Le squat de maliens, mes voisins, était en sursis depuis plusieurs semaines.
Ce week-end, des hordes de CRS ont investi le quartier pour les déloger.
Je l'ai découvert en allant promener Bambi, les cheveux fous, aveugle, endormie, peu ragoûtante.
Le premier CRS samedi matin à m'adresser la parole a souhaité connaître l'adresse de la boulangerie la plus proche. J'ai répondu en toute honnêteté.
Il y en avait vraiment plein. Des CRS.
50 camions.
Ils occupaient le carrefour, les rues alentours, bloquant le passage à tous ceux, les riverains, qui n'avaient pas pris soin d'emporter avec eux leur dernière facture EDF pour rentrer chez eux. Ou un chien reconnaissable qui permette de franchir les barricades.
J'ai regardé, j'ai demandé aux civils qui ils étaient, je les prenais pour les cools, qui relogent, c'était la Préfecture.
Ils envoyaient des familles à l'hôtel, je ne pouvais pas tout à fait leur en vouloir même si je me sentais bien en face d'un feu de forêt, la destruction d'un écosystème.
Au fil des mois j'avais vu le cocon s'aménager, on apportait ceci, cela, l'électricité, l'eau, les cordes à linge. De loin, je voyais ça, 300 personnes, un petit village de montagne.
J'ai regardé l'affaire en témoin, le deuxième CRS à m'adresser la parole m'a demandé de dégager, poliment car c'est très important pour eux la politesse, ils vous en parlent tout le temps. Alors qu'on veut les gifler.
On est bête ?
J'ai rétorqué que j'avais le droit de rester. Ca l'a désorçonné car j'avais parlé très doucement. Pourquoi ? Parce que c'était ma rue. C'était pas un si mauvais argument de son point de vue en effet il a hésité. Puis m'a prévenue que je ferais mieux d'avoir ma carte d'identité sur moi. J'ai dit que je n'avais aucun problème d'identité, qu'il ne s'inquiète pas.
Je suis alors retournée chez moi, laissant la quête de clopes de côté. Pour "prévenir". A l'Iranienne.
J'avais un compte Twitter depuis des semaines et j'avais beau foutre des # à tous les mots je ne voyais pas de révolution se propager sous mes yeux. Des gens se disent "bonne nuit", des gens écrivent qu'ils ont trop bu et renvoient vers des papiers de Libération auquel l'acheteur lambda du quotidien accède tous les matins sans faire tout ce tralala. Ils font aussi des photos de steak frites.
J'ai prévenu mes 20 abonnés qu'il y avait une expulsion. Heureusement parmi eux, une élue a relayé, on ne peut pas exclure que la rixe qui a eu lieu en fin de journée près des lieux me soit attribuable.
Je rigole.
Personne ne retweetait rien donc je suis repartie sur le terrain. En emportant mon appareil photo. J'attendais d'avoir des consignes pourtant.
J'ai regardé de nouveau, toujours gênée puis j'ai franchi le check point pour aller au tabac, faire 2 ou 3 courses. J'ai parlé avec des journalistes pas bien efficaces qui exigeaient des CRS de se tenir correctement pour qu'ils puissent faire un beau plan large.
J'ai refranchi la ligne sans un mot, ils se sont dit entre eux, les CRS, qu'ils m'avaient déjà vue, surtout le chien, donc je n'ai pas eu à parlementer.
A ce moment-là une trombe d'habitants du squat sont arrivés vers moi, je n'existais pas, j'étais transparente, ils sortaient du squat et du périmètre de sécurité, ils étaient libres et expulsés puisqu'ils ne faisaient pas partie de ceux qui seraient amenés en centre de rétention. On peut imaginer que ce groupe avait des papiers.
Et beaucoup de bagages, des matelas aussi, on pensait "les chassés-croisés" de l'été mais ce n'était pas non plus ça. Pas des juilletistes.
Je peux pas m'empêcher de dire la vérité, ils n'étaient pas nerveux et ils ont fait ce sacré truc africain ils rigolaient.
Ca m'avait toujours plu qu'ils habitent à côté parce que j'entendais du bambara, on se parlait pas trop, ils étaient beaucoup trop nombreux pour ça je ne savais jamais si je rencontrais la même personne, y a aucun lien qui s'est créé. Sauf quand il y a eu l'incendie au squat, j'ai imprimé des feuilles avec l'adresse, le numéro de téléphone en gros caractère du DAL et je leur ai données. J'avais dû mettre une autre référence mais je ne m'en souviens plus maintenant, la CIMADE peut-être.
J'ai fait un adieu muet dans ma tête, c'était très triste, je suis rentrée.