Il y a quelques années, enfoncé dans le fauteuil d’une salle parisienne qui a échappé à ma mémoire, je prenais ma première claque coréenne. C’était le premier film de Park Chan-Wook à sortir au cinéma en France, Sympathy for Mister Vengeance. A l’époque, je m’en souviens, je m’attendais à voir un polar classique avec des gentils, des méchants, du suspense, un dénouement, peut-être même un happy end. Mais en lieu et place, j’ai découvert un polar social s’intéressant au moins autant à la société coréenne et ses tracas qu’au suspense.
Cette même surprise m’a de nouveau étreint il y a quelques jours grâce à The Murderer. Pourtant il y a deux ans, The Chaser, le premier film de Na Hong-Jin, figurait parmi mes longs-métrages favoris de l’année, et révélait le talent d’un nouveau cinéaste coréen. C’était un polar, sinon social, du moins conscient de certains maux inhérents à son pays. Mais c’était surtout une course haletante et exaltante, une maestria de mise en scène qui se sublimait dans un Seoul baigné de nuit.
Avec The Murderer, et après le succès considérable et inattendu de The Chaser (en Corée), je ne m’attendais pas à ce que Na Hong-Jin plonge encore plus loin dans la noirceur humaine. Il aurait pu profiter de sa nouvelle notoriété pour viser un public plus large, pour mettre un peu d’eau dans son vin. Il n’en est rien. Et au lieu de polar, nous sommes naviguons ici clairement dans le drame social. Gu-nam est un Joseon-jok, un coréen de Chine habitant (misérablement) au-dessus de la Corée du Nord. Endetté, au pied du mur, il accepte la proposition d’un type louche mais charismatique : aller tuer un type pour lui à Seoul, en échange d’une somme d’argent suffisante pour éponger ses dettes et reprendre sa vie en main. Ce premier acte dépeint un univers brut et désenchanté. Une vie sans lumière à la photo grise, aux mines sales, aux cœurs amers.
Puis le deal de Gu-nam dérape, sa mission ne se déroule pas comme prévu, et le voici en panique, suspect numéro 1 d’un crime qu’il n’a pas commis, recherché par les flics, pourchassé par la Mafia. Une course folle, contre la culpabilité, contre la mort, pour la vérité s’engage alors. Elle aura pour point d’orgue une des poursuites cinématographiques les plus longues, haletantes et brutales qui soit, à la fois parfaitement incroyable et étrangement réaliste. Un tel degré de maitrise de l’espace dévoile, ou plutôt confirme quel cinéaste Na Hong-Jin est en passe de devenir.
D’autant qu’au plus fort de l’action, le réalisateur ne délaisse jamais ses personnages à l’âme grise et à l’horizon funeste. Kim Yoon-Seok, en manipulateur increvable, impose un charisme machiavélique et hérite du rôle du bad guy après avoir personnifier l’anti-héros de The Chaser, à l’inverse de Han Jung-Woo auquel la rage effacée sied bien comme le calme du psychopathe lui collait à la peau dans The Chaser. Le dénouement vers lequel convergent les personnages, noueux et cherchant plus à nous bousculer qu’à nous éclairer simplement, n’est pas de ceux qui prévalent sur le chemin parcouru. Un chemin sinueux, sûrement trop long, élagué à coups de haches et de couteaux, des armes tranchantes qui deviendraient presque indissociables du film noir coréen.Après J’ai rencontré le Diable, le cinéma coréen est décidément sanglant et désespéré ces jours-ci.