Quand Joaquin Phoenix, l'homme le plus classe du monde après Georges Abitbol, annonce le 28 octobre 2008 qu'il met un terme à sa carrière d'acteur pour se consacrer à la musique et se lancer dans une carrière de rappeur, c'est l'émoi. Saute d'humeur ? Caprice ? Dépression ? Canular ? Il revient dans 3 jours ?
Quelques mois plus tard, plus personne ne rigole lorsque débarque un Joaquin Phoenix hirsute, fumant clopes sur clopes, débraillé, mal rasé, en bref, affreux, sale et méchant, rappant avec l'énergie du désespoir et un niveau technique plus bas que zéro.
Les médias se jettent sur l'affaire, les rumeurs vont bon train avec une forte tendance à traîner l'artiste dans la boue. Personne n'a l'air de prendre l'homme au sérieux : si c'est une blague, elle est de mauvais goût, si c'est sincère, tant pis pour lui, c'est classé sans intérêt.
Heureusement, la réalité n'est pas aussi univoque. Joaquin Phoenix avec la complicité de son beau-frère Casey Affleck derrière la caméra (qui confirme tout le bien qu'on pensait de lui) s'est en fait lancé dans le tournage de cette aventure extrême de saut dans le vide.
Le résultat c'est le documentaire I'm still here, sorti en France le 13 juillet dernier, qui relate cette expérience d'un an, un an à fuir sa vie passée, un an à chercher à devenir rappeur, un an à tenter de reconstruire un autre personnage, un an de dépressions, d'euphories et de contrecoups terribles.
Le film s'ouvre sur des images d'archives familiales. Un garçon, qu'on suppose être Joaquin Phoenix enfant, saute du haut d'un rocher dans un petit lagon sous l’œil bienveillant et protecteur de son père dans un décor de paradis perdu. Les images qui suivent contrastent brutalement, avec le même personnage, plusieurs années plus tard, fumant compulsivement sa cigarette et éructant contre la personne publique qu'il est devenu. La suite s'enchaîne très rapidement, Phoenix annonce à tous sa retraite et son nouveau challenge : le hip-hop. Entre incompréhension et bêtise, les soutiens autour de lui se font rares. Il n'y a guère qu'une poignée d'amis fidèles à ses côtés, tout aussi perdu psychologiquement que leur monstrueux camarade.
Car c'est bien ce qu'est Phoenix, ce qu'il est devenu ou ce qu'il a toujours été : un monstre. On peut être séduit par beaucoup d'aspects de ce faux-documentaire : le questionnement sur l'authenticité et la vérité ; la critique féroce de la vacuité du système hollywoodien ; celle de la société du spectacle... Le film est riche de toutes ces thématiques mais c'est surtout la prestation de Joaquin Phoenix qui impressionne, complètement habité du début à la fin. Tour à tour pitoyable, flamboyant, ridicule, héroïque, son interprétation passe par tous les stades. En 1H48, il parvient à être une exécrable starlette à la recherche d'un second souffle et un géant lumineux mal taillé pour un siècle trop étroit pour lui.
I'm still here mérite également les honneurs pour sa galerie de portraits. Le meilleur ami, musicien raté, sorte de bouffon du roi à jamais dans l'ombre de Phoenix. Ben Stiller atterré par la transformation de l'acteur mais qui n'hésitera pas à le poignarder dans le dos en ridiculisant sa détresse publiquement pour quelques minutes de gloriole télévisée. David Letterman, animateur télé vedette aux Etats-Unis dont la férocité, filmé sous cet angle, a quelque chose de traumatisant.
Enfin, mention spécial à P. Diddy, producteur et rappeur à l'égo surdimensionné qui ne s'aperçoit même pas qu'il est la seule bouée de sauvetage de Phoenix. L'apprenti rappeur n'avait évidemment aucune chance avec un tel mentor, il aurait fallu aller chercher du côté de l'underground. Étonnant d'ailleurs qu'il n'y ait pas pensé tant les références de l'acteur métamorphosé vont plus piocher dans l'univers d'un Sage Francis que dans le rap bling-bling d'un Diddy. C'est aussi le fossé séparant les ambitions des deux hommes que Phoenix et Affleck ont voulu filmer. Malgré tout, en dépit de ses défauts et de son attitude ultra-capitaliste, P. Diddy est un des seuls personnages du film à prendre Phoenix comme il est et à le juger selon des critères musicaux, et pas selon ce qu'il a été ou ce qu'il représente. Comme quoi !
Enfin, un mot sur la performance rappée de Phoenix. Il n'a pas le charisme d'un MC. Son flow n'a techniquement aucun intérêt. Ça suffirait pour faire de lui un très mauvais rappeur mais il reste pourtant quelque chose. Un léger tremblement dans la voix et une belle authenticité, peut-être jouée finalement mais peu importe. Ce qu'on regrettera finalement, c'est que JP ne sortira jamais d'album.
En bonus, sa prestation catastrophique à Miami qui marque le début de la fin et qui se solde par une bagarre contre un spectateur.
Une vraie curiosité à découvrir en ce moment au cinéma.