En janvier 2011, Délits d’Opinion fait le point sur la popularité en berne du Président de la République. Alors qu’une défaite dès le premier tour n’est pas exclure, Délits d’Opinion souligne la crispation de nos compatriotes autour des abus. Un thème qui sera repris quelques semaines plus tard par Laurent Wauquiez.
Après une rentrée compliquée pour le Président, qui assistait impuissant à la chute inexorable de sa popularité depuis septembre 2010, une remontée timide mais réelle, de 3 points, lui permet de s’offrir un répit, stabilisant sa cote de confiance à 27% (TNS Sofres / Janvier 2011). Les raisons de cette légère vitalité recouvrée : une hausse auprès des plus de 65 ans (+ 4 points), et des sympathisants UMP, auprès de qui il gagne 7 points lui permettant d’obtenir 80% d’opinions favorables. Une remontée peut-être due aux efforts conjugués de ces derniers mois pour recoller les morceaux avec un cœur de cible déboussolé par les affaires. Ferme sur la réforme des retraites, distillant des messages pesés entre deux périodes de disette médiatique, l’Elysée tente de reprendre la main. L’intervention présidentielle de novembre 2010, regardée par plus de 12 millions de téléspectateurs, illustre la capacité recouvrée du Président à se faire entendre dans son camp : les propos de Nicolas Sarkozy ont porté leurs fruits auprès de l’électorat UMP, convaincu à 87%, comme auprès des sympathisants de droite. Et quand le Président déploie ses arguments, il parvient à convertir : 72% des Français ayant vu son intervention se déclarent favorables à la création de jurys populaires pour les tribunaux correctionnels. Un chiffre supérieur de 4 points par rapport à la moyenne des Français. De même, la suppression du bouclier fiscal est-elle aussi approuvée de façon plus franche par les Français ayant vu l’intervention du Président, par 60% contre 53%.
Au final, le Président dispose toujours d’un socle de soutiens qui oscille entre 25% et 30%. Mais ces soutiens ne sont plus suffisants pour gagner. En l’état le président pourrait perdre au second tour…mais aussi être éliminé dès le premier.
Un président qui perd au second tour, quel que soit le scénario
L’institut TNS Sofres a testé avant Noël, quatre hypothèses : Dominique Strauss-Kahn, Ségolène Royal, François Hollande et Martine Aubry. Au premier tour, les scores réalisés par les prétendants socialistes divergent. 16,5 % pour l’ancien secrétaire du PS, 17% pour Ségolène Royal, 23% pour Martine Aubry, et 27% pour Dominique Strauss Kahn, dont le score est supérieur à celui de Nicolas Sarkozy. Mais, malgré ces écarts, tous les candidats battent Nicolas Sarkozy au second tour, traduisant une dynamique de vote anti Sarkozy. Bien sûr, les intentions de vote doivent être prises avec distance, à 1 an et demi des élections, mais cette défiance traduit indubitablement un mouvement anti- Sarkozy, qui l’emporte sur les affinités envers le candidat socialiste.
Perdre dès le premier tour : une hypothèse qui n’est plus négligeable
Plus grave encore pour le Président, une hypothèse de défaite dès le premier tour n’est plus à exclure totalement. Selon un sondage CSA paru le 14 janvier, Marine Le Pen, la nouvelle présidente du Front National obtiendrait entre 17 et 18% soit mieux que son père en 2002. Or, dans l’hypothèse d’une candidature Strauss-Kahn, le Président du FMI est crédité de 30 %, le candidat Sarkozy le suit à 25%, tandis que Marine Le Pen clôt le trio de tète à 18%. Le président sortant et la candidate du Front National n’ont que 7 point d’écart, une différence ne rendant pas statistiquement impossible l’élimination du Président de la République dès le premier tour.
Marine Le Pen est en passe de concrétiser sa stratégie de « dédiabolisation » de son parti. Selon l’institut CSA, 20 % des Français déclarent pouvoir voter pour la candidate si cette dernière se présentait à l’élection présidentielle, soit un score supérieur de 7 points à celui de son père. Le repositionnement sur les thématiques économiques pour coller aux préoccupations des Français, ainsi que la défense des valeurs telle que la laïcité accroit l’attrait du FN, notamment auprès des employés, ouvriers, commerçants. Ce « peuple d’assiégés », perdu dans un modèle économique qui se joue à son détriment, comme le décrit Free Thinking , trouve dans le FN un écho à son ressentiment.
De l’autre côté de l’échiquier politique, Dominique Strauss-Kahn, éloigné des contingences politiques nationales, surfe sur un positionnement flou qui lui permet de drainer un électorat composite. Ainsi, selon le dernier baromètre TNS Sofres, il bénéficie du soutien des sympathisants de gauche, mais aussi de 51% des électeurs de droite qui souhaitent lui voir jouer un rôle dans les mois à venir.
Pris en étau entre la tentation FN et le mirage Strauss-Kahn, le Président doit trouver un espace. Entre des catégories populaires qui émettent un souhait de protection, et des catégories plus intégrées et éduquées que la posture populiste réfrène, le Président doit trouver un juste équilibre et combattre sur deux fronts.
Comment combattre sur deux fronts ?
Comment séduire les classes moyennes et populaires, sans perdre de vue les catégories intermédiaires et supérieures. Au cœur de cette problématique, on retrouve trois thèmes. Qui peuvent, mal négociés, signer la fin des prétentions de réélection de Nicolas Sarkozy. 3 thèmes qui peuvent au contraire souder le camp présidentiel au-delà des divergences objectives.
De la réforme au progrès
Le Président en a fait un leitmotiv de son année 2011. L’année 2011 devait être une année « utile ». Une détermination relayée par les vœux du Premier ministre, qui se faisait fort de continuer les réformes, sûr que ces dernières, parce qu’elles sont vitales pour le pays et que le diagnostic en est partagé par l’ensemble des experts, sauraient être approuvées par l’ensemble de nos concitoyens. Or, la notion de réforme est le premier point de rupture parmi nos concitoyens.
L’Ifop, pour la Fondapol, a testé auprès des Français le mot « réforme ». Sa perception est diamétralement opposée selon la catégorie socioprofessionnelle des répondants. Les classes aisées jugent à 75% que ce terme est positif. Les classes défavorisées estiment à 27% que ce terme est positif. Cette méfiance des classes populaires et moyennes aux réformes doit être intériorisée par une classe politique qui porte ce terme en étendard, sûre que le consensus de son milieu est forcément partagé par la population. Or, pour une grande partie d’entre eux, les réformes inquiètent, parce qu’elles signifient trop souvent un renoncement personnel, parce qu’elles signent la fin d’un acquis sans offrir de contrepartie, de bénéfice, parce qu’enfin elles imposent un sacrifice dont les classes populaires ne semblent jamais voir la fin.
L’enjeu pour le Président est donc de faire rimer réformes avec progrès, de donner à ce terme une perspective, un futur. Bref de faire coïncider les réformes avec un changement positif, et jugé vital par des concitoyens qui ne se satisfont pas de la situation actuelle.
Une mondialisation au service de la France
La mondialisation est un autre point de divergence entre catégories populaires et supérieures. L’implication du Président de la République sur la scène mondiale est pourtant un actif incontestable de la marque Sarkozy : les différents rendez-vous internationaux, et l’engagement du Président pour résoudre les crises internationales ces trois dernières années, ont construit sa stature présidentielle, et assuré sa légitimité sur la scène internationale. Selon un sondage CSA, de 2009, 64% de nos compatriotes jugent que Nicolas Sarkozy a une stature internationale. Lorsque, fin novembre, le Président s’est exprimé sur la politique internationale, même 30% des sympathisants de gauche l’ont trouvé crédible (BVA).
Mais la séquence qui s’ouvre, et notamment la Présidence du G 8 et du G20 s’avère plus complexe. Il ne s’agit plus de construire une posture présidentielle. Il s’agit de démontrer que le Président, en voyage à l’étranger, défend les intérêts de la France, et notamment l’emploi et le pouvoir d’achat, premières priorités de nos compatriotes. A défaut, le Président court, au mieux, le risque de sembler ignorer les problèmes de nos concitoyens. Au pire d’abdiquer devant un système mondialiste qui fait office de bouc émissaire.
Car, selon l’analyse Ifop pour la Fondapol, la mondialisation est perçue négativement par 73% des Français. Nos concitoyens estiment à 28% que la France doit davantage s’ouvrir au monde d’aujourd’hui, tandis que 37% jugent au contraire que la France doit se protéger davantage du monde d’aujourd’hui. Des chiffres qui connaissent là encore de fortes divergences selon les catégories. Au sein des populations défavorisés et modestes, la demande de protection se fait beaucoup plus criante (entre 40% et 47%) tandis que chez les classes moyennes supérieures et classes aisées, ce chiffre tombe respectivement à 21% et 19 %.
L’objectif du Président est donc de démontrer que son engagement sur la scène internationale ’est pas un reniement, ni un alignement face à une économie mondialiste inquiétante, mais une volonté de changer les règles de l’intérieur. Une situation qui aurait le double mérite de cliver : positionner par contraste Dominique Strauss-Kahn comme le socialiste qui se sera soumis aux diktats de l’économie de marché et dénigrer des postures du FN qui préfère, à travers le retrait de la zone euro, le repli funeste plutôt que d’oser changer un système.
Les abus, premières des injustices
Troisième zone à même de cliver catégories populaires et catégories supérieures : l’injustice. Si la situation économique était comparable à 2007, le Président aurait beau jeu de prôner une baisse de la pression fiscale : 50% de nos compatriotes jugent cette dernière élevée, et les catégories populaires et classes moyennes sont les plus épidermiques sur le sujet. Au sein de cette dernière, l’aspiration à une baisse de la pression fiscale est particulièrement significative. Les items qui émergent le plus aux yeux des classes moyennes : non pas tant une aide (financière pour un logement (10%), hausse de la prime pour l’emploi ( 3%), hausse des allocations familiales (16%)), qu’une baisse sur les taxes de carburants (33%) et une baisse de l’impôt sur le revenu (41%). On retrouve ici les valeurs de responsabilité et de fruits du travail qui ont fait prospérer Sarkozy en 2007, et qui permettent à Marine Le Pen de recueillir jusqu’à 37 % des intentions de votes des indépendants et des commerçants, fatigués d’un système qu’ils pensent jouer à leur détriment. Mais une baisse de la pression fiscale semble hautement improbable compte tenu de la conjoncture, à moins de compenser auprès des plus aisés….
Quadrature du cercle, le thème de la justice sociale est pourtant un passage obligé pour un Président ne parvenant pas à corriger son image d’injustice, nourrie par les épisodes du Fouquet’s ou de l’affaire de l’EPAD. A la lecture des sondages néanmoins, une parade existe, qui cristallise l’attention de nos compatriotes au-delà des catégories : le sentiment d’injustice face aux abus. « Il y a trop d’assistanat, et beaucoup de gens abusent des aides sociales » est un sentiment partagé par 80%, soit une majorité écrasante de nos concitoyens. Ce combat contre les dérives du système, que le Gouvernement pourrait mener ne permettra certainement pas de résoudre l’équation budgétaire, mais peut-être calmer une population exaspérée par ce qu’elle considère être une faiblesse étatique.
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Voter pour une cause au-delà de Sarkozy
Il y a les thématiques de campagne, ce subtil dosage pour séduire à la fois les catégories populaires et convaincre le centre. Mais au-delà des thèmes, du rationnel, l’élection se joue sur une capacité à créer une adhésion autour du candidat. Pour permettre ce mouvement, le candidat Sarkozy, qui a construit autour de sa personne un rapport épidermique, va négocier en cette année 2011, trois virages.
D’abord, réconcilier pragmatisme et empathie. Le pragmatisme est la prise de conscience, légitime, responsable, que la situation économique de la France, impose de prendre des mesures drastiques, pour résorber les déficits et moderniser le pays. Mais cette nécessité rationnelle ne peut laisser à la gauche « le monopole du cœur » et de l’empathie, c’est-à-dire la capacité à se mettre à la place de l’autre et à comprendre ses problèmes, comme l’évoque Serge Tisseron dans son dernier ouvrage. Et c’est ici un défaut majeur de Nicolas Sarkozy aux yeux de nos compatriotes. Le Président de la République est perçu comme « éloigné des gens », et « insuffisamment à leur écoute » selon plus de deux tiers de nos compatriotes. Or, les exemples des élections présidentielles antérieures démontrent que le vainqueur gagne aussi sur sa capacité à endosser, porter les préoccupations de ses compatriotes.
Créer une cohésion autour d’une cause. La relation épidermique entre le Président et une frange de la population rend par ailleurs difficile d’espérer une réconciliation autour de la personne. La réconciliation peut avoir lieu autour d’un thème, une cause, que Nicolas Sarkozy serait le plus à même de porter : les Français reconnaissent en effet à une écrasante majorité son courage (75%), son dynamisme (65%) et sa capacité à prendre des décisions difficiles (66%) selon un sondage BVA. Ces attributs sont aujourd’hui le meilleur atout pour le Président, à condition de porter une cause qui soit jugée fondamentale aux yeux de nos compatriotes.
Enfin, le Président doit façonner une nouvelle histoire qui légitime sa candidature. L’engagement du Sarkozy version 2007 avait contribué à sa victoire. L’ambition d’un fils d’immigré à qui l’on n’avait rien donné, qui s’était forgé par lui-même, permettait d’incarner un principe méritocratique du travailler plus pour gagner plus qu’il proposait aux français. Quelle est la motivation de Sarkozy version 2012 ? Celle de garder le pouvoir pour lui et ses proches ? Le Président doit donc trouver pour 2012 un thème qui résonne avec son histoire personnelle.
Au croisement entre tous ces impératifs contradictoires se dessine le thème des générations futures.
Un sujet en phase avec une angoisse forte de nos concitoyens : la question du déclassement. Quand on pose aux Français la question : « Comment pensez-vous que vos enfants, neveux et nièces vivront dans une dizaine d’années ? » 65% des nos compatriotes pensent qu’ils vivront moins bien selon un baromètre Ifop pour la Fondapol. Un constat partagé par l’ensemble des catégories.
Dessinant un futur qui justifie les efforts, conciliant empathie et réalisme, un programme de quinquennat articulé autour « d’un futur pour nos enfants », aurait en outre le mérite de ne pas nier le repli d’une partie de la population, mais de prendre appui sur un réflexe naturel – penser d’abord à ses proches en cas de crise – , pour proposer une projet fédérateur.