les valeurs de la République
Les causes de ce pessimisme ambiant sont donc multiples et variées au quotidien, mais de manière plus large, il apparaît que l’adhésion aux grandes valeurs de la République « Liberté, Egalité, Fraternité » soit également en perte de vitesse et suscite une certaine désillusion chez des Français majoritairement résignés à faire bouger les choses dans la société (49% considèrent qu’ils ne le peuvent « pas du tout » et 31% « très peu »). Pour chacune de ces valeurs le constat est mauvais. Ainsi, plus d’une personne interrogée sur deux en mars dernier considèrent que depuis une dizaine d’années, les gens sont de moins en moins libres (55%). Parallèlement, plus des trois quarts d’entre elles (76%) décrivent une société de plus en plus inégalitaire (la première inégalité perçue étant celle du salaire et la seconde l’obtention d’un emploi stable ou non). Enfin, 60% des Français interrogés partagent le sentiment d’une société dans laquelle, depuis une dizaine d’années, il y a de moins en moins de fraternité, la première raison évoquée à cela étant des conditions de vie difficiles amenant les gens à se replier sur eux-mêmes.
Et pourtant … ?
Certaines données issues de ces enquêtes laissent toutefois penser qu’il existe, à l’image de ce groupe de Français qui ne craignent pas la pauvreté, quelques lueurs d’espoir dans ce tableau d’une France morose. En effet, tandis qu’à l’échelle du pays, l’opinion dresse un constat plutôt sombre, lorsqu’il s’agit d’appréhender leur propre situation personnelle le bilan est plus modéré. Ainsi, 81% des Français se déclarent satisfaits de leur situation sociale personnelle, une satisfaction toutefois peu affirmée (63% « plutôt satisfait ») et inégalement répartie entre les différentes catégories de la population. En effet, si les insatisfaits sont minoritaires dans la moyenne nationale et concernent toutefois près d’un Français sur cinq (18%), certains segments de population à l’instar des ouvriers (32%), des chômeurs (45%) et des foyers où les revenus sont inférieurs à 800€ par mois (57%), autrement dit des catégories particulièrement exposés à la précarité, révèlent une situation sociale difficile et leur insatisfaction est multipliée par deux, voir par trois par rapport à l’ensemble de la population.
L’article premier de la Constitution française nous rappelle que « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances» La défiance exprimée par les Français aux valeurs de la République qui reprennent ces grands principes laisse à penser que la réalité du modèle français n’est plus en phase avec une société jugée injuste et individualiste par une majorité des citoyens pessimistes pour l’avenir.