Le dépaysement : Voyages en France, de Jean-Christophe Bailly

J’ai acheté ce livre début juillet. Il m’a accompagné dans les voyages que j’ai faits en France (Marseille, Nîmes, Anduze, Nevers, Rue, Chalon-sur-Saône) et les images du Tour de France diffusées à la télévision ont ajouté leurs couleurs, leurs reliefs. En quatrième de couverture, Jean-Christophe Bailly écrit : « Le sujet de ce livre est la France. Le but est de comprendre ce que ce mot désigne aujourd’hui et s’il est juste qu’il désigne quelque chose qui, par définition, n’existerait pas ailleurs. » Et, si je fais référence au Tour de France cycliste, c’est bien parce que les commentateurs répètent à l’envi que « le Tour de France, c’est le tour de la France » et se réjouissent du rôle que tiennent dans la course les Français…

Ce livre est vivifiant. Quand j’étais à Marseille, je lisais des pages sur Fontainebleau ; quand j’étais à Nîmes, à Anduze, c’était l’Alsace, les frontières ; à Nevers, mes lectures évoquaient Nîmes, le Pont du Gard ; il était question des vaches quand je traversais les champs d’éoliennes vers le Nord… Dépaysement, certainement, et en compagnie d’un auteur qui a écrit Description d’Olonne, une ville imaginaire, et qui enseigne à l’Ecole nationale supérieure de la nature et du paysage. Non que ça lui confère une autorité d’expert mais parce que son écriture donne prise sur le réel.

Et, comme je voyageais la plupart du temps en train, je me suis réjoui de lire, très tôt dans ce livre : « les trains, somme toute, finissent par arriver à l’heure, même s’ils sont en retard : idéologie, on le voit, opposée à celle, dominante, de l’efficacité lisse qui, elle aussi, a ses ornements, par exemple des palmiers ou des oliviers exilés dans de grands pots stupides comme on en voit gare de Lyon. »

Mais le livre de Jean-Christophe Bailly interroge le paysage pour tenter d’y voir la France, et, s’il en décrit les variétés de paysage, de gens rencontrés, d’animaux même, il nous entraîne dans une belle réflexion sur l’identité : « L’identité définie comme le modelé d’une infinité de départs possibles – peut-être serait-ce cela le socle le plus résistant de la provenance ? » De proche en proche, il en vient à se demander ce que signifie la dénomination même du Ministère de l’Intérieur : « à lui seul le nom décide qu’il y ait ce "dedans" dont il s’occupe, face à un "dehors" qui ne le concerne officiellement pas, bien qu’il en soit, entre tous les ministères, particulièrement obsédé ».

On le voit, il ne s’agit pas d’une promenade pour prendre l’air, et la photo de couverture, reproduisant les environs de Verdun, annonce en quelque sorte la couleur, d'autant plus qu'y est inscrit le nom de l'éditeur : Seuil. « C’est-à-dire que le chemin commence dès la porte, qu’il s’ouvre, qu’il est toujours béant. (…) Parcourir, c’est cela : aucun pèlerinage, aucune entrée, mais toujours, si l’on en prend la mesure, une sortie. » A travers les régions, nous rencontrons l’histoire (la fuite du roi, les cimetières militaires, une plaque d’hommage à Gracchus Babeuf, les dates de création du Familistère de Guise, etc.), nous visitons une toile de Courbet, un trajet de Rodin, un souvenir de Matisse, nous côtoyons un vendeur de filets de pêche, des éducateurs d’un établissement relevant de l’administration pénitentiaire, nous allons rue des Pauvres, et même rue Peu-d’aise.

Ici, on s’attache à chercher ce qui fonde la nation, et on se rend à Bibracte, capitale des Eduens. Mais, quelques pages plus loin, on arrive à un site aujourd’hui nommé Les-Eyzies-de-Tayac-Sireuil, habité depuis le paléolithique. Et l’auteur se réjouit : « la vallée de la Vézère n’est appelée à résider que dans le grand appartement collectif de l’humanité, ce qui est malgré tout plus confortable que de devoir être serviable dans l’antichambre d’une seule nation ».