Primerose et Pomponnet

Par Mafalda

"Bonjour, grand-père," lança gaiement Primerose en entrant dans la sale où se tenait le vieux Béryl, le joaillier fameux, l’orfèvre de la Couronne.
Mais Béryl, ce jour-là, ne broncha pas ; la tête dans ses mains, il semblait dormir, les yeux grands ouverts.
« Bonjour, grand-père », répéta Primerose, vexée.
Cette fois, Béryl sursauta :
« Primerose, mon enfant, où sont les perles ?
- Quelles perles, grand-père ? Vous savez que jamais je ne touche à quoi que ce soit.
- Je sais, je sais, mais tu pourrais les avoir vues : ce sont les quatre perles du roi, les quatre perles précieuses, uniques, pour la couronne du Prince.
- Je ne les ai jamais vues, grand-père.
- Eh bien ! on me les a volées, oui, volées, et le roi va venir et je ne saurai que répondre…
- Grand-père, vous lui direz d’attendre encore, que le joyau n’est point achevé ; nous chercherons, je vous aiderai, nous retrouverons bien vos quatre perles. »
- On entendait une fanfare joyeuse. Le roi et son escorte à le porte se pressaient.
Béryl se précipita à leur rencontre.
« Bonjour, maître béryl, joaillier fameux, orfèvre incomparable, sertisseur merveilleux, je serais heureux de voir la couronne que tu as faite pour les dix-huit ans de mon fils, le prince Smaragdin.
- Oui, Sire, en effet, mais c’est que, je dois vous dire…, elle n’est pas tout a fait achevée.
- Il te reste trois jours, Béryl, montre-la nous cependant telle qu’elle est. »
Béryl montra la couronne d’or ciselé.
« Jolie, exquise, adorable, ravissante, parfaite ! »
Les compliments pleuvaient drus sur la tête de Béryl dont le cœur est serré.
« Pas finie, disais-tu, mon bon orfèvre, mais il n’y manque que les quatre grosses perles, c’est l’affaire d’une heure et, si j’avais eu le loisir, j’eusse attendu. »
Béryl sentait la sueur froide lui perler le long de l’échine.
« Mais je dois retourner aussitôt au Palais, non sans t’avoir pourtant dit une bonne nouvelle. Béryl, quand les quatre perles y seront, cette couronne sera la plus belle du monde ; elle est destinée à mon fils Smaragdin pour ses dix-huit ans, et mon fils… Écoute, Béryl, je t’ai fait baron de Turquoise, comte de Topaze, marquis de Saphir, duc d’Emeraude et prince de Rubis… eh bien ! je ferai ta fille princesse des Perles, et la princesse Primerose épousera le prince Smaragdin, mon fils, mon héritier ; Primerose, ta fille, sera reine. »
A cette promesse, Béryl sentit des pleurs d’angoisse lui monter aux yeux, Primerose des larmes de joie lui monter aux paupières.
En perdant les quatre perles, Béryl s’abandonna au désespoir.
« Hélas ! Primerose, les perles sont volées ; jamais, ma pauvre enfant, tu ne pourras devenir reine.
- Grand-père, ne pourrait-on acheter d’autres perles ?
- D’autres peut-être, mais de pareilles ? En est-il… ? On pourrait pêcher des milliers d’huîtres perlières pendant des siècles avant de rencontrer ces quatre merveilles, identiques de grains et d’orient.
- Alors il nous faut retrouver le voleur et sauver d’abord votre réputation.
- Ce soir, Primerose, cette nuit, je veillerai. Fier de son coup, ce bandit reviendra, je suppose, et je l’empoignerai, je t’assure, d’une main invisible. »
Aussi, quand vint le soir, Béryl s’installa dans un fauteuil, en pleine ombre, les yeux grands ouverts. Sur la table il avait eu soin de placer des pierres fines, quatre brillants d’une eau si pure, d’un éclat si admirable que, dans la nuit noire, ils jetaient encore des feux, pour tenter les voleurs.
La nuit s’écoula calme et paisible ; parfois, dans l’immense silence, un craquement sec, cric, un cliquement net, crac : ce n’étaient que les vieux meubles qui se plaignaient dans l’obscurité froide.
Au petit jour, Béryl n’ayant rien vu se remit à chercher dans tous les coins, à fureter comme un chat sans rien trouver.
Primerose vint lui souhaiter le bonjour :
« Et ton voleur ?
- Rien encore, mon enfant, j’ai peur de ne retrouver ni perles, ni ravisseur. »
Le soir revint, Béryl reprit son poste guettant toujours et la nuit se passa sans encombre ; mais à l’aube, las de l’attente, terrassé de sommeil, Béryl laissa sa tête se poser sur son coude, ses yeux se clore ; Béryl s’endormit…, juste au moment où le voleur passait son bout de nez.
Le voleur vit que Béryl dormait ; sans bruit il entra, alla droit à la table, remua les brillants, mais (c’était à coup sûr uniquement un voleur de perles) il repartit sans rien emporter cette fois, sans bruit fit le même chemin. Béryl dormait.
Le voleur était à peine parti que Primerose à son tour arriva :
« Bonjour, grand-père ! »
Béryl s’éveilla en sursaut : « Au voleur !... ah ! non, c’est toi, fillette… Je crois, ma foi, que je me suis assoupi. »
Il se leva, alla à la table :
« Oh ! oh ! il est venu ! »
- Il t’a volé ?
- Non, mais il a dérangé ces brillants, je les avais mis en un carré exact ; vois à présent, trois sont à droite, un seul à gauche, éparpillé. Pourquoi ai-je dormi ?
- Grand-père, si tu fusses demeuré éveillé, le voleur ne serait pas entré ; sans doute, il te guettait aussi de son côté.
- C’est vrai, fillette, hélas ! hélas ! »
- Cette fois, Primerose songea qu’il n’y a plus qu’un moyen : se fier au bon hasard, aller au bord de la mer, pêcher quatre coquilles et peut-être trouver quatre perles, la pauvrette !
Elle arrive donc au pied des falaises : sur un rocher une vieille petite femme est assise.
« Bonjour, Primerose, j’ai grand faim, mon enfant.
- Eh bien ! vieille maman, répond Primerose, voici quelques friandises que j’avais apportées pour croquer en chemin.
- Hélas, Primerose, comment veux-tu que je les croque, je n’ai plus de dents. »
Elle souriait tristement.
« Ah ! si j’avais seulement quatre de tes quenottes, je pourrais manger à ma guise ! »
Primerose répondit simplement :
« Je veux bien vous en donner quatre. Il m’en restera assez pour moi.
- Eh quoi ? Primerose, tu consens. »
La vieille alors tira de sa poche profonde une petite baguette fine et brillante ; elle l’approcha des lèvres de Primerose, une fois, deux fois, trois fois, quatre fois et cueillit quatre dents.
« Vois, fillette, comme elles sont jolies, on dirait quatre perles fines. »
A ces mots, Primerose sauta de joie.
« C’est vrai ! c’est vrai ! je vais alors pouvoir en donner quatre aussi…
- Primerose, tu es bonne et jolie, voici tes quatre quenottes : ce sont quatre perles, va les porter sans rien dire sur la table de Béryl, ton grand-père et laisse les jours passer. »
Ainsi fit Primerose. Béryl, en retrouvant ses perles, fou de joie, sans se préoccuper de savoir d’où elles pouvaient revenir, se mit bien vite à parachever la couronne.
Déjà la fanfare royale chantait au dehors.
« Primerose, Primerose, va te faire belle. »
Le roi est arrivé avec son escorte et le prince Smaragdin, son fils. Béryl tend la couronne, le roi la pose sur la tête du prince ; à ce moment Primerose, adorable en habits de fête, apparaît.
« Primerose, fait le roi, viens ça, ma fille, que je te présente à ton fiancé. »
Primerose s’approche souriante, le Prince la regarde ; soudain il éclate d’un rire insolent.
« Oh ! là mon père, c’est la princesse Brèchedent, voulez-vous dire ; fi donc, je ne veux point de cette édentée pour épouse ; attendons que son sourire se répare ! »
En riant, insolent, le prince est parti.
Primerose pleure, Béryl est outré.
Dans la salle, ils reviennent tous deux, et voici qu’au moment où ils soulèvent le rideau de velours, un bruit d’ailes, un cliquetis de pierres se perçoit.
Un moineau sur la table picore parmi les joyaux…
« Mon voleur ! » s’écria Béryl.
Il s’élance, attrape l’oiseau, veut le tuer.
« Grâce », implore Primerose.
Elle prend la petite bête à son grand-père irrité.
« Fifi, vilain fifi, tu m’as coûté ma couronne, mais je te rends ta liberté. »
Elle le baise, ouvre la main ; la bête bat des ailes, ses plumes s’envolent, s’éparpillent : c’est un joli prince vêtu de droguet gris, qui sourit.
« Primerose, comme toi, j’ai rencontré la vieille édentée, mais je me suis moqué sottement de sa faim en lui jetant les miettes de mon goûter. « Pomponnet, tête de moineau, qui picote, me dit-elle, moineau tu seras, ramasseur de miettes jusqu’au jour où quelque douce enfant par son bon cœur te délivrera. Le sort est accompli. Primerose, merci.
« Par le vitrail, je passais ici ; j’ai pris les perles pour des grains, je les ai emportées dans mon nid ; allons les retrouver.
- Les perles ? Mais alors… ? » demanda Béryl interloqué.
Pomponnet raconta l’aventure. Primerose sourit de sa bouche édentée.
« Primerose, conclut Pomponnet, le prince Smaragdin est un sot, il eût fait ton malheur. »
On arrive au pied de l’arbre où le nid se trouvait. Pomponnet grimpe vite, redescend plus vite encore, si vite, si vite, qu’il glisse, tombe, plouc, le nez sur la terre.
Béryl se précipite, le relève… Hélas ! Pomponnet s’est brisé quatre dents.
« C’est pour me ressembler, » déclara Primerose.
Mais un petit rire éclate derrière eux : la vieille femme, la fée est là, celle de la falaise.
De sa baguette, elle touche les lèvres de Primerose, celles de Pomponnet.
« Pomponnet, tu es pardonné, tout est réparé, les dents envolées, les perles volées, tout est à sa place. »
En effet, le rire emperlé de Primerose, le doux sourire de Pomponnet sont au complet.
« Maintenant, mes enfants, épousez-vous, soyez heureux. »

Jérôme DOUCET