Rabat-joie

Publié le 02 août 2011 par Toulouseweb
Les perspectives du transport aérien exagérément optimistes ?
Et si l’avenir était moins rose qu’on veut bien le dire ? Avionneurs, groupements professionnels du transport aérien, IATA en tęte, ne brossent-ils pas un tableau idéalisé de lendemains qui chantent ? Le trafic va-t-il vraiment croître de 5% par an au fil des trois ou quatre prochaines décennies ? Ces questions d’apparence iconoclaste sont rarement posées, et on peut le regretter. D’oů l’attention particuličre que méritent les travaux de la commission Prospective de l’Académie de l’air et de l’espace que préside Alain Garcia, ancien directeur général technique d’Airbus : leurs conclusions sont trčs différentes de celles qui servent généralement de référence et, dans une certaine mesure, tiennent un rôle inattendu de rabat-joie. Ou, si l’on préfčre, d’un coup de semonce que les Anglo-Saxons qualifieraient certainement de Ťreality checkť.
Pour faire simple, tout le monde pęcherait dangereusement par excčs d’optimisme, les difficultés de tous ordres étant largement sous-estimées. D’oů un raisonnement bâti sur des bases plausibles, certes, mais fragiles et pas automatiquement crédibles. Ainsi, dans le cadre d’une étude intitulée ŤVision 2050ť, il y a quelques mois, l’IATA évoquait un trafic de l’ordre de 15 ŕ 16 milliards de passagers par an dans 40 ans, ŕ comparer aux 2,6 milliards de voyageurs dénombrés en 2010. L’Académie, tout au contraire, estime que le trafic sera, au mieux, multiplié par 3 ou 3,5 au cours de la męme période, ce qui en situerait le volume entre 7,8 et 9,1 milliards de passagers, grosso modo moitié moindre que l’association de référence (laquelle ne comptabilise par le trafic des compagnies low cost, avec des conséquences statistiques pour l’instant trčs relatives).
En se basant sur les estimations d’Airbus et Boeing, d’ici ŕ 2050, le trafic devrait tout au contraire ętre multiplié par 7, ce qui conduirait ŕ environ 18 milliards de passagers par an. L’Académie n’exclut pas un plafonnement ŕ 6,5 milliards seulement, ŕ partir du moment oů elle compte au plus juste. Ce faisant, elle risque fort de jeter le trouble dans les esprits et, dčs lors, le sujet mérite d’ętre creusé, toutes affaires cessantes. Le tout placé dans un contexte démographique classique, si l’on ose dire, ŕ savoir une population mondiale d’un peu plus de 9 milliards de personnes, toujours ŕ l’horizon 2050.
Bien sűr, personne ne doute des capacités d’Airbus, Boeing, Bombardier, Embraer et quelques nouveaux venus comme Comac et Irkut ŕ s’adapter ŕ des circonstances qui ne seraient pas celles de leur vision actuelle de l’avenir. Mais les avionneurs ne sont pas seuls au monde, tant s’en faut. Les compagnies, elles aussi, ont déjŕ prouvé qu’elles peuvent s’adapter ŕ des contextes mouvants. Mais que dire des aéroports, des gestionnaires de l’espace aérien ? D’autant que ces différents acteurs ont pour dénominateur commun une trčs grande inertie et doivent ŕ tout prix anticiper.
L’Académie surprend et dérange alors qu’elle utilise des données connues de tous les économistes. Elle estime néanmoins que la croissance annuelle moyenne du PIB mondial sera de 2,8%, plus modeste que les projections les plus répandues. En revanche, sur le front du pétrole, l’étude est pour le moins raisonnable en estimant, ŕ valeur constante bien entendu, que le prix du baril se situera entre 200 et 300 dollars. Cela sans préjuger de l’arrivée de carburants de substitution, par exemple le kérosčne synthétique obtenu par le procédé Fisher-Tropsch. Si le prix du carburant triplait d’ici ŕ 2050, il représenterait environ la moitié des coűts directs d’exploitation des compagnies (contre 30 % actuellement) mais les tarifs augmenteraient tout au plus de 12%. Cela grâce aux progrčs techniques permettant de diminuer la consommation de 20% et de gains de 20% également sur d’autres composantes des coűts.
L’exercice est intéressant, mieux, il est salutaire. Il n’est pas bon, en effet, de constamment faire référence ŕ des prévisions du trafic qui s’inspirent visiblement les unes des autres au point de se confondre. Bien sűr, il est loin d’ętre certain que ce travail académique de grande ampleur, mené par une équipe de spécialistes réputés, exprime Ťlať réalité, Ťlať vérité. C’est au moins une autre vision de l’avenir qui apparaît ainsi au grand jour, accompagnée de l’expression d’autres raisons d’inquiétude. A commencer par le fait que Ťles exigences environnementales ne seront pas atteintes uniquement par les progrčs techniquesť ou encore le constat que les compagnies aériennes devront faire évoluer leur modčle économique.
Paradoxalement, l’expression de ces incertitudes s’annonce salutaire. Mais ŕ condition d’aller plus avant dans les recherches, sans tarder.
Pierre Sparaco - AeroMorning