La question de l’immigration est une question permanente en France. Question majeure pendant les élections, elle fait régulièrement la "une" de l’actualité à la faveur d’un fait divers, d’une crise : expulsions, incendies meurtriers d’immeubles parisiens, crises de banlieue, discrimination quotidienne à l’embauche, pour le logement... les exemples sont nombreux.
Mais, en parlant de discrimination, Jean-Baptiste ONANA constate une chose : tous les immigrés ou, de façon plus générale, toutes celles et ceux qui ne sont pas de "souche française" ne sont pas traités en France de la même manière : il y a comme une hiérarchie parmi eux qui place le Noir au plus bas de l’échelle ; ce dernier souffre plus cruellement que d’autres du racisme, du fait de sa "visibilité". "A l’échelle du monde, c’est certainement la créature la plus discriminée et la plus honnie de l’espèce humaine." (1)
Voici donc un livre dédié en général « à tous ceux qui subissent la discrimination et sont couverts d’opprobre au quotidien parce qu’ils sont différents". (2)
Il convient de saluer ce livre de Jean-Baptiste ONANA, qui se distingue par deux qualités essentielles. Tout d’abord Sois Nègre et tais-toi ! résulte d’un travail considérable de recherche, de documentation, d’observation. L’auteur n’avance pas un propos sans l’étayer par des exemples précis, par des arguments : actualité, ouvrages, discours d’hommes politiques, témoignages...consolident son analyse qui épouse au plus près le vécu des Noirs en France.
Ensuite cet essai est écrit dans un style qui le rend accessible à tous, la lecture en est véritablement aisée. Alors que dans ce genre particulier qu’est l’essai, il est courant que le lecteur ne s’intéresse qu’à des chapitres en particulier, on se prend à lire Sois Nègre et tais-toi ! comme un roman, du début à la fin.
Que dit donc ONANA ? Rien que des vérités sur les comportements des Blancs (et des autres races) à l’égard des Noirs, ceux des Noirs sur le territoire européen : leurs causes, leurs conséquences. Il y a à la base la perception du "noir", communément négative : "Année noire, série noire, pensées noires, idées noires, liste noire, jour noir, travail au noir, humeur noire...La négativité de la couleur noire est une universalité fort bien partagée par le genre humain." (3)
Cette perception négative fait que le Noir est combattu, sinon rayé dans les médias, en politique, dans certaines filières universitaires, bref dans toutes les fonctions valorisantes, exception faite pour certaines catégories comme le sport de haut niveau où il s’avère que "la France a besoin de ses nègres pour gagner" (4). La France est de fait multiraciale, mais elle le dénie.
Mais pourquoi donc cette discrimination ? J.B. ONANA étudie un à un tous les cas avérés, tout en démontrant leur illégitimité, j’ai envie de dire aussi leur grossièreté : des chercheurs n’ont-ils pas dernièrement "découvert" que la polygamie serait la cause de la violence ?
"Et que dire de la pédophilie, triste avatar de la liberté sexuelle infinie prônée par les partisans du tout-sexe et du tout-genre-de-sexe qui gangrène la société française ? (...) A titre personnel, je suis contre la polygamie, mais aussi contre toutes les formes de sexualité déviantes. Mais à tout prendre, j’aime mieux avoir deux épouses adultes, légitimes et consentantes que forniquer avec des bambins de cinq ou huit ans. Qu’on ne s’y trompe pas : la République a plus à craindre de ses pédophiles en col blanc, qui essaiment dans les milieux socioprofessionnels prétendument respectables (...) que d’un ou deux bigames africains dans une tour HLM. Est-ce pour parachever son œuvre civilisatrice en Afrique qu’elle s’est récemment mise à y exporter massivement son trop plein de prédateurs sexuels, que l’on voit déambuler aux abords des hôtels de classe internationale et des sites touristiques, le sexe à la main, le portefeuille dans l’autre ?" (5)
Voilà comment ONANA répond aux découvertes "ingénieuses", aux préjugés qui pèsent sur les Noirs. Le ton est volontiers ironique, jamais haineux, car ce n’est que pour une "une France plus tolérante et plus respectueuse de l’humain, quel qu’il soit et d’où qu’il vienne" (dédicace) qu’il écrit ce livre.
Et les Noirs donc ? c’est avec sévérité qu’ONANA les interpelle et les secoue, pour qu’ils se décarcassent, qu’ils réagissent, qu’ils se prennent en mains. Cela ne saurait se faire en cherchant "à paraître ce que nous ne sommes pas". Il constate tristement que "jamais une race ne s’est autant reniée, abâtardie et prostituée culturellement que la nôtre." (6) Et il s’attaque à "ceux qui les véhiculent et les symbolisent le mieux : l’élite et l’intelligentsia noires." (7)
J’aurais voulu mettre tant d’extraits sous les yeux du lecteur pour qu’il juge de leur pertinence, je ne peux que vivement recommander de se procurer le livre. En vérité, toute personne qui voudrait être au fait de la question noire en France, de celle des immigrés en général, devrait absolument lire ce livre. On se souvient de Je suis noir et je n’aime pas le manioc, de Gaston Kelman, qui avait amorcé la question. Voici Sois nègre et Tais-toi dont la couverture, entièrement noire, annonce la couleur. Je recommande particulièrement les chapitres "La tolérance, une vertu française ?" ; "Singeries nègres et mystifications blanches" et "Les relations intercommunautaires" où l’on voit que, si l’on peut s’étonner de l’inimitié entre les euro-étrangers et les Noirs, entre les Africains et les Maghrébins (qui parfois partagent la même religion – mululmane – ), on trouve encore plus insolite la ‘"vieille rivalité afro-antillaise". Pourtant, au regard des autres communautés, cela ne fait aucune différence (un Noir est un Noir), même si l’Antillais s’échine à se distinguer de l’Africain. Mais y a-t-il vraiment une différence ?
"Le seul réel avantage des Antillais sur les Africains est leur citoyenneté française, qui leur ouvre les portes de la fonction publique. Encore, n’y occupent-ils généralement que des postes subalternes : à la Poste, dans les établissements hospitaliers, dans la police et l’armée. Alors, d’où vient cette promptitude à s’en prendre aux originaires d’Afrique plutôt qu’au commun des Français ? La vérité c’est que les ressortissants d’outre-mer sont directement confrontés à la concurrence des Négro-Africains pour les petits boulots. Il est d’ailleurs révélateur que d’une élection à l’autre, ils soient de plus en plus nombreux à voter Front National" (8)
Tous les Noirs, qu’ils viennent d’Afrique ou des DOM-TOM, devraient unir leurs forces s’ils veulent être entendus, s’ils veulent réagir efficacement contre les misères qui leur sont réservées. D’une façon générale, Jean-Baptiste ONANA déplore le fait que :
"les différentes communautés présentes sur le sol hexagonal s’ignorent royalement (...) Quand ils daignent se rencontrer, c’est généralement dans un cadre professionnel, confessionnel ou événementiel obligé et rarement dans celui d’une convivialité délibérément souhaitée. Ainsi, pour le commerçant chinois, turc ou pakistanais, un Africain méritera d’autant sa considération qu’il se révélera client ou acheteur. Le reste du temps, mieux vaudrait pour lui qu’il aille se faire voir ailleurs." (9)
Trois voix retentissent en écho dans cet ouvrage : celle de l’auteur de Peau noire, masques blancs ; celle du Général de Gaulle et enfin celle de toutes les personnes dont Jean-Baptiste ONANA a recueilli le témoignage dans le cadre de cet ouvrage, et dont la lecture est éminemment édifiante.
Jean-Baptiste ONANA, Sois Nègre et tais-toi ! Editions du Temps, 2007, 256 pages, 14,90 €.
L’auteurJuriste de formation, Jean-Baptiste ONANA est Docteur en aménagement et enseignant universitaire en Géopolitique. Il a également été un membre actif de SOS Racisme.
L'entretien avec l'auteur publié sur afrik.com
Notes
1. Sois Nègre et tais-toi !, p. 57
2. Dédicace du livre
3. p. 52
4. p. 54
5. p. 73
6. p. 103
7. p. 104
8. p. 151
9. p. 118