Finir ses restes, de Dominique Quélen (par Jean-Pascal Dubost)

Par Florence Trocmé

L’humour morbide en titre indique au lecteur que la lecture qui l’attend ne le mettra point à son aise, qu’elle le dirige vers l’idée d’une destinée vouée au grand banquet final commun à tous les hommes, et : voici une danse macabre. Un squelette vivant s’expose, un squelette en forme de poèmes squelettiques, secs et teintés de mélancolie noire, car un poète regarde son corps pourrissant vivant. Choisissant le bras comme partie centrale et axiale (mouvement entre vie et mort), et par conséquence, symbolique, il effectue devant nos yeux quelques mouvements figés et inquiets de danse. Livre sombre qu’on pourrait être tenté de lire de même comme le mémento d’un mort-vivant, le corps et l’angoisse de vivre sont les obsessions du poète Dominique Quélen, qui jusqu’ici avait proposé des livres dont la forme maîtresse était le poème en prose, sous forme de blocs brefs et ramassés et troués (Petites formes, Sports, Comme quoi1), ou sous forme de bloc unique compact, imposant et torrentiel voire étouffant (Loque2), et qui dans ce livre a choisi le vers, cette forme qui tombe et qu’il fait tomber très-ironiquement par une jeu homonymique vers le bas, mimant l’attraction vers le trou, la tombe où la gent dévoratrice et nettoyeuse de cadavres s’adonnera à son banquet ; appuyant ladite chute de mouvements de bras-de-langue (les bras qui en tombent). Le lecteur ne doit non plus pas s’attendre à un dénouement heureux ou à quelque lueur d’espoir, un tel livre ne veut bercer personne d’illusions ni berner ni faire accroire que la poésie « ça fait du bien », le dernier poème l’atteste : 
 
ici ça sort du 
 
bras et coule 
 
sur deux fois 
 
la longueur 
 
du bras il n’y 
 
a plus d’air du 
 
tout tu vois 
 
dans ce bras 
 
une anguille tu 
 
vois un homme 
 
ayant fini de 
 
vivre ou de 
 
jouir et ce qui 
 
a suinté devant 
 
et le long 
 
est l’expression 
 
même de sa 
 
pensée comme 
 
son exercice 
 
Par ricochet, ce livre pose évidemment l’éternelle question de la fonction du poème, puisqu’il augmente Inquiétude plutôt que de pourvoir en philosophie de la vie rassurante ; la poésie apprend-elle (aussi) à mourir ? 
 
[Jean-Pascal Dubost]
 
 
1 Apogée, 2003 et 2005 ; L’Act Mem, 2008 
2 Fissile, 2010 

 
Dominique Quélen 
Finir ses restes 
Éditions Rehauts 
120 p., 15 €