Les Palestiniens vont engager en septembre à l’Onu un processus qui va replacer la question de leur accession à un état au coeur du débat sur le Proche-Orient. Dans le contexte d’une région en ébullition, « la question palestinienne », ainsi réactivée, risque de jouer le rôle de détonateur pour une crise régionale grave.
Une mise en perspective est nécessaire, et un excellent point de départ historique reste l’ouvrage de référence dans ce domaine de l’historien américain Howard Sachar, A History of Israel.
Ce que souhaitent les Palestiniens est une élévation de leur statut d’état-observateur à l’Onu à état-membre. Ils veulent également que cette affirmation formelle de l’organisation internationale insiste sur l’existence de leur état dans des frontières qu’ils déclareront unilatéralement. Selon les Palestiniens, ces frontières, au coeur des négociations avec l’état hébreu, devraient suivre les lignes de séparation qui prévalaient avant la guerre de juin 1967 entre Israël et ses voisins.
Une telle déclaration ne sera jamais approuvée par le Conseil de sécurité –les Etats Unis y mettront leur veto–, mais l’Assemblée générale peut s’en saisir, à travers un artifice de procédure qui date des années 50. Et les pays qui la composent, largement en faveur des Palestiniens, pourront alors émettre un vote positif à son sujet. Ce vote n’entraînera ni mise en oeuvre, ni sanctions, mais aura certainement un valeur morale et symbolique. Elle mettra de nouveau en relief la présence sur des territoires réclamés par les Palestiniens, de centaines de milliers de colons israéliens. Cette présence est considérée comme une « occupation » par les Palestiniens et sa nature illégale au regard du droit internationale sera renforcée.
Ces lignes de séparation –dites « lignes de 67″– sont elles mêmes nées des accords d’armistice signés aprés la première guerre entre Israël et ses voisins arabes, immédiatement après la création de l’état hébreu en 1948 et sa reconnaissance par l’Onu. Ces lignes d’armistices avaient été négociées par le truchement de la Grande Bretagne, ancienne puissance mandataire en Palestinie, avec l’Egypte, la Jordanie, le Liban et la Syrie, lors de tractations sur l’île de Rhodes.
L’accord de Rhodes de 1949 prévoyait que des négociations ultérieures permettraient de déterminer des frontières, au plein sens du droit international. Pour les Arabes, décidés alors à détruire Israël, il n’était pas question que de telles négociations aient lieu.
Ces lignes d’armistices ont donc servi de lignes de front pour le conflit à basse intensité qui s’est installé entre l’état hébreu et ses voisins. Cet antagonisme a connu un épisode de guerre ouverte en 1956 avec l’intervention d’Israël, de la France et de la Grande-Bretagne, pour tenter de prendre le contrôle du Canal de Suez. Sous la pression des Etats-Unis, les trois pays durent renoncer à leur projet, replier leurs troupes, et les lignes d’armistices furent rétablies.
La zone de Jerusalem présentait déjà l’illustration parfaite de la complexité du problème. Les Jordaniens avaient progressé dès l’annonce de la création d’Israël dans la zone de la rive ouest du Jourdain que le plan de partition de l’Onu de 1947 avait alloué à un « état arabe » en Palestine. Les troupes d’Amman avaient ainsi pris le contrôle de la Cisjordanie et de la Vieille Ville de Jerusalem, qui abrite les lieux saints. Mais les Israéliens avaient conservé le contrôle d’une enclave, le Mont Scopus, en territoire sous administration jordanienne, à quelques distances de la Vieille Ville.
Cette géographie compliquée des lignes d’armistice allaient être bouleversée par la guerre de juin 1967. Cet épisode est évoqué par le premier ministre Benjamin Netanyahou lorsqu’il parle des lignes « indéfendables » de 1967, pour rejeter les exigences territoriales palestiniennes. Mais, « Bibi » fait peu de cas de l’extraordinaire suprématie dont l’armée israélienne a fait la démonstration durant ce conflit.
Israël a lancé le 5 juin au matin des raids aériens préventifs contre les forces égyptiennes, qui représentaient alors la plus grave menace. Puis les pilotes israéliens se sont attaqués aux Syriens et aux Jordaniens. Au soir du 6 juin, 416 avions arabes avaient été détruits, alors que l’état hébreu avait perdu 26 appareils. Dans les jours qui suivirent, les troupes israéliennes allaient s’emparer du Sinai, jusqu’au Canal de Suez; de la Vieille Ville de Jérusalem, et de la Cisjordanie, jusqu’au Jourdain; et des hauteurs du Golan, qui dominent le territoire syrien en direction de Damas. Finalement un cessez-le-feu fut adopté le 10 juin. En six jours Israël avait ainsi changé la carte et le destin du Moyen-Orient.
Il est difficile dans ce contexte de considérer les lignes de 67, comme « indéfendables », comme le fait le premier ministre israélien. Cette vision fait même injure aux prouesses militaires accomplies alors par l’armée israélienne. Et cette approche déplace un problème qui est politique et historique vers un champ sécuritaire, qui a totalement changé de physionomie depuis juin 1967.
En 44 ans, les relations entre Israël et ses voisins ont été marquées par de nouvelles guerres mais surtout par deux accords de paix avec l’Egypte et la Jordanie. Ces traités ont neutralisé deux protagonistes du conflit israélo-arabe, et rendu caduque la référence à la vulnérabilité de l’état hébreu dans les lignes de 1967.
Par contre, la « question palestinienne », elle, n’a pas disparu. Et les révoltes arabes, saluées en Occident comme un réveil démocratique salutaire, l’ont placée dans un contexte qui met Israël en difficulté. Les exigences palestiniennes à l’auto-détermination, à la mise en oeuvre de leur état dans des frontières reconnues, va être plus difficile à ignorer. Et Israël va se retrouver dans la situation peu enviable où son attitude à leur égard sera comparée à celle de « tyrans arabes », dont les peuples ont obtenu le départ.
Les responsables israéliens redoutent avec raison ce qu’ils appellent la déligitimisation de l’état hébreu, dont les Palestiniens ont fait un objectif de leur campagne pour leur propre reconnaissance. Mais, pour le moment, les arguments de Benjamin Natanyahou, y compris dans son face à face avec le président Barack Obama, ont été insuffisants à redonner à l’état hébreu les avantages diplomatiques et politiques que sa victoire stratégique de 1967 lui avait conférés.
Dans le contexte trés instable du Moyen-Orient, marqué par le changement de régime en Egypte, la contestation de la monarchie en Jordanie, la déstabilisation de la Syrie, mais aussi la permaence d’une capacité forte d’action armée de groupes comme le Hamas et le Hezbollah, le face à face israélo-palestinien qui va s’exacerber en septembre. Et il risque d’être de jeter la région dans une nouvelle tempête.