J’ai toujours essayé de ne pas mentir sur mon blog, de ne jamais en rajouter. Pas tellement par honnêteté, soyons sérieux. Plutôt par simple précaution : bloguer relevant déjà d’un égocentrisme à tendance paranoïaque tout juste supportable, ajouter le moindre soupçon de mythomanie aigüe risquait de rendre le lieu et le personnage qui va avec vraiment détestables. La précaution de la sobriété m’a semblé tellement importante qu’il m’est même arrivé de me censurer quand la réalité couchée sur le papier se révélait peu crédible.
J’ai donc failli ne jamais raconter l’histoire qui suit, quand soudain, j’ai eu une lueur : sur ce coup là, j’ai plein de témoins, ILS SAVENT ! Alors voilà.
Le 8 juin 2011, j’ai appris des choses sur la colère, pile au moment où elle m’a quasiment sauvé de ça :
Bon ok, là j’en rajoute : par exemple, je ne porte jamais de cravate. Mais c’est la dernière fois, tout le reste est vrai.
J’étais arrivé depuis près de 2 heures à la soirée de lancement de la version communautaire de Vodkaster, l’excellent réseau social de cinéma sur lequel on va tous partager nos micro critiques avec notre communauté (si pas encore, on fonce se créer un profil). Un bar près de la cinémathèque, devant le parc de Bercy, un temps estival dont on ne sait pas encore à quel point il faut en profiter, un ciel entre chien et loup qui semble durer un éternité, des bières et quelques dizaines de copains de Twitter pour les partager, tout était parfait.
Alors que je riais probablement bêtement comme un fan transi à une blague de Ioudgine, j’ai vaguement senti un mouvement rapide à côté de moi. Je pense qu’il s’est à peu près écoulé 5 secondes entre le moment où j’ai posé mes yeux sur l’endroit vide où se trouvait plus tôt ma sacoche puis repéré les deux jeunes types qui s’éloignaient en courant, j’ai connecté les deux informations, posé méthodiquement mon verre sur la table, fait le tour dans ma tête de tout ce qui se trouvait dans ma sacoche (papiers, cartes de crédit, clés d’appartement, passeport avec adresse, téléphone…) et dit -à haute voix je crois, comme pour donner une explication à mes voisins- : “ces enfoirés m’ont volé mon sac, j’y vais“.
Je me suis donc lancé à la poursuite de deux jeunes types dans le Parc de Bercy désormais dans la pénombre, sans rien savoir de ce que j’allais bien pouvoir faire si par extraordinaire je les rattrapais. Alors que quelques rôdeurs visiblement habitués des lieux me regardaient -médusés- courir en veste noire de bureau comme un dératé en traversant le parc, je ne perdais pas de vue mon sac que j’avais repéré en bandoulière sur l’un des deux voleurs : les (interminables) escaliers de la passerelle Simone de Beauvoir, le passage au-dessus des Quais de Bercy puis de la Seine avant de redescendre sur le quai de la gare en direction du Batofar…
Au fur et à mesure de la course poursuite, je sentais la colère m’envahir, faisant le tour de tout ce qui allait immanquablement se passer : je ne les rattraperais jamais, je devrais rentrer de toute urgence chez moi pour assurer le changement de ma serrure, faire une déclaration de vol à la police, refaire tous mes papiers, récupérer une carte de crédit… Puis de réaliser que je n’aurais pas de quoi payer le serrurier que je n’aurais de toute façon pas pu appeler sans téléphone. Et je devrais aussi annuler mon rendez-vous pro très tôt du lendemain matin, passer ma journée dans l’administration à gérer mes papiers. Et comment on fait pour la carte vitale d’ailleurs ? Et le permis de conduire ?…
Le tout me rendait dingue. Et plus ça me rendait dingue, plus je gagnais du terrain sur mes deux cibles à capuche. C’est au niveau du Batofar que j’ai réalisé que je n’étais plus qu’à quelques mètres d’eux. Je ne sais plus ce que j’ai hurlé à ce moment là mais ça devait être quelque chose du genre :”JE SUIS EN TRAIN DE VOUS RATTRAPER ET JE VOUS DEPECER”. J’étais Dexter mais en version sous amphétamine. Ce qui a du donner à ma voix un ton suffisamment convaincant pour leur faire jeter mon sac sur la route.
Tout de suite après l’avoir ramassé, je me suis remis à leur poursuite tout en vérifiant ce qu’il manquait. Et aussi incroyable que ça puisse paraitre, il ne manquait rien dans mon sac pourtant ouvert. J’ai alors réalisé que je courais sans raison après deux types baraqués et peut-être armés d’un couteau ou pire. C’est pile le moment que j’ai choisi pour décréter que c’était complètement con et me suis arrêté.
Aussitôt, tout ce que je n’avais pas ressenti plus tôt m’est tombé dessus : le souffle court presque coupé, un point sur le côté, 20 ans de cigarettes qui remontent en une fraction de seconde.
Je me suis donc mis à marcher dans l’autre sens, toujours très en colère mais incapable d’enchaîner avec le moindre pas de course. En regagnant le Parc de Bercy, j’ai recroisé les mêmes qu’à l’aller, toujours médusés. “Hey M’sieur, c’est le sac qu’on vous a volé ça ? Vous auriez du nous dire, on les aurait arrêté“. Je souhaitais presque que l’un deux tente une approche de mon sac que je tenais à bras le corps, histoire de soulager cette irrepressible envie de péter quelques dents.
Ce n’est qu’arrivé aux niveau des mes collègues de soirée, sans doute 15 minutes plus tard, que j’ai commencé à reprendre mon souffle et à réaliser que je n’aurais pas à déranger de serrurier dans la nuit. J’entendais des félicitations sans bien les comprendre, je crois avoir juste donné pour explication que ça m’avait mis très en colère et que je les avais rattrapés.
Après avoir expérimenté quelques années plus tôt un choc qui m’avait littéralement coupé le souffle et les jambes, j’ai découvert les vertus de la colère qui décuplent les forces, font oublier l’âge et la raison. J’ai bien noté dans les jours qui ont suivi qu’elles ne préservent pas des courbatures aux jambes que j’ai trainées 4 jours. Je n’ai pas manqué une séance de sport depuis. Et je sors avec le strict minimum sur moi dans les soirées.