ROUERIE
Elle pimentait tant sa tendresse
Que je la voyais sans cesse
Sans jamais me lasser,
Sans voir les mois passer.
Un soir, elle pleurait.
Je lui demandais ce qui la torturait
« Je suis…je suis enceinte. »
Et elle sanglota sans feinte.
Je fis une grimace abominable
Comme on fait à des annonces semblables.
A mon tour, j’ai bégayé:
-« Mais…mais …tu es mariée ? »
-« Oui, mais mon mari,
Depuis six mois, est en Italie
Pour une mission illimitée. »
Je dégageais ma responsabilité :
-« Il faut le rejoindre sans tarder.»
Elle rougit : « Oui…mais…des…»
Je comprenais.
Discrètement, je lui donnais
De l’argent pour son voyage.
Trois jours après, j’avais un message.
Elle était bien arrivée.
La semaine suivante, je recevais
Une missive de Gênes.
Elle avait visité une belle arène.
Le temps passa.
De Florence, elle m’adressa
Une lettre fort délicate.
Puis enfin de Rome, deux cartes
Dans l’une : « Ton amoureuse
Va bien, mais elle est affreuse.
Ne viens pas avant la naissance.
Tu ne m’aimerais point,
Je le sais d’avance.»
Dans l’autre, je reçus un bon point !
-« Mon cher amour,
Saches que je t’aime pour toujours.
Mon mari ne s’est douté de rien.
Je reviens
En France
Juste après ma délivrance. »
Puis elle m’envoya sans façon
Juste ce mot : « C’est un garçon ! »
Peu de temps après, mon minet
Débarquait dans mon cabinet.
Et nos amours recommencèrent.
Deux ans encore s’écoulèrent.
Elle s’acharnait en bonne mère
A me parler de notre fils Gilbert
-« Tu ne l’aimes pas
Tu ne veux pas
Le voir ! Si tu savais
Quel chagrin tu me fais ! »
Un jour, mon frère est venu m’apporter
Une lettre anonyme : « Alertez
Votre frère, le comte de Marénau :
La femme de la rue Pineau
Se moque de lui effrontément.
Qu’il prenne des renseignements. »
Je contai à mon frère toute l’histoire
Et déclarai ne plus vouloir la voir.
Mon frère est allé à son domicile.
Faire jaser une concierge est facile :
-«Une brave femme, Jeanne Tamière,
Des gens pas riches, pas fiers. »
-«Quel âge a le petit garçon maintenant ?»
-« Mais, elle n’a pas d’enfant. »
-« Comment ? Et Gilbert, son bébé? »
-« Non, vous vous trompez. »
-« Celui qu’elle a eu en Italie. »
-« Elle n’a jamais été en Italie.
Elle ne s’est jamais absentée. »
Que m’avait-elle raconté ?
Je ne comprenais pas cette histoire.
-«Je la fais venir dès demain soir.
A ma place, tu la recevras.
Si elle m’a joué, tu lui remettras
Cette somme et je ne la reverrai plus.
Je n’en peux plus. »
Le lendemain, mon frère l’attendit.
-«Vous n’avez pas d’enfant, vous avez menti.»
Après un moment de stupeur, elle dit:
-« Non, je n’ai pas de petit ;
Non, je n’ai jamais voyagé »
Elle rit.
Mon frère abasourdi reprit :
-«Le comte m’a chargé
De vous donner ceci
Et de vous dire que tout est fini, merci.»
Elle empocha l’argent tranquillement
Et demanda naïvement,
Sans aucune honte :
-« Je ne reverrai plus le comte ? »
-« Non, madame. »
Elle ajouta d’un ton calme :
«Je l’aimais bien. Je m’excuse.»
-«Pourquoi avoir inventé cette ruse
Du voyage et de l’enfant ? »
-«Comment retenir autrement trois ans
Un ministre, comte, riche et séduisant ?
C’est fini. Tant pis. »
Elle se leva. Mon frère reprit :
-« Mais…vous en avez un…petit ? »
-«Celui de ma sœur, pour le montrer si…»
-« Bon… et toutes ces lettres d’Italie ? »
Elle se rassit et de nouveau rit :
« Ces lettres ?, C’est un poème en vers !
Le comte étant aux Affaires étrangères,
J’ai connu une employée
Du courrier diplomatique.
Je l’ai payée.
C’était pratique.»
Et saluant, elle sortit
En actrice dont le rôle est fini.
Et le comte signala :
«Fiez-vous donc à ces oiseaux-là ! »