Kirchner à Davos peint des nus édéniques d’avant le péché au bord des torrents. C’est dans la montagne qu’il recherche un état d’esprit qui aurait précédé la civilisation. Ou quand la nouvelle métamorphose de la montagne la transforme en lieu des origines idéales...
On voit que je n’hésite pas devant le patriotisme en ce jour de fête nationale. La montagne en tant que lieu originel a en effet un rapport étroit avec la Confédération helvétique.
Ceux qui ont créé la Suisse (une construction imaginaire de la deuxième moitié du XIXème: avant, il existait des entités qu’on appelait les cantons) ont en effet investi à cette époque-là les Alpes pour y trouver le Suisse. Celui des origines. Rude, pieux, travailleur, honnête, frugal.
Comme on trouve toujours ce qu’on cherche bien, ils ont installé leur prototype en altitude.
Le Valais par exemple était un pays de goitreux. Le voici peuplé soudain de valeureux travailleurs soumis à Dieu, aimant leur coin de terre et pourvu de vraies valeurs.
On a déjà vu l’asocial rugueux devenir un vieux sage: le grand-père de Heidi. Avec lui, c’est toute une société, jadis misérable, puante, fermée d’esprit, brutale, vaguement monstrueuse (les crétins des Alpes) qui change. Elle devient pauvre mais digne, vivant dans une grandeur dépouillée et antique, pittoresque, gardienne des valeurs fondamentales et éternelles. Les peintres de partout affluent pour immortaliser ce type – en fait pour le créer.
Cette recherche de l’innocence primitive se répand l’Europe entière. Et voici la troisième vision de la montagne, après qu’elle a été romantique, puis guérisseuse.