Construit comme les précédents livres, Ras et Os, parus aux mêmes éditions Tarabuste respectivement en 2001 et 2004, Peau témoigne de l’expérience du sujet entre ce qu’il nomme le « dedans » et le « dehors », adoptant en vers et en prose la forme datée d’un journal mais journal de bord (on pense à Reverdy, l’un des « phares » d’Emaz) plutôt que journal intime, journal de bord dans le sens où il s’agit de mener son embarcation dans la vie quotidienne, de tenir la barre et de tenir tout court malgré tout : « Poser le corps comme un sac de patates ou un pack de vittel »… Le poète sait dire la routine, la fatigue, la vieillesse, l’ennui, la solitude comme personne, et aussi bien se faire l’écho des nouvelles du monde, son « journal » intégrant alors telle ou telle information perçue, passée par le tamis des médias (télévision, radio).
Corde, 2 (11.12.05)
à un moment du soir
reste la fatigue
la loque
du jour on lave vite
en mots comme on peuton repasse on plie on range
reste un peu de place
en haut de l’armoire
à gauche
un videon a encore
du temps
Encore une fois cet auteur qui a pris le parti d’employer les mots les plus usés, les plus banals de la langue, les plus simples en apparence réalise un chambardement poétique véhiculant pensée complexe et émotion sans emphase. La table dressée en fin de volume est à elle seule un texte d’Emaz : « Trop, 1 (18.09.05) / Seul, 1 (24.09.05) / Vert, 1 (31.09.05) » etc. presque une litanie (Trop / Seul / Vert / Lie / Lie / Trop / Corde / Seul / Trop / Corde / Vert / Seul / Trop / Corde / Lie / Seul / Trop / Vert / Lie / Vert / Corde / Seul / Lie / Trop / Lie / Seul / Corde / Vert / Corde / Vert) ; Emaz qui depuis des années maintenant accomplit une œuvre remarquable, on pourrait tout citer. Jusqu’au jargon indéchiffrable des résultats d’une analyse de prise de sang, indéchiffrable et pourtant au plus près de l’état des lieux si l’on peut dire les choses ainsi, peut-on demander au poète de mettre davantage sa « peau » sur la page ?
Une contribution de Valérie Rouzeau
Antoine Émaz
Peau
avec des encres de Djamel Meskache
Tarabuste, 2008
12 €