J’ouvre régulièrement ce blog à des personnes autres. Sabine, Solange, Daniel, Alain y ont déjà écrit sous leur nom. Aujourd’hui, Jean-Christophe publie son opinion sur le dernier éclat médiatique du Président.
“Je désapprouve le parrainage d’un enfant juif disparu durant l’extermination par les nazis et leurs collaborateurs par un enfant français de notre temps. Même si, au départ, je peux comprendre les bonnes intentions que constitue la proposition de notre Président de la République. A mettre sans aucun doute, sous le coup de sa pulsion lyrique, ou plus intime, qui lui impose de marquer l’instant, de susciter l’attention du plus grand nombre, de laisser une place dans l’histoire et de proposer de nouvelles palabres au sein de la communauté des Français. Il en est d’un grand nombre de choses, comme la lettre de Guy Môquet.
En accord avec mes principes de laïcité au sein du système éducatif, il ne me semble pas opportun, ni souhaitable, de faire supporter à nos enfants, et de cette façon là, le poids de notre histoire, ainsi que l’héritage des horreurs perpétrées que nous devons assumer en tant que collectivité. Car, à défaut, de la concorde recherchée, nous pouvons craindre la relance de l’antisémitisme et des exactions anti-ethniques et cultuelles. Au risque aussi de « l’extension du domaine de la lutte » car il faudrait alors faire leur juste place aux horreurs des génocides arménien, cambodgien, algérien, africain et yougoslave récents, ainsi que de nos responsabilités collectives lors de la l’esclavage et de la colonisation.
Chacun de nous sait combien l’extermination systématique des hommes, des femmes et des enfants parce qu’ils étaient juifs, avant que d’être citoyen d’un pays européen est un crime contre l’humanité imprescriptible.
Nous sommes de la génération qui a vu “Nuit et Brouillard”. Car lors de la projection de ce magnifique film, le processus d’identification a joué à plein. Jamais, je n’oublierai la chanson de jean Ferrat : « nous étions vingt et cent dans ses wagons plombés… » Et l’appropriation de ce moment de l’histoire à jamais dans nos mémoires de jeunes, incita un grand nombre d’entre nous à aller sur place pour témoigner, ou se rendre en Europe de l’Est là ou nous pouvions nous rendre (Tchécoslovaquie 1974), par rejet de tout antisémitisme. En ce temps-là et encore maintenant, nous sommes de ceux qui pensent que notre conscience républicaine passe par les grandes œuvres, l’art, le théâtre et le cinéma.
Chacun de nous a communié aussi, en avril 2007, au Panthéon, avec notre ancien Président de la République et Simone Veil, à l’hommage public rendu aux Justes, cette minorité d’hommes et de femmes français, de toutes conditions et religions en France qui, encore aujourd’hui, ne tirent aucune gloire personnelle d’avoir sauvé de la mort certaine des centaines d’enfants et de familles juives pendant l’occupation. Parce qu’elles avaient agi en conscience, en citoyen et en homme ou femme libre.
Attaché au devoir d’histoire, plutôt qu’au devoir de mémoire, je n’en suis pas moins sensible à l’appropriation progressive du statut de citoyen par nos enfants, l’un de deux piliers de l’enseignement laïque et républicain. En bref, à la meilleure façon de marcher. C’est dans ce qu’il tire de sa connaissance de l’histoire, en fonction de sa spiritualité, religieuse ou laïque, que chacun de nos enfants pourra réagir de son mieux face aux événements auxquels ils seront inévitablement confrontés, adultes.
Pour cela, rien ne remplace le travail des enseignants, l’importance de l’histoire, de la littérature et de l’histoire des arts. A nos enfants de leur faire une place dans la durée, et dans leurs vies.”
Jean-Christophe COTTA, Fondateur d’Allocation & Sélection, société de conseil en finance, enseignant des universités.
Editorial de la revue d’histoire en ligne Hérodote sur le sujet.