De ses voyages en France, Jean-Christophe Bailly donne des images de diversité, de multiple qu’il aborde à plusieurs reprises. Il écrit : « une rationalité nouvelle qui, fondée sur le multiple et redoutant les figures et les masques de l’Un qui, en politique, est toujours redoutable, saurait rééquilibrer le national à l’aune des arrivées et des désirs, et non à celles des nostalgies ». Et, plus loin, « le système de poupées russes qui emboîte les individus selon une ligne croissante, d’eux-mêmes à l’univers en passant par tous les girons intermédiaires (famille, classe, région, pays, ensemble civilisationnel, humanité), se dilate et au lieu d’être un système de carcans, de frontières, de mots de passe et de rituels, il fonctionne comme un jeu dont le dérèglement constant serait le meilleur réglage. » Et, plus loin encore : « ce que je crois, c’est que la "communauté nationale", par-delà principes et déclarations, est d’abord faite de la somme inachevée de ces communautés inconscientes formées autour de repères qu’elles partagent sans même les avoir à l’esprit. »
Cette idée d’inachevé me paraît fondamentale. J’ai souvent, en lisant ce livre, ressenti quelque chose de l’ordre de la familiarité. J’ai pensé qu’il s’agissait là d’une proximité générationnelle, construite avec l’école sans doute, avec les évènements vécus collectivement (comme ceux qu’égrène Georges Perec dans Je me souviens), avec une certaine image de l’Hexagone (le livre se limite à cette partie de la France et n’aborde pas les Outre-Mer). Et, bien sûr, d’autres communautés inconscientes se constituent chaque jour ou forment des ensembles mouvants, avec la télévision, l’école toujours, internet, une relation différente au monde.