Je reproduis ici, sous forme d’article, un dialogue à trois qui a eu lieu spontanément sur mon mur. Cela se passe entre Mehdi Ben Cheikh Plasticien,Doctorant à Paris 1 et Directeur de la Galerie Itinerrance dans le XIII Arrondissement de Paris, Anouar Safta, Enseignant à l’ISBAS, Plasticien et Photographe d’Art et Doctorant à l’ISBAT et moi-même. Le point de départ a été une appréciation très négative que Mehdi, qui n’est autre que mon fils ainé, a formulé à propos de mon album « infographie »
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Mehdi Ben Cheikh,
décidément c’est de pire en pire, plus kitch on crève !!!
Naceur Bencheikh
Qu’est ce que tu aurais dit en voyant Matisse découper ses papiers colorés. Simplement qu’il était déjà Matisse (Henri). (déjà connu comme ceux dont le nom figure au dictionnaire)
Mehdi Ben Cheikh
Mais est ce que toi tu es déjà Naceur Ben Cheikh ? (sociologiquement parlant sur la scène artistique internationale, comme l’était Matisse de son vivant et ce depuis le début du xx ème siécle )
Naceur Bencheikh
Pour toi la notoriété dont pourrait jouir un artiste de son vivant tiendrait lieu de légitimation de sa production et non la légitimité de la démarche. Il y a une différence entre la légitimité d’une démarche et la légalité d’un notoriété acquise. Il est vrai que pour le marché de l’art, la légalité d’une signature de notoriété constitue l’essentiel de la valeur.Mais je pense qu’on ne peut acquérir de la notoriété que légitimement. Je n’ai pas la notoriété de Matisse, mais je pense profondément que toute mon attitude en tant qu’artiste est supportée par une volonté de faire de ma pratique artistique un mode de réflexion existentiel. j’ai toujours produit par nécessité intérieure.C’est cela la légitimité véritable. La légalité notoire ou bien la notoriété légale suivra, tôt ou tard. Pour moi il ne sera jamais tard, parce que je ne mesure pas la légitimité d’une démarche en fonction de sa transformation en légalité notoire, durant notre passage en ce monde
Est ce que tu t’es rendu compte que ta réponse était déjà contenue dans ma question.
Je voulais te dire à l’avance ce que tu pourrais me répondre et tu l’ as fait en confirmant l’ironique « déjà Matisse ». Le jour où je serais « déjà Naceur Ben Cheikh » je rentrerais dans l’âge de la rente viagère ou bien de la reproduction aliénante de soi.
Anouar Safta
Que peut-on dire de ces « Infographies » qui plaisent aux uns et perturbent le « bon goût» des autres ?
Personnellement je dis : Ouverture de multiples tiroirs, choc de multiples fragments, très têtus, très insistants, qui sculptent un espace mental à petits coups de pinceau virtuel. Il y a comme un primitivisme chez notre cher Naceur, une forte impression de première fois : une langue qui s’invente, se réinvente, bredouille, se cherche et se développe par essais et ratages, dans une expressivité tour à tour trop molle ou survoltée. C’est souvent drôle et féroce. Le détail de ses ébauches hétéroclites et « naïves » reste particulièrement fidèle à son projet d’ensemble commencé il y a fort longtemps dans ses dessins et peintures: il avance par à-coups, reprises, légers brouillages. Intervalles minuscules et glissants, sur place harmonique, petites danses moléculaires, frémissements. Traversés ici et là de grosses catastrophes!
Mehdi Ben Cheikh
Je continue à penser qu’on ne peut se permettre de considérer comme œuvres des photos que je qualifie de naïves : je m’explique ; il ne suffit pas de récupérer les éléments formels d’une technique – aussi récente soit-elle – pour en faire de l’art contemporain. L’art contemporain, quelque soit sa technique – des plus anciennes au plus modernes – sait capter, cristalliser et révéler ce qui fait problème, interroge ou transgresse là où c’est signifiant au moment où ça émerge, à la fois du point de vue artistique que civilisationnel…même si c’est refusé au moment où c’est produit.
De la même façon on peut répéter des choses mille fois redites plastiquement avec des techniques très récentes si on en exploite les aspects les plus formels…ce que tu fais avec l’infographie, sans être dans la force de son innovation puisque tu n’en possèdes pas les capacités de transgression dans son mode fondamental…d’autant que c’est une technique dont les effets formels et colorés sont très vite séduisants et d’effet faciles si tu donnes en plus dans la forme biologique… d’où l’effet kitch que j’en ressens.
N’est pas Duchamp qui veut ; avec son urinoir et le reste … il a révélé les contradictions de la société occidentale pour un siècle. Il a su poser les conditions d’un questionnement fondamental en art , en philosophie et retourner toutes les catégories et les mouvements de la pensée…jusqu’à maintenant. Ceux qui veulent l’imiter dans la démarche comme un Jeff Koons, ne font qu’alimenter un marché de l’art artificiel, juste parce que sponsorisé par Pinault et consorts ! et rien du point de vue fondamental…ça c’est l’outrecuidance financière.
Tes nouvelles œuvres, bien qu’elles soient conçues à l’aide du moyen de l’informatique semblent sortir d’un autre temps (année 60) le tout sous prétexte qu’elles émanent d’une réflexion aboutie… Au même titre une image techniquement maitrisée mais qui ne comporte aucune démarche (à part celle d’aller avec la couleur du canapé du salon dans lequel elle serait exposée) n’aurait pas grande valeur à mes yeux. Le tout c’est d’atteindre un juste milieu de réflexion et de technique qui se tissent pour révéler et toucher une dimension et une sensibilité humaine qui te projette dans une raison d’être. Paradoxalement ceci est surtout valable sur le marché de l’art par la force des choses et certes moins dans le milieu universitaire.
Mais bon ce n’est pas à un vieux singe qu’on apprend à faire la grimace. Ou plutôt comme disent les marocains : il jame3 il 9rit fih ana ili bnitou (la mosquée dans laquelle tu as étudié c’est moi qui l’ai bâtie)
On ne me fera pas croire que ces photos sont juste de grosses catastrophes faisant partie d’une démarche plastique depuis longtemps entreprise, la seule vrai démarche entreprise pour ces images est « la provocation », art dans lequel tu excelles depuis toujours pour faire réagir et même pousser dans leurs retranchements tes étudiants et même tout ton entourage ( et la preuve c’est que ça marche toujours ) Donc je pense plutôt que c’est encore un des tours du vieux druide d’Akouda que tu es.
Naceur Bencheikh
Tout ton discours, part du principe qu’il existe Un Art Contemporain, idée qui sert, en fait, à rassembler dans un même espace « économico-conceptuel un certain nombre de pratiques supposées productrices d’objets et de comportements porteurs de sens que le marchand d’art, doublé de praticien de l’installation que tu es ,saura capter au moment où ce sens émerge, même au cas où « c’est refusé au moment où c’est produit ».
« .Ce que tu oublie de dire c’est que ce sens dont les œuvres et les conduites à caractère artistique sont porteuses n’est pas de caractère métaphysique, comme le suppose le marché de l’art, qu’il soit celui d’entreprises de stature internationale ou bien de galeristes frondeurs. Car la transgression n’est ni technique, comme tu as l’air de le supposer, pour l’infographie, ni de caractère stable, reconnaissable et même « provocable ». La transgression quand elle est programmée comme telle est la forme la plus répandue du formalisme dont souffre la production d’un très grand nombre de nos artistes, de nos étudiants et de nos marchands d’art.
La transgression on la vit comme nécessité absolue et non comme moyen de produire un sens artistique dit d’Art Contemporain. Cela veut dire, aussi, qu’elle est fondamentalement relative, malgré le caractère absolu de la nécessité qui la porte. Car, elle est en fait le résultat de situations inédites et toujours particulières. Et comme tu l’as dit il n’ y a que la spéculation financière, (différente de spéculation économique ou philosophique), qui pourrait cautionner que l’on puisse refaire le coup de maître de Duchamp, sans en renouveler le sens, dans une forme inédite et originale . Cette contrefaçon pourrait être tolérée quand il s’agit d’exercices ou de projets de diplômes d’étudiants , mais cela devient grave lorsqu’elle est le fait de personnes qui se disent artistes contemporains, non pas parce qu’ils sont artistes contemporains, mais parce qu’ils reproduisent différentes formes d’Art Contemporain.
Comme tu l’as peut-être observé,j’ai distingué la spéculation financière de la spéculation économique ou de la spéculation intellectuelle.C’était pour dire que la contrefaçon artistique est semblable à la contrefaçon dont est victime le marché de l’art, lorsque celui-ci est pris pour un lieu de spéculation financière et non pas de promotion de valeurs nouvelles.Pour beaucoup de galeristes et d’artistes qui parlent de marché de l’art, tunisiens,entre autres, l’économie de l’Art se réduit à son commerce.Les artistes d’un pays ont souvent le vis à vis qu’ils méritent, aussi bien parmi les marchands que parmi les « critiques ».
Quand à mes expérimentations infographiques, je rappelle qu’au départ elles étaient destinées à alimenter un débat sur l’art et l’ordinateur qu’un mien ami a cru placer à un niveau de moyens et non pas de catégories en croyant pouvoir continuer à produire ou à reproduire son propre « style » d’Art Contemporain, en donnant « congé à son pinceau. »
Anouar Safta
Ton discours (Naceur) évoque implicitement un point tout à fait névralgique, non seulement de la perception esthétique actuelle de l’œuvre d’art, mais du statut de l’Art dans des conditions de mutations sociales et du » monde de l’art » qui affectent aussi bien la production artistique, la nature des œuvres, et l’identification de l’art comme tel.
Naceur Bencheikh
J’avais commencé, par la publication de l’une de mes photos du printemps dernier bombardée de flou artisrtique qui n’était pas celui des filtres programmés. En commençant par poser une question sur l’effet de peinture et sur la peinture d’effet. j’avais même ajouté un commentaire à mon image en disant « c’est du n’importe quoi. »
Et comme à mon habitude, j’ai continué mes expérimentations en prenant plaisir à m’amuser à « défier mes amis les plus proches dont quelques uns sont de véritables professionnels , à deviner quelle était l’astuce technique que j’avais utilisée pour produire cet effet. Jusqu’à présent, ma question attend la réponse, parce que, en fait cette question était d’ordre métaphysique, à partir du moment où j’avais demandé une réponse technicienne à un problème de technique d’expression.
Je m’étais alors rendu compte que le problème se poserait plutôt en termes plus concrets en affirmant que « Peindre par ordinateur est différent de faire peindre l’ordinateur » .C’est à dire que j’avais découvert au fur et à mesure de l’enrichissement amateur de mon expérience –que d’aucuns vont qualifier de moins qu’ amateur–, que les effets esthétiques très flatteurs de la peinture-lumière numérique peuvent devenir intéressants et significatifs au cas où l’on se situe dans la marge invisible, parce que techniquement imprévue et que les praticiens qui connaissent les fondements des logiciels ne sont pas à même de voir, occupés comme ils sont à vouloir soumettre l’ordinateur à leurs besoins de « production » graphique , que je distingue d’ »expression » graphique.
Je ne suis pas un peintre professionnel; Je n’ai jamais été élève d’une école d’art.Je ne suis pas un graphiste ni amateur ni professionnel, je ne suis pas un journaliste professionnel et la seule profession que j’ose déclarer c’est l’enseignement que je n’ai jamais cessé de pratiquer durant plus de quarante ans.
Quant à la valeur de ma production de peintre amateur et de pseudo-graphiste moins qu’amateur, ce n’est pas à moi de la déclarer.Face aux douaniers de New York (l’histoire de Duchamp) je dirais plutôt que je n’ai rien à déclarer.
Mais curieusement, parmi ceux qui ont le plus mal réagi à mon expérimentation d’expression infographique ce sont les infographistes professionnels dont je n’ai jamais vu la production artistique d’expression. Serait- ce que c’est parce que l’infographie est leur « gagne pain » qu’ils surveillent avec vigilance les agissements désintéressés de ceux qui , comme moi et le mien ami dont j’ai parlé au départ,utilisent les nouvelles technologies pour faire de l’art et non pour faire l’infographiste d’agence.