Le rapport n°3629 de l'Assemblée nationale a été enregistré le 6 juillet dernier. Les commentaires ont été rares. Ce jour-là, l'espace médiatique était encore tout encombré de l'immense hommage de Nicolas Sarkozy, deux jours auparavant à ... Georges Pompidou. Et oui, sans rire, cette semaine-là, l'actualité de Sarkofrance s'était arrêté sur un trop long discours du Monarque à l'occasion du 100ème anniversaire de la naissance d'un ancien président fumeur de gitanes décédé il y a 37 ans.
Ce rapport parlementaire que les communicants de l'Elysée ne commentaient pas avait été rédigé par deux députés, Michel Issindou (socialiste) et Denis Jacquat (UMP). Il portait sur la réforme des retraites, adoptée officiellement le 9 novembre 2010 : « il recense et présente les différentes mesures réglementaires qui ont été prises pour l'application de la loi et répertorie les mesures qui n'ont pas encore été publiées ».
1. L'installation du Comité de pilotage des Retraites (COPILOR), avec ses 45 membres, a été très tardive, comme si le gouvernement Sarkozy s'en fichait. Or ce COPILOR est un instrument fondamental: la loi prévoyait que le COPILOR doit rendre un avis chaque année avant le 1er juin « sur la situation financière des régimes de retraite, sur les conditions dans lesquelles s'effectue le retour à l'équilibre du système de retraite à l'horizon 2018 et sur les perspectives financières au-delà de cette date ». Il doit notamment rendre un avis chaque année avant le 1er juin. Devinez quoi, le COPILOR a été installé... le 31 mai 2011.
2. Le fameux « droit à l'information » sur les retraites, célébré par Eric Woerth quand il était ministre du Travail l'an dernier, n'a toujours pas été mis en oeuvre. La loi prévoyait que « suivant la première année au cours de laquelle il a validé au moins une période d'assurance dans un des régimes de retraite obligatoires, l'assuré bénéficie d'une information générale sur le système de retraite par répartition, notamment sur les règles d'acquisition de droits à pension et l'incidence, sur ces derniers, des événements susceptibles d'affecter sa carrière. Il faut noter que cette information devra comporter des éléments relatifs à la possibilité de surcotisation en cas de temps partiel afin de sensibiliser les femmes à l'impact du déroulement de leur carrière sur leur retraite. » Le décret d'application de cette disposition n'est prévu que pour septembre prochain, alors que la réforme a produit ses premiers effets le 1er juillet dernier.
3. Similairement, l'entretien personnalisé de chaque assuré à partir de 45 ans est loin d'être mis en oeuvre : le décret n'est même pas paru. Les rapporteurs ont noté que « l'entretien individuel ne sera pleinement mis en œuvre qu'à compter du 1er janvier 2013 ». Pire, « La simulation du montant prévisionnel de la retraite de chaque assuré sera quant à elle opérationnelle au 1er juillet 2014 ».
4. En revanche, toutes les dispositions nécessaires ont été prises pour la mise en oeuvre des mesures d'âge: « L'ensemble des décrets nécessaires à la mise en œuvre de ce volet de la loi du 9 novembre 2010 ont été pris dans les temps pour permettre une application au 1er juillet 2011 ».
5. Les rapporteurs rappellent les hypothèses de la réforme sur ces décalages d'âge. Concernant le report de 60 à 62 ans de l'âge minimal, le gouvernement attend 10% de départs à la retraite en moins dès 2011 (soit environ 64.000 départs de moins) : « À peine trois ans après l'entrée en vigueur de la réforme, plus de la moitié des assurés devraient décaler leur départ. » Le dispositif carrières longues a cependant été élargi, ce qui va en augmenter le nombre de bénéficiaires (25.000 en 2009 à 80.000 estimés en 2015).
6. Concernant le report de 65 à 67 ans de l'âge de retraite à taux plein, les rapporteurs détaillent les exceptions, précisées depuis la réforme par différents décrets. Contrairement aux simplifications oratoires du gouvernement l'an dernier, les aidants familiaux de personnes âgées dépendantes ou atteintes de maladies chroniques, les assurés handicapés à moins de 50%, les parents d'enfants handicapés qui ne remplissent pas les deux conditions alternatives fixées (« être bénéficiaire d'au moins un trimestre au titre de la majoration de durée d'assurance pour enfant handicapé » ou prouver « avoir été salarié ou aidant familial, pendant une durée d'au moins trente mois, de leur enfant, bénéficiaire de l'élément de la prestation de compensation du handicap lié à des besoins d'aides humaines, auquel ils ont apporté une aide effective ») sont exclus de toute dérogation.
En septembre 2010, Nicolas Sarkozy avait concédé un assouplissement certains parents de plus de trois enfants nés entre le 1er juillet 1951 et le 31 décembre 1955 inclus, estimés par la CNAV à 79.000 personnes au total.
7. Le départ anticipé des mères fonctionnaires de trois enfants et justifiant de 15 ans de cotisation a été supprimé de façon progressive, par un décret du 30 décembre dernier. Mais les autorités ont été surprises par l'afflux de demandes de départ depuis janvier : deux fois plus que l'an passé (18.800 au cours du seul premier semestre).
9. A cause de la réforme, les périodes de services dans la fonction publique sans être titulaire ne seront plus validées pour bénéficier de ce régime de retraite. Un décret a précisé que cette modification sera effective dès 2013 (sauf pour les trimestres déjà validés) et intégralement effective à compter de 2015.
10. Trois régimes spéciaux n'ont finalement pas été alignés sur le régime général des reports d'âges: l'Opéra national de Paris, la Comédie française et les clercs et employés de notaire. On attend toujours les décrets. Pour les autres (cheminots, etc.), tout est en « règle ».
11. Sur la pénibilité, la loi prévoyait l'obligation de négocier des accords de prévention dans les entreprises de plus de 50 salariés ayant une proportion minimale de salariés « et employant une proportion minimale de salariés exposés aux facteurs de risques professionnels liés à la pénibilité ». Neuf mois après l'adoption de cette réforme, les décrets sont toujours « en cours de signature ». L'un définit la proportion minimale à ... 50%. Autrement dit, une entreprise (ou un groupe) dont moins de 50% de ses salariés sont exposés à une pénibilité professionnelle n'a aucune obligation d'accord.
12. La seconde « prise en compte » de la pénibilité par la réforme était cette fameuse dérogation de retraite anticipée pour les handicapés du travail. On s'en souvient, Sarkozy avait d'abord confondu pénibilité et invalidité; puis, grand seigneur, il avait fini par accepter qu'un salarié handicapé à 10% (et non pas seulement 20%) pour des raisons professionnelles devait pouvoir partir « comme avant ». Les décrets et arrêtés
- les professions indépendantes sont exclues du dispositif.
- entre 10 et 20% d'invalidité, l'assuré de plus de 60 ans devra : (1) « apporter la preuve qu'il a été exposé pendant au moins dix-sept ans à un ou plusieurs facteurs de risques professionnels relevant de trois domaines : "des contraintes physiques marquées", un "environnement agressif" ou des "contraintes liées à certains rythmes de travail" » ; et (2) recevoir « l'avis favorable d'une commission pluridisciplinaire chargée d'apprécier la validité des modes de preuve et l'efficacité du lien entre incapacité permanente et exposition des risques ».
- si l'assuré cumule plusieurs handicaps dépassant au total 20% d'invalidité, l'un de ses handicaps au moins doit être de 10%.
- quand l'assuré fait sa demande de dérogation à sa caisse de retraite, « le silence gardé par la caisse pendant plus de quatre mois vaut décision de rejet ».
- Ces retraites anticipées pour « pénibilité » seront financés par une majoration de cotisation pour accidents du travail à compter de 2012.
13. Seules les indemnités de congés maternité débutant après le 1er janvier 2012 seront prises en compte dans l'assiette de calcul de la retraite.
14. En matière d'égalité professionnelle hommes/femmes, le gouvernement exige que les entreprises de plus de 50 salariés incluent un plan d'action dans leur rapport annuel au comité d'entreprise, et concluent un accord relatif à l'égalité professionnelle. En cas de manquement, la loi prévoyait une pénalité de 1% de la masse salariale nette. Non seulement le décret d'application n'a pas été publié, mais le projet qui circule prévoit que la pénalité puisse être annulée par le seul directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte). Ce dernier « décide s'il y a lieu ou non d'appliquer la pénalité à l'entreprise ». Les rapporteurs notent « la volonté de ne pas accabler financièrement les entreprises » qui « justifie une certaine prudence dans la mise en œuvre de la nouvelle pénalité». « De plus, » ajoutent-ils, « l'application de la loi doit tenir compte des moyens de contrôle de l'inspection du travail, qui demeurent limités ». Autrement dit, à quoi bon les sanctions, puissent qu'on manque de moyens pour faire appliquer une loi déjà modeste en ambitions...
15. Le gouvernement a finalement décidé de supprimer l'aide à l'embauche des demandeurs d'emploi de 55 ans et plus, prévue par l'article 103 de la loi. L'étude d'impact de cette dernière l'évaluait à 14% du salaire pendant 12 mois. Le gouvernement a décidé de la remplacer par « une aide de 2 000 euros versés à toute entreprise qui embauchera un demandeur d'emploi de 45 ans et plus en contrat de professionnalisation. » Mécontents, les rapporteurs « s'étonnent que le Gouvernement s'en rende compte après la promulgation de la loi, alors même que le dispositif figurait dans le projet de loi déposé par le Gouvernement. »
16. Le décret nécessaire à la mise en œuvre de l'aide au tutorat (article 104 de la loi) n'a pas encore été publié.
En résumé, qu'apprend-on ? Que les mesures d'économies ont toutes fait l'objet d'une mise en oeuvre; et que la plupart des contreparties un tant soit peu sociales avancées par le gouvernement l'an passé sont encore dans le no man's land administratif...
Etes-vous vraiment surpris ?
Crédit illustration: Ceecee