Ne manquez pas le dernier édito du cuistre Joffrin dans le Nouvel Obs : un modèle du genre intitulé « L’école de la haine », prenant appui sur le carnage opéré par le malade Anders Breivik en Norvège pour faire l’amalgame avec tout ce qui compte dans le cosmos de personnages et sites webs hostiles au multiculturalisme (la fameuse « école de la haine »), cheval de bataille de ce clown invertébré.
Sur la forme, tous les apôtres de cette doctrine moderne sont les héritiers de tous les pacifistes et anti-racistes de tous poils prospérant sous nos latitudes (et nulle part ailleurs) depuis plusieurs générations :
-Ils se distinguent par leur sectarisme et leur intolérance ; paradoxalement, ces apôtres d’une humanité aimante et fraternelle sont les premiers à appeler à la censure voire au meurtre (cf la préface de Sartre à l’ouvrage anti-colonialiste de Fanon) de tous ceux qui ne partagent pas leur religion,
-la reductio ad Hitlerum est la règle : tous les hérétiques sont des salauds, un danger, un problème pour la démocratie, une source de crispation nauséabonde, des « hussards bruns », des paranoïaques obsédés par l’identité et l’enfermement, l’exclusion, la xénophobie, la haine de l’autre, etc., des nazis en fait,
-comme tous les adeptes d’une religion, ce sont des croyants c’est-à-dire des hommes, des femmes inaccessibles au discours rationnel et tout ce qui ne rentre pas dans leur cosmos n’existe simplement pas ou doit être liquidé. Cf. la réplique de Raymond Aron à Jean Hyppolite, vieille baderne progressiste et pacifiste, lors de la soutenance de la thèse de doctorat de Julien Freund à la Sorbonne. Freund soutenait qu’il n’y a de politique que là où il y a un ennemi. Hyppolite : « Si vous avez vraiment raison, il ne me reste qu’à cultiver mon jardin ! » A quoi Freund répondit : « Comme tous les pacifistes, vous pensez que c’est vous qui désignez l’ennemi. Or c’est l’ennemi qui vous désigne. Et s’il veut que vous soyez son ennemi, vous pouvez lui faire les plus belles protestations d’amitié, du moment qu’il veut que vous soyez l’ennemi, vous l’êtes. Et il vous empêchera même de cultiver votre jardin! » Hyppolite dit alors : « Si c’est comme ça, je n’ai plus qu’à me supprimer »…Aron lui fait alors la remarque que cette attitude est consternante en ce sens qu’il est tragique de voir un homme tel que lui refuser d’admettre la réalité au motif que celle-ci ne corrobore pas sa vision du monde (en l’occurrence son pacifisme d’avant-guerre).
Sur le fond, Joffrin n’explique évidement en rien en quoi cette idéologie multiculturaliste (qui reste à définir, disons qu’il s’agisse de relativiser –de mettre en retrait- sa propre culture au profit de cultures étrangères) devrait être le nouvel horizon de nos sociétés ni en quoi cette théorie (theoria –le regard) serait plus légitime que celle qui prévaut depuis la nuit des temps : des sociétés globalement culturellement et ethniquement homogènes. Et là je vois s’allumer dans les yeux des kapos du web cette petite lumière imbécile (ça y est, on le tiens, Hoplite est un nazi !) : dire cela ne signifie nullement faire l’apologie d’un nationalisme xénophobe, d’une europe blanche ou de reprendre l’assertion de Goebbels sur le charpentier maître chez lui…
Quels sont les exemples historiques de sociétés réellement multiculturelles qui n’aient pas disparu dans un séparatisme violent et le sang (ce qui ne veut pas dire que ce genre d’évolution leur soit propre) ? Qu’on ne me parle pas d’empire, les empires organisaient par en haut la coexistence de peuples divers certes, mais sur des territoires distincts et –bien souvent- avec le maintien de leurs traditions politiques, culturelles ou religieuses propres et souvent irréductibles ; cf. la pax romana.
Quelle est la rationalité de ce projet Babel ? En quoi ces sociétés multiculturelles seraient elles moins violentes, plus fécondes, que celles qui ont toujours prévalu dans l’histoire de l’humanité ? Hérodote fait son Enquête et parcourt la Méditerranée orientale, émerveillé bien souvent, conscient de l’intérêt de faire connaître aux siens mais aussi à ceux qui viendront plus tard (la preuve) la richesse de ces civilisations qu’ils visite. Mais reste un grec. Et pas une amibe multiculturelle.
En quoi le multiculturalisme serait-il le sens de l’histoire ? En quoi y a-t-il encore un sens de l’histoire, après Hegel ou Marx ? En quoi l’idéologie progressiste est-elle encore valide après un XXième siècle post-chrétien trahissant TOUTES ses promesses ?
Pourquoi Joffrin et ses clones aurait-il raison contre Aristote qui mettait les hommes en garde contre le risque de sécession lorsque les hommes de la même cité ne partagent pas les mêmes valeurs civilisationnelles ?
« L'absence de communauté nationale est facteur de guerre civile, tant que les citoyens ne partagent pas les mêmes valeurs de civilisation. Une cité ne se forme pas à partir de gens pris au hasard, et elle a besoin de temps pour se coaguler. C'est pourquoi, parmi ceux qui ont accepté des étrangers pour fonder une cité avec eux, et pour les intégrer à la cité, la plupart ont connu des guerres civiles. Par exemple, les tyrans de Syracuse, en ayant naturalisé les immigrés, ont dû subir des révoltes. Citoyens et étrangers en sont venus à se combattre. » (Aristote, Politique, Livre V)
En quoi tous les Joffrin du monde, tous les apôtres de cette religion multiculturaliste ne seraient ils pas les idiots utiles de tous les Bolloré et tous les Lagardère du monde, de ce capitalisme globalisé (qui avance masqué sous les traits de l’ « humanité », du « développement durable » ou de « united colors ») pour lequel tous les particularismes et les irrédentismes culturels planétaires sont à liquider d’urgence parce qu'obstacles à son déploiement sans fin? Il me parait curieux lorsque l’on érige des sociétés axiologiquement neutres régies SEULEMENT par le marché et le droit et que l’on a évacué le fait Culturel par la porte (avec la religion , la morale, les traditions et les mythes) de parler de « multiculturalisme »…
De quel côté sont la haine et le fanatisme ? Celui de quelques sites identitaires ou simplement critiques isolés, recensés, contrôlés voire fermés arbitrairement ou celui du mainstream culturel, philosophique, politique en cours en Occident orchestré par une oligarchie et ses relais politiques, médiatiques, culturels ?
Pourquoi cette idéologie est-elle propre à l’Occident ? Pourquoi Chinois, Indiens, Maliens ou Inuits n’en ont-ils rien à foutre ?
Et pourquoi à ce moment-là de notre histoire, sur les ruines du monde chrétien et post-chrétien ?
Pour le même Julien Freund, tout cela n’est qu’imposture et foutage de gueule, pour Pierre Bérard, il s’agit peut-être d’une ruse de l’Occident…
« (...) Pierre Bérard - J'en reviens quand même à ce que je disais. Il y a donc l'obligation morale d'aimer l'Autre et de l'admettre dans la communauté politique comme un semblable. Par ailleurs, enfin adoubé comme alter ego, il conviendra sans doute de le pourvoir de privilèges compensatoires justifiés par les souffrances que la xénophobie et le racisme lui feraient endurer. C'est la querelle de la discrimination positive qui commence à poindre en plein pathos républicain...
Julien Freund - L'américanisation comme dit Alain de Benoist.
P.B. - Et, en même temps qu'il se voit invité à entrer dans la maison commune...
J.F. - C'est un spectre, un épouvantail que la gauche agite pour renforcer le vote protestataire.
P.B. - ...Sa promotion de commensal particulièrement choyé à la table citoyenne s'accompagne de la fabrication d'un Autre absolu qu'il est recommandé d'exclure, voire de haïr. Cet Autre brutalement retranché du genre humain, c'est, bien entendu le raciste, le xénophobe... ou, du moins, celui auquel il est avantageux de coller cette étiquette. Ainsi se vérifie cette constante sociologique qui exige que le Nous se construise sur l'exclusion d'un Autre. Et, le paradoxe, c'est que ceux qui font profession de pourfendre l'exclusion sont les premiers à illustrer la permanence de ce principe !
J.F. - Ah... Ce n'est pas un paradoxe, mais comme vous le dites, une vérification, une vérification ironique...
Julien Freund s'esclaffe, longuement, puis se racle la gorge avant de poursuivre.
- ...Ceux qui sont visés, ce sont évidemment les gens d'extrême droite dans la mesure où ils entendent s'affirmer comme des compétiteurs dans le jeu démocratique... mais il se pourrait qu'à l'avenir des strates entières du petit peuple autochtone soient pour ainsi dire la proie de cette exclusion rageuse. En attribuant le racisme aux seuls Européens, l'antiracisme donne de plus en plus l'impression de protéger unilatéralement une partie de la population contre l'autre. Or, en abdiquant le révolutionnarisme lyrique au profit du capitalisme libéral, Mitterrand sacrifie cette clientèle de petites gens bercée jusqu'ici par le discours égalitariste. Vous comprenez, ils ont été habitués à une vision irénique de l'avenir. Et justement, ce sont eux les plus concernés dans leur vie quotidienne, les plus exposés à la présence étrangère. On sait, depuis Aristote, que l'étranger a toujours été un élément conflictuel dans toutes les sociétés. L'harmonie dans une société... disons " multiraciale " est, plus que dans toute autre, une vue de l'esprit. Or, ces gens dont nous parlons, ceux du bistrot, ici, ceux que je rencontre tous les jours à Villé, ils ne participent pas de la civilité bourgeoise. Ils ne subliment pas leurs affects. Leurs réactions sont plus spontanées, leur jactance moins étudiée. Affranchis des règles de la bienséance hypocrite, ils seront les premières victimes des censeurs de cet antiracisme frelaté qui rêve de placer la société sous surveillance. Traquenards, chausse-trapes, procédés de basse police, délations... ce sont ces malheureux qui seront bientôt les victimes de ce climat d'intolérance. L'empire du Bien est un empire policier ou l'on traque le faux-pas, le lapsus, le non-dit et même l'humour...
P.B. - Ils apprendront à se taire, à dissimuler...
J.F. - Ah, mon cher, je suis fils d'ouvrier et je vis dans un village... Ils ne se tairont pas. Il se peut qu'à force on fasse de ces braves gens des bêtes fauves... C'est ma crainte, je l'avoue... D'autant que les soi-disantes autorités morales cherchent à expier notre passé colonial en accoutrant l'immigré africain de probité candide et de lin blanc...
P.B. - C'est la version post-moderne du bon sauvage... que la méchanceté de notre passé doterait d'une créance inépuisable.
J.F. - Ah oui, cette histoire de la dette... c'est un thème sartrien. Mais c'est d'abord une victime qui doit pouvoir bénéficier de certaines immunités. En effet. De pareils privilèges, même symboliques - mais dans une société matérialiste les privilèges ne se contentent pas de demeurer symboliques - ne peuvent que renforcer les antagonismes et puis, surtout, comprenez bien ça, cela heurte l'évangile égalitaire dont les Français ont la tête farcie. En jouant simultanément l'antiracisme et Le Pen contre la droite, Mitterrand va provoquer la sécession de la plèbe. Cela paraît habile... Mitterrand le Florentin et que sais-je encore... mais c'est impolitique. Car, le politique doit toujours envisager le pire pour tenter de le prévenir. J'insiste : si l'étranger est reconnu comme un élément de désorganisation du consensus, il éveille un sentiment d'hostilité et de rejet. Un brassage de population qui juxtapose des origines aussi hétérogènes ne peut que susciter des turbulences qu'il sera difficile de maîtriser.
P.B. - Les rédempteurs de l'humanité sont indécrottables ?
J.F. - Les sentinelles de l'antifascisme sont la maladie de l'Europe décadente. Ils me font penser à cette phrase de Rousseau persiflant les cosmopolites, ces amoureux du genre humain qui ignorent ou détestent leurs voisins de palier. La passion trépidante de l'humanité et le mépris des gens sont le terreau des persécutions à venir. Votre ami Alain de Benoist a commencé d'écrire de bonnes choses là-dessus. Dites-le-lui, il faut aller dans ce sens : la contrition pathologique de nos élites brouille ce qui fut la clé du génie européen ; cette capacité à se mettre toujours en question, à décentrer le jugement. Ceux qui nous fabriquent une mémoire d'oppresseurs sont en fait des narcissiques. Ils n'ont qu'un souci : fortifier leur image de pénitents sublimes et de justiciers infaillibles en badigeonnant l'histoire de l'Europe aux couleurs de l'abjection. Regardez ce qu'écrit Bernard-Henri Lévy sur Emmanuel Mounier... C'est un analphabète malfaisant. En 1942, j'étais avec Mounier à Lyon... en prison ! En épousant l'universel, ils s'exhaussent du lot commun ; ils se constituent en aristocratie du Bien... L'universel devient la nouvelle légitimité de l'oligarchie ! »
Conversation avec Julien Freund, Pierre Bérard.
Une aristocratie du Bien…
Un avatar, servi par des nains barbus. Pauvre Joffrin!
PS: comme chaque fois en me relisant, je me dis que la crise financière/économique/géopolitique/sociale majeure qui vient va induire un tel reset général que ce genre de réflexion est sans doute délà obsolète. Ce monde est mort.