Par Aurélien Veron
Mariage (CC, marysecasol.com)
Ma tribune favorable à l’ouverture du mariage aux couples de même sexe publiée par Atlantico a suscité de nombreuses réactions, notamment une vigoureuse réponse de Nouvelles de France. Dans sa riposte « Non au « mariage » homo pour une famille durable », Pierre de Bellerive reprend deux points essentiel qui figurent au cœur du rapport parlementaire du groupe de travail « Famille ». « Famille durable » introduit l’idée implicite d’un classement avec le label « durable » au sommet de cette hiérarchie arbitraire. De quoi s’agit-il au fond ? Les familles jugées pérennes se composeraient, selon le rédacteur en chef adjoint de NdF et le rapport parlementaire, d’enfants et de leurs parents biologiques. Une partie importante des familles ne sont par conséquent pas durables dans cette définition étroite : l’INSEE observe que parmi les 13,6 millions d’enfants en 2006, près d’un sur quatre ne vit pas avec ses deux parents biologiques : 780.000 vivent dans des familles recomposées, et 2,24 millions dans des familles monoparentales. Il est probable que les couples sans enfant, par choix ou par infertilité, ne figurent pas plus dans cette catégorie supérieure de « famille durable ». Et puis les familles composées d’enfants et de leurs deux parents biologiques non mariés sont-elles tout de même « durables » ? Enfin, les familles qui ne disposent pas du fameux label menacent-elles l’avenir de l’humanité, sont-elles une honte pour la société, encourent-elles des sanctions ? La France, aussi dépravée soit-elle, semble pourtant maintenir un taux de fécondité élevé.
Étrangement, le rapport du groupe de travail « Famille » élude la question de l’immigration et de son impact favorable sur notre taux de natalité. Mais ses priorités apparentes ne sont pas exclusivement tournées vers la reproduction. Sa réflexion pose comme préalable le fait que l’institution du mariage constitue le socle de la société en tant que « point de départ de la famille, et meilleur garant de la protection de cette cellule et de chacun de ses membres », sans considération explicite de natalité. Nouvelles de France est plus explicite en indiquant que « l’un des objectifs premier du mariage est la procréation ». Certes, mais pas exclusivement. Rien ne devrait interdire aux couples de même sexe, dans cette logique imparable, de formaliser l’existence préalable d’une famille au travers d’une institution exigeante en devoirs, le mariage. Ce n’est pas un hasard si 7 pays européens (dont 5 membres de l’Union européenne) reconnaissent le mariage homosexuel, parmi lesquels des pays catholiques et plutôt conservateurs : les Pays-Bas (depuis 2001), la Belgique (2003), l’Espagne (2005), la Suède (2009, avec une disposition obligeant l’Église à trouver un pasteur pour célébrer les mariages religieux), la Norvège (2009), le Portugal (2010) et l’Islande (2010). Parmi les pays qui refusent aux personnes de même sexe de se marier, nombreux sont ceux qui autorisent l’adoption homoparentale, comme le Royaume Uni (où le débat sur la reconnaissance du mariage homosexuel continue à faire rage). La seconde question découle de ce constat : le mariage est-il une affaire d’État ou bien une institution qui relève d’abord de la société ?
La position qui fédère l’ensemble des libéraux, conservateurs ou non, c’est le fait que le mariage est une affaire privée dont l’État ne devrait pas se mêler. Exactement le contraire de ce que nos pouvoirs publics se sont permis au cours de la révolution française. Afin de mettre le clergé à mal, ils ont dépouillé la société civile de cette institution ancestrale et défini ainsi le mariage : « Le mariage est une convention, par laquelle l’homme et la femme s’engagent, sous l’autorité de la loi, à vivre ensemble, à nourrir et élever les enfants qui peuvent naître de leur union » (ce qui nous rappelle bien qu’à l’époque, la procréation n’est déjà pas l’objet exclusif du mariage). Qu’il soit laïc ou religieux, le mariage ne devrait pas avoir lieu en mairie obligatoirement et préalablement à toute cérémonie privée. En ceci, l’État devrait simplement reconnaître les mariages de couples, quels qu’ils soient, sans chercher à encadrer cette institution universelle. L’humanité n’a pas eu besoin de ministères et de bureaucratie pour se renouveler et prospérer. Envisager une politique publique familiale revient à nier la dynamique universelle et spontanée de la famille. D’ailleurs, l’Union Européenne devrait bientôt faire sauter les barrières discriminantes et laisser les citoyens se réapproprier partiellement cette institution qui dépasse très largement l’État.
Note : je tiens à préciser à nouveau que ma position personnelle n’engage pas le Parti Libéral Démocrate que je préside. Notre formation se compose de plusieurs sensibilités, incluant celle de libéraux conservateurs qui ont toute leur place dans les décisions programmatiques. L’absence de position du parti sur cette question de société n’interdit pas à ses responsables de s’engager à titre personnel. Elle les encourage au contraire à le faire afin d’alimenter le débat dans la perspective de parvenir à une proposition très largement majoritaire dans nos rangs.
Précision concernant l’estimation du nombre d’enfants dont au moins un parent est homosexuel : P. Festy aboutit en 2005 à une estimation situant le nombre d’enfants résidant avec un couple de même sexe dans une fourchette de 24.000 à 40.000, la grande majorité vivant avec un couple de femmes. Mais il ne prend pas en compte les enfants dont le parent homosexuel ne vit pas avec son conjoint, ni les enfants qui ne vivent pas avec leur parent homosexuel. Au total, le nombre d’enfants qui ont au moins un parent homosexuel se situe donc bien dans la fourchette de 200 à 400.000.
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