Jours pétrifiés
1948
A Marie-Laure
Six mots rayés nuls
Certains mots sont tellement élimés, distendus, que ‘l’on peut voir le jour au travers.
Immenses lieux communs, légers comme des nappes de brouillard – par cela même difficile à manœuvrer.
Mais ces hautes figures vidées, termes interchangeables, déjà près de passer dans le camp des signes algébriques, ne prenant un sens que par leur place et leur fonction, semblent propres à des combinaisons précises chaque fois que l’esprit touche au mystère de l’apparition et de l’évanouissement des objets.
I. Jour nuit soleil et arbres
(suite majeure)
1.
Est-ce pour moi ce jour ces tremblantes prairies
ce soleil dans les yeux ce gravier encore chaud
ces volets agités par le vent, cette pluie
sur les feuilles, ce mur sans drame, cet oiseau ?
2.
L’esprit porté vers le bruit de la mer
que je ne peux entendre
ou bien vers cet espace interdit aux étoiles
dont je garde le souvenir
je rencontre la voix la chaleur
l’odeur des arbres surprenants
j’embrasse un corps mystérieux
je serre les mains des amis
3.
De quelle vie et de quel monde ont-ils parlé ?
– De jours pleins de soleil où nous nous avançons, d’espace qui résiste à peine à nos mains et de nuits que n’épaissira plus l’obscurité légère.
4.
Entre les murs un visage survint
qui se donnait le devoir de sourire
et m’entraîna vers une autre fenêtre
d’où le nuage à ce moment sortait.
Tout était lourd d’un orage secret
un homme en bleu sur le seuil s’avançait
le tonnerre éclata dans ma poitrine
un chien les oreilles basses
rentrait à reculons.
[...]
Jean Tardieu, Jours Pétrifiés (1948), in Œuvres, Quarto Gallimard, 2003, p. 253 et 254.
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