Penser à Picasso dans les années de 1900 à 1907 est une expérience passionnante parce que d’une certaine manière cela équivaut à penser à une époque lors de laquelle Picasso était encore humain. A partir de 1907, date à laquelle il finit les demoiselles d’Avignon, il devient difficile de penser à l’artiste espagnol comme un être humain, en réalité il se fait difficile de continuer à penser le monde de la même manière, mais en particulier Picasso, converti en l’une des plus grosses références en terme d’avant gardisme artistique et en pleine domination qui vont permettre de transformer l’histoire de l’art et la culture de manière irréversible, pour acquérir une dimension monstrueuse, dans le sens de quelque chose de lumineux, trop grand et terrible pour le confronter au même niveau qu’une dimension strictement humaine.
Les yeux de Picasso deviennent monstrueux et monstrueux son regard, ce regard qui, quasiment soixante-dix ans plus tard les filles de New-York, ou, connu de tous il n’est jamais allé, n’étaient toujours pas capables de résister à la célèbre chanson de Jonathan Richman, et monstrueuses, malheureusement des fois dans le sens le plus littéral et horrible du terme, ce sont ses mains qui deviennent, glorieusement photographiées dans une série d’occasions qui sont en elle même des succès de l’iconographie du XXème siècle, C’est un Picasso monstrueux, c’est à dire, énorme, mythologique, plus grand que la vie, incommensurable.
Ainsi il est, d’une certaine manière, rafraichissant de revenir à la période parisienne de Picasso durant laquelle fut construite son identité surhumaine de plus en plus décisive, cette période de sept années durant lesquelles il était juste un jeune et monstrueusement talentueux peintre bohémien, arrogant, humain, vulnérable et ayant faim (de nourriture, de vie, de littérature, d’art) qui s’installa, avec quelques intermittences, en 1900 à Paris accompagné par ses meilleurs amis Manuel Pallarés et Carles Casagemas, dont la mort prématurée laissa une énorme et inoubliable cicatrice sur l’artiste de Malaga quelques années plus tard, en peignant le tableau Derniers moments, un tableau plutôt académique sur lequel trois ans plus tard il peigna significativement La vie, pour le pavillon espagnol de l’Exposition Universelle, dont le motif servit pour construire d’autres futurs emblèmes de la ville de Paris comme la station d’Orsay, le Petit Palais, le Grand Palais et le pont Alexandre III.
Ce sont les mythiques années de Montmartre, autour du Bateau-Lavoir et sa vibrante et révolutionnaire communauté artistique, composée de personnages tels que Gaguin, Gris, van Donguen, Modigliani, Brancusi, Orlan, Max Jacob, Cocteau, Radiguet, Braque, Jarry, Braque, Apollinaire etc…, des années de formations à travers les tableaux de la période bleue et rose, années de fabrication du masque du monstrueux et mythologique Picasso.
Le musée Picasso de Barcelone nous rapproche jusqu’au 16 octobre de ces années par le biais de l’exposition Dévorer Paris. Picasso 1900-1907
(http://www.bcn.cat/museupicasso/es/exposiciones/encurso.html).
Paul Oilzum