Non pas que je n’ai pas envie de retourner à Alep ou de prendre le bus quand il fait bien chaud.
Non pas que je n’ai pas envie de remettre un coup dans la porte chez les gars qui m’hébergeaient et d’aller me poser sur le canapé comme si de rien n’était.
Mais c’est plus fort que moi, je ne serai plus journaliste en Syrie.
Je me souviens, quand je bossais en presse locale et qu’il fallait traiter de la vie de certaines associations dont je faisais partie, je me refusais à les couvrir parce qu’engagée.
J’ai toujours fait le distingo entre mon travail de journaliste et mon engagement citoyen. Ca m’est revenu il y a quelques jours quand un copain m’interpelle sur un de mes twitts. Celui-ci commençait par « crêve Assad ! » et alors ? « Alors, pour une journaliste… » même les journalistes ont des idéaux, il leur arrive de dormir la nuit, manger des pâtes, voire de se laver les dents avant d’aller dormir (des fois), comme des gens normaux.
Et des fois, les journalistes, ils ont aussi des causes qui leur tiennent à cœur.
La Syrie, j’y étais allée en touriste, bosser un peu il y a un an. Rien de bien transcendant niveau boulot mais un bon plan niveau touriste. C’est en y retournant, en laissant ce pays derrière moi une nuit de fuite, il y a quelques mois… Quelques semaines, en fait, que ce pays m’a touchée.
C’est vrai que je ne l’avais pas précisé plus tôt, pensant que c’était assez clair certainement, mais il n’est plus question de porter un regard purement professionnel sur la Syrie tant il est impossible, quand on est au courant (et encore, nous ne savons pas tout...), de s’en désintéresser.
Donc non, je ne serai plus journaliste en Syrie, ce drôle de pays où on visite tes boites mails, où on trafique ce que tu envoies, où on passe ton facebook en arabe pour que les pages soient plus faciles à lire, où des activistes et des journalistes disparaissent.
Quand la révolution a commencé, fin mars, c’était déjà assez costaud.
Je me souviens d’un 3 avril, Le cousin du Charognard offrait via sa boite, Syriatel, des heures d’appel gratuites. Il suffisait de composer un code… et de recommencer une fois l’heure consommée. Ce qui avait eu pour résultat de saturer l’ensemble du réseau, le pseudo-concurrent MTN dépendant aussi de ses lignes.
La semaine suivante, ils ont fait le même coup un vendredi. Pas bêtes, les gus.
Je me souviens de gens, de visages, de luttes, de manifs qui avaient du mal à prendre, de mecs enfermés dans une mosquée, des images sur Al Jazz qu’on regardait dans la cour avec les copains, montrant des foules que nous venions de quitter.
Je me souviens de la peur. La leur, les regards, la tension même chez des amis qui vivaient ensemble. La mienne aussi, et pourquoi tu me regardes ? Et pourquoi tu me suis ? Et non, tu n’aurais pas mon numéro de passeport. L’adrénaline, aussi, c’est une sale drogue. La peur, jamais ressentie, en fait, jamais comprise, jusqu’à ce jour. Jusqu’à après.
A la peur succède la méfiance et le dégoût
Regarder la suite en grimaçant. Grimacer devant la télé, penser aux gens, encore, et s’apercevoir, un jour de plus, qu'ils existent encore. S’apercevoir au fil du temps que certains maigrissent, d'autres donnent de moins en moins de nouvelles, que les photos de profil facebook genre période rouge, ça veut bien dire quelquechose, non ?
Once upon a time, on pouvait communiquer avec la Syrie.
Aujourd’hui, Skype est down quasi tous les jours et vendredi dernier, les Syriens ont eu droit à un combo Facebook, skype et youtube bloqués en même temps. Parfois skype fonctionne, épisodiquement, avec un proxy. En ce qui concerne Facebook, c’est lent et la connexion est aléatoire.
C’est déjà mieux que la coupure totale du mois de juin qui, en plus de les priver d’information, les prive de faire sortir des images, des infos et permet à d’autres de tuer dans l’obscurité la plus totale.
On m'a dit qu'aujouord'hui, même les proxys et outils genre Tor sont espionnés. Chose que j'ai du mal à croire, parce que non vérifiée par bibi, mais si c'est le cas, c'est vraiment chauds les marrons.
Donc, non, je ne serai plus journaliste en Syrie puisque la situation est trop grave et que trop de gens et de dirigeants ferment leur gueule, et leurs yeux, hésitent, sur une horrible situation. Puisque pour ma part, aussi, il m’est impossible d’être objective sur ce sujet (clique, attention, vidéos très chocantes).
J’ai quitté ce terrain en avril, je ne peux donc pas vous dire ce qu’il se passe exactement dans ce pays. Je vous invite à lire ce rapport de la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH) qui explique pourquoi elle classe Bachar el Assad en criminel contre l’humanité. Si vous ne lisez pas l’anglais, rendez-vous à la page 37. Jusqu’à la page 80, l’association a répertorié blessés, disparus, arrêtés, avec les quelques infos qu’elle a pu avoir : âge, traces de tortures, lieu du décès, etc… S’il vous plait, faites circuler ce rapport autour de vous.
Donc non, je ne serai plus journaliste en Syrie parce que j’ai envie de prendre position.
Le président a demandé de changer l’heure, un peuple a décidé de gérer l’horloge et comme le président ne voulait pas, il a envoyé les blindés et les armes. Depuis le pays est en feu.
Burn, motherfucker, burn !
Bloodhound Gang - The Roof is on Fire par Dan_of_the_Land