Et ce fut long, très long...
C'est vraiment la pensée qui me tenait lorsque j'ai enfin retrouvé les 2 Alpes vendredi, 53 heures après en être parti. Toutefois, ce n'était pas un sentiment totalement négatif qui m'accompagnait dans ces derniers mètres. Bien sûr, j'étais un peu trop fatigué avant cette épreuve pour bien l'apprécier et la traverser sans souffrance, mais bon j'avais aussi le sentiment d'être tout de même aller au bout d'une épreuve hors-norme, ce qui n'est pas si mal.
Mais revenons en arrière. Tout avait donc commencé le mercredi, à 8 heures du matin. Je partais à "l'assaut" (enfin c'est beaucoup dire!) de ces 180 kms (il parait même qu'au final, il y en a davantage) et 12000 mètres de dénivelé en compagnie de quelques 260 autres candidats. Ca ne me paraissait à vrai dire pas gagné d'aller au bout, tant le parcours est dur (je le connais...) et ma forme plutôt bien attaquée par tout cet enchaînement de courses et de sorties en montagne ces derniers temps. Le voyage au Pérou n'est vraiment pas loin et je ne peux pas dire que j'en sois revenu avec une tonicité très importante et une envie de compétition surtout, décuplée. C'est même un peu l'inverse. Mais bon, je suis quand même content d'être là, surtout qu'avec les organisations de SMAG l'ambiance est toujours excellente et j'ai pu en profiter déjà pendant ces deux journées sur place avant le départ. Et puis, malgré tout, l'idée de faire le tour ne me déplait pas, c'est un défi de plus. Enfin, j'effectue un reportage sur le vif, en filmant en prime tout au long de ma course, une bonne excuse pour aller au bout sans trop se presser, quelques soient les conditions.
Photos de Pierre Dufaud
Nous commençons aussi sec par une descente assez raide. Il fait encore beau, ça ne durera pas bien longtemps. Dès la remontée suivante, les gouttes commencent à tomber. De plus en plus fort. Il commence aussi à faire presque froid, le vent se lève. Je suis plutôt, cela m'étonne même, en bonne forme. Je navigue tranquillement aux alentours de la 30e place. Les ravitaillements arrivent vite, j'y plaisante un peu avec les amis, tout va bien. Certes, c'est de loin la partie la plus facile du parcours, mais tout de même, c'est mieux que ce à quoi je pouvais m'attendre.
Un peu plus loin, je passe le col de l'Echauda en compagnie de Florent Hubert, monsieur Bioparhom. Nous nous relayons et discutons, c'est agréable. La pluie continue de tomber et le sol est détrempé, ce qui commence à me gêner: mes pieds souffrent un peu de cet humidité. Nous descendons cependant encore à bonne allure jusqu'à Vallouise, où est installée la 2e base vie. Nous sommes tout de même au 90e kilomètre et ça va toujours bien. La nuit tombe à notre arrivée dans la salle. Je prends le temps de me faire un peu soigner les pieds, qui sont tout fripés, et de me restaurer. Pas mal d'amis sont là, l'ambiance est excellente. J'en retrouve qui courent, comme Florent, Valéry (que ça faisait longtemps qu'on ne s'était vu!) ou l'incontournable Alexandre Brissard, et d'autres qui cette fois ci, ne courent pas: Bruno fait des photos et prépare son article, Mathias a laissé tombé très vite, hors de forme et de motivation. Je me sens presque curieusement bien. Alors, sans trop tarder, je repars.
Yves, le père d'Arnaud Mantoux (organisateur en chef de ce TOE), m'escorte sur les premiers mètres, puis j'attends Alexandre qui me rejoint bientôt. Nous entamons la longue, interminable montée vers l'Auc Martin par une portion de route. Ca monte tranquillement, la nuit a envahi les Alpes. Tout va encore bien, et puis d'un coup rien ne va plus: la fatigue, qui devait être bien présente tout de même, s'abat d'un coup sur ma personne. Mon horloge interne se rebiffe, me dit bien fort: "arrêtes tes c...". J'ai sommeil. Les forces m'abandonnent. L'estomac n'est plus très opérationnel non plus. Je dois laisser aller Florent puis Alexandre, qui n'a pourtant pas l'air bien en forme lui aussi. Pas mal de coureurs me dépassent, je dois marquer de petite pauses. J'arrive un instant à prendre le pas d'Irina Malejonock qui me relance un peu de sa foulée rythmée.
Mais bon ça ne dure pas bien longtemps. Je me hisse péniblement, dans la nuit, au sommet de ce col qui décidément n'est pas facile à gravir.
La descente commence également à m'être pénible. Plus rien dans les cannes, les pieds commencent à me cuire sous l'effet de l'humidité... Je prends le parti de continuer tranquillement, jusqu'à l'arrivée sans doute, en sachant que cela risque d'être très, très long.
Je parviens au refuge de Pré-chaumette en compagnie de Valéry, presque au petit jour. Nous y retrouvons le sourire de Sonia, qui officie en tant que bénévole cette année, et Alexandre, arrivé à peine avant nous. Le temps d'essayer de récupérer un peu et d'attendre que le soleil se lève et nous repartons tous les trois, pas bien fringuants, vers le col de Vallonpierre. Le sommeil m'assaye encore et je dois laisser filer une nouvelle fois mes compagnons de route dans les premiers lacets. J'avoue ne plus bien me souvenir de la fin de cette montée... Je la gravie un peu dans un état second.
Dans la longue descente qui nous mène à la Chapelle en Valgaudemar mon état s'améliore un peu. Je vais très lentement, il faut dire. Certains coureurs, comme Olivier Tribondeau, avec qui j'ai partagé quelques kilomètres au début de la course, me dépassent pour la dernière fois. Je n'en rattrape qu'un: Valéry Caussarieu. Enfin un qui va plus lentement que moi! Nous profitons du paysage et bavardons. Nous nous offrons même une petite pause dans le dernier gîte avant la route. Un café, un verre de sirop de citron, nous nous requinquons un peu et prenons notre temps. Il n'est plus question d'aller bien vite pour moi, et Valéry a décidé d'arrêter à la Chapelle. Il est vrai que nous avons connu des jours meilleurs en terme de célérité, sur les chemins népalais il y a quelques années... Bon nous avons de bonnes excuses: Valéry s'entraîne moins à cause d'une formation professionnelle prenante et moi, ben... je suis fatigué!
La route est longue, quand on marche, pour aller à la Chapelle. J'y arrive seulement vers 14h. Là, l'ambiance est toujours aussi conviviale. Nous retrouvons les bénévoles et Alexandre, qui a lui aussi décidé d'arrêter là. Quant à moi je suis décidé à continuer et à essayer d'aller au bout. Je ne suis pas en grande forme mais bon ça devrait aller. Seuls mes pieds, vraiment tous fripés, m'inquiètent car ils commencent sérieusement à me faire mal. Je les laisse sécher un moment au soleil, qui est revenu, ainsi que mes chaussettes. Ce traitement a du bon et je repars finalement d'un bon pas, toujours le long de la route en longeant la rivière.
Cette partie plate me repose un peu avant d'aborder les très longs et difficiles cols qui suivent. Je ne connais que trop bien cette fin de parcours; j'y ai notamment "traîné" un mois auparavant en compagnie de Mathias, sur une reco pas vraiment probante. Les premiers lacets du col de Vaurze m'accueillent sous un chaud soleil. Cela ne durera pas. Un peu plus loin, l'orage éclate. Je suis alors en compagnie d'Arnaud, un coureur du défi de l'an passé, avec qui je vais unir mes efforts pendant un bon moment. Nous avançons, sous la pluie, à un rythme régulier. Le sommet est loin... Nous l'atteindrons pourtant, après une longue ascencion. La descente vers le Désert est pénible: avec l'orage, mes pieds sont à nouveau humides et de plus en plus douloureux, les muscles d'Arnaud ne sont guère opérationnels. Et la descente est technique, rocheuse.
C'est déjà un soulagement d'arriver en bas, où se trouve un petit ravitaillement. Le col de Côte Belle est certes un peu moins difficile, mais nous allons le grimper à nouveau dans la nuit. Nous croisons d'ailleurs, apparition fantasmagorique qui préfigure les hallucinations dont je serai victime par la suite, un troupeau de chèvres aux yeux verts brillants, qui semble s'intéresser à nos cas. Je donne le rythme à notre cordée dans cette longue montée herbeuse.
La descente sera un vrai calvaire. J'ai de plus en plus mal aux pieds et les lacets n'en finissent pas de descendre, lentement, vers la rivière et Valsenestre. Arrivé sur la piste, enfin, je ne peux pratiquement plus poser les pieds par terre. La douleur sur la voûte plantaire est terrible, j'ai l'impression d'avoir la peau des pieds à vif. Sur les cailloux, c'est insupportable. Mais j'arrive enfin à Valsenestre.
Là, ma première hâte est de retirer mes chaussures et chaussettes pour permettre à mes pieds d'arrêter de cuire et aussi de constater les dégâts. L'état de mes pieds est un peu effrayant et en tous cas effarant. Comment ce phénomène a t il pu se produire? Certes j'ai la peau plutôt fragile à l'humidité et les conditions ont été exceptionnelles mais tout de même! Après m'être un peu restauré je me dirige vers la salle où officie les podologues et les kinés, sans soins je pense tout de même avoir du mal à repartir.
J'y retrouve heureusement mes amies Lucile et Fanny, qui vont me sauver la mise. Le temps de regarder Lucile soigner les pieds assez abîmés tout de même de Georges Galle (dit Jojo les moustaches), pour s'échauffer, et me voilà sur la table. Je vais y rester près de deux heures! Il faut bien ça: Lucile (après m'avoir sermoné sur la nécessité de préparer mes pieds et avouait qu'elle n'en avait encore jamais vu des comme ça!) tente un traitement à base de nok. Ma plante de pied et très sensible et je suis vraiment un patient peu commode pour cette raison.
Cela dit le traitement fait bon effet. Avec en prime un énergique et efficace massage prodigué par Fanny, grâce à ces deux jeunes filles aux petits soins pour moi, je peux repartir avec beaucoup moins de souffrance pour le dernier tronçon et ainsi terminer, tout de même, cette longue course. Je les remercie de tout coeur!
Je repars pratiquement au petit matin. Cela me permet d'admirer le paysage en montant, pas bien vite mais tout de même, vers la Muzelle, le dernier grand col du parcours. Très connue par son final dans les schistes elle n'est pas si difficile que ça. Un peu avant son sommet, je peux y admirer une mer de nuage que dominent les sommets des Ecrins. Le manque de sommeil se manifeste cependant encore, et outre les assauts répétés du marchand de sable, je dois aussi composer avec un phénomène auquel je n'ai jamais été confronté à ce point: les hallucinations. Les rochers s'animent, deviennent des groupes de randonneurs ou bien des animaux, un panneau d'indication fait son apparition dans les arbres lors de la longue descente vers Venosc. Comme je suis tout de même lucide, je m'amuse presque de ces apparitions que je sais tout de même être illusion, mais tout de même, il est temps que cela se termine.
La dernière montée est heureusement la moins difficile. Certains y retrouvent même un esprit de compétition que je laisse vite au placard. Je souhaite juste terminer. Après une dernière promenade dans les 2 Alpes, je rejoins enfin, au bout de 53h sur mes pieds, cette ligne d'arrivée.Un sentiment mêlé, et cette phrase, la première citée, dans la tête: "ce fut long, très long"... Là, je retrouve bien sûr pas mal d'amis et peut enfin goûter un vrai repos.
Comme plus des 3/4 des partants, je suis donc allé au bout de l'aventure. Une aventure pour beaucoup et une victoire pour mon ami Lucas Humbert, qui s'impose de manière plus que convaincante devant Cyril Coincoin et Pablo (avec qui j'avais couru l'an passé sur la Costa Brava Extreme run).
Merci à tous pour vos encouragements qui aident bien dans ces cas là, et là, oui, le repos sportif va vraiment être une de mes priorités ces prochains jours. Il faut que je récupère vraiment de tout ça...