Si vous avez des enfants qui ne jurent que sur le ballon rond… mais qui se récrient chaque fois que vous leur proposez une lecture, Rêve de foot sera peut-être le moyen de concilier agréablement les deux choses : c’est le foot au cœur de la lecture.
L’histoire commence à Kinshasa avec, au centre, les faseurs, les enfants de la rue. Bilia, le héros, est un adolescent de 13 ans. Il n’est pas sans toit, mais sous un ciel où la vie se conjugue chaque jour sur le mode de la précarité et un père qui a sombré dans l’alcool après le décès de sa femme, ses frères et lui n’ont pas beaucoup d’options. Un jour, poussé par la faim, Bilia, dont le nom veut dire justement « nourriture » en lingala, dérobe quelques bananes. Il se retrouve à la prison pour mineurs de Kitambo, où les conditions sont très dures sous la férule du caporal Katanga. Celui-ci espère ainsi leur faire passer l’envie de recommencer, même si c’est souvent le contraire qui se produit : des jeunes qui s’endurcissent et désirent désormais faire payer à la société le fait de les avoir conduits, à cause d’une vie ingrate, entre les murs d’une prison, sentiment que le héros des Misérables, Jean Valjean, incarne à merveille au début de son parcours. Bilia n’est pas un délinquant, malheureusement il se retrouve derrière les barreaux.
"La prison pour mineurs de Kitambo est un passage obligé pour de nombreux gamins des quartiers populaires. La vie n’offre pas d’alternative et jouer au gardien et au voleur est un rite, une sorte d’apprentissage pour trouver sa place dans le monde des grands. L’art de la débrouille, c’est le pain quotidien ; il vous permet de gagner votre pain. Si les choses tournent bien pour vous, vous vivez comme un pacha. Si les choses tournent mal, vous finissez à Kitambo." (Rêve de foot, p. 10)
Puis une idée est lancée en prison : organiser un match de foot entre les jeunes détenus et les enfants du quartier. Pour les jeunes prisonniers, c’est une belle occasion de quitter leur geôle, ne fut-ce que pour quelques heures, et de penser à autre chose qu’à leur triste condition. Pour Bilia, ce match fera prendre à sa vie une nouvelle dimension. En effet un spectateur, suivra la partie avec beaucoup d’attention. Intéressé par le jeu de Bilia, il décide de tout faire pour l’emmener avec lui, en Italie, afin de le voir évoluer en club.
Même s’il y gagne énormément, Riccardo, journaliste et écrivain, essaie de faire de telle sorte que le jeune Bilia et les siens y trouvent également leur compte. Il n’est pas seulement l’agent de Bilia, il devient aussi son ami, son aîné, son ‘‘parent’’, celui qui sera toujours là pour le soutenir en toutes circonstances. Bien évidemment, cela ne se passe pas toujours ainsi. L’on décrie aujourd’hui ces européens véreux qui font miroiter monts et merveilles à de jeunes génies du foot, lesquels se retrouvent complètement perdus, largués lorsqu’ils arrivent en occident. Le rêve prend des allures de cauchemar. Dans le roman de Paul Bakolo Ngoi, le rêve se mue en réalité.
"Durant ses voyages en terre africaine, Riccardo s’est souvent occupé de ballon. Il en a fait le sujet d’un reportage en trois épisodes qu’il a vendu à un quotidien national, y gagnant pas mal en argent et en renom. Il connaît assez bien les mécanismes qui conduisent de nombreux managers sans scrupules à chercher dans les villes et les villages africains de jeunes talents à valoriser dans les équipes européennes. Et il sait que ces mécanismes ne sont pas toujours corrects. Des règles seraient nécessaires en ce qui concerne l’engagement des mineurs, leur transfert à l’étranger. Mais en Afrique, on ferme les yeux sur de nombreuses règles. Et il existe une véritable traite des très jeunes footballeurs." (p. 50)
Les difficultés du jeune africain arrivant pour la première fois en Europe, dans un pays dont il doit apprendre la langue, qui doit gérer l'école et le foot et faire des prouesses parce qu’on a misé sur lui, qui doit lutter avec la nostalgie du pays natal, l’éloignement de la famille et des amis, ne sont pas occultées, mais Bilia réussit à s’en sortir parce qu’il a des points d’attache, notamment affectifs. Il se liera d’amitié avec des garçons de son âge, italiens comme africains.
Les jeunes passionnés de foot (et aussi les autres), quelle que soit leur origine, liront ce roman avec beaucoup de plaisir, mais je crois qu’il retiendra particulièrement l’intérêt de jeunes d’origine africaine qui n’ont pas souvent l’occasion de lire des œuvres pour la jeunesse dont le héros est noir.
C’est au hasard de mes commandes sur Internet que je suis tombée sur ce titre. Je l’ai ajouté à mes emplettes, dans l’intention de l’offrir à mon fils qui, pour une fois, n’a pas discuté : « ça parle de foot ? ça se passe au Congo Kinshasa ? » C'était deux arguments forts. Et quand le livre est arrivé : « En plus il n’y a pas beaucoup de pages ! », sous-entendu il aura vite terminé. En effet le livre ne fait que 144 pages et se présente sous un format agréable à lire, avec beaucoup d’illustrations.
Paul Bakolo Ngoi, Rêve de foot, Editions Gallimard jeunesse, 2004 (2003 pour l’édition originale, sous le titre Colpo di Testa), 144 pages, 5.10 €.
L’Auteur : Paul Bakolo Ngoi est né à Mbandaka (République démocratique du Congo) en 1962. Il a quitté son pays pour s’installer à Pavie, en Italie, où il a fait des études de sciences politiques. Il a déjà écrit plusieurs romans et contes qui ont été primés en Italie. Il espère que ses histoires permettront aux lecteurs d’approcher et de mieux comprendre la culture africaine.