Ayaan Hirsi Ali est une nomade. Elle a vécu en Somalie, en Ethiopie, au Kenya, en Arabie Saoudite, aux Pays-Bas. Enfin elle vit aux
Etats-Unis. Dans Nomade, publié chez Robert Laffont ici, elle nous raconte cet itinéraire sans épilogue :
"Etre une nomade, dans une errance permanente, m'avait toujours paru romantique. Dans la pratique, être sans foyer et vivre sur une valise, c'était un petit
avant-goût de l'enfer."
Car cette errance permanente n'est pas le fruit d'un choix délibéré. Sa famille quitte la Somalie pour des raisons politiques. A 22 ans elle refuse d'aller au Canada
épouser l'homme qui lui est imposé par son père et s'installe aux Pays-Bas où elle devient parlementaire. Son opposition à l'islam radical la contraint à se réfugier aux Etats-Unis
pour ne pas subir le sort réservé à son ami Theo Van Gogh par les fondamentalistes musulmans.
Qu'ont fait d'elle ses racines familiales dont elle s'est mise en quête pour se comprendre ? Une rebelle et, dans le même temps, une personne qui ne peut complètement s'en affranchir. Quand elle parle de sa famille à problèmes, elle ne peut s'empêcher de souffrir de ce que celle-ci est devenue, parce qu'elle reste sa famille. La raison n'empêche pas les sentiments.
La charia incorporée à la loi clanique pèse lourdement sur les membres de cette famille. Ayaan se rend compte douloureusement des conséquences tragiques qui en résultent. L'amour filial qu'elle éprouve pour son père qui ne comprend pas sa fille aujourd'hui apostate prouve qu'il est bien difficile de se départir des liens que la nature tisse entre les êtres.
Qu'il s'agisse de sa mère, de sa demi-soeur, de son frère, de ses cousins ou de sa grand-mère, elle montre par le
récit que le fatalisme religieux est une bonne excuse pour ne pas prendre sa vie en main et pour ressasser indéfiniment ses échecs, considérés comme des punitions, des
flagellations, des lapidations, infligées en conséquence de ses propres fautes ou de celles des autres membres du clan.
Quand les non-occidentaux vivent dans les pays occidentaux, ils ne sont pas encouragés à se départir de leurs traditions, bien au contraire. Il en est ainsi notamment de la polygamie dont
les ravages sont dévoilés crûment par Ayaan qui les a vécus de l'intérieur. De ce fait-là ils ne peuvent qu'échouer, faute d'être capables de partager un
jour les valeurs des pays qui les accueillent, tout en les adoptant en apparence :
"Au coeur du choc des valeurs entre la culture tribale de l'Islam et la
modernité occidentale, il y a des passions humaines universelles : le sexe, l'argent et la violence."
Si dans la modernité occidentale le sexe, l'argent et la violence sont du ressort de la responsabilité individuelle et relèvent des tribunaux quand il y a atteinte à la liberté, à la
propriété ou à l'intégrité de l'autre, il n'en est pas de même dans la culture tribale de l'Islam.
La sexualité des femmes dépend du bon vouloir des hommes du clan, voire de la tribu. Leur mariage est forcé, arrangé. Elles
ne sont que de simples possessions matérielles. Leurs ventres sont des incubateurs. Elles ne doivent pas connaître le plaisir, mais enfanter, d'où les mutilations génitales telles que l'excision
du clitoris ou des petites lèvres du sexe, sans parler de la couture de l'ouverture du vagin.
Si elles ont des relations sexuelles hors mariage, elles méritent la mort parce qu'elles sont un déshonneur pour les hommes de leur clan. Ayaan donne l'exemple récent de tels meurtres pour
l'honneur commis aux Etats-Unis par un frère ou par un père etc.
L'argent est destiné au clan, voire à la tribu. Les membres qui se trouvent dans les pays occidentaux pensent d'abord à envoyer de grosses sommes d'argent à ceux qui sont restés au pays.
Pour ce faire ils empruntent sans vergogne, sans savoir comment ils pourront rembourser. Pour la galerie ils dépensent sans compter et se couvrent de dettes en abusant des cartes de crédit mises
à leur disposition etc.
La violence fait partie de l'éducation dans la culture tribale. Les punitions sont acceptées : il n'y a pas de remise en cause, comme il n'y a pas de remise en cause de la véracité et de la
valeur du Coran aussi bien de la part des musulmans modérés que des fondamentalistes. On apprend aux enfants musulmans la violence, à la perpétuer, "à
souhaiter la violence contre les infidèles, les juifs, le Satan américain".
Les punitions sont principalement des châtiments corporels qui permettent aux uns d'affirmer leur autorité sur les autres.
La loi du plus fort est toujours la meilleure. La violence est la méthode usuelle de résolution des conflits. C'est aussi pour les hommes un moyen de prévenir la désobéissance
des femmes etc.
Ayaan Hirsi Ali a déjà décidé de quitter les Pays-Bas pour occuper une place de chercheuse à l'AEI, American Enterprise Institute et
de renoncer à son mandat de député au Parlement néerlandais quand elle est déchue de la nationalité néerlandaise par une collègue de son propre parti, le parti libéral, où elle est membre
d'une cellule de réflexion politique.
Le motif invoqué pour cette déchéance ? Elle a menti quand elle a immigré dans le pays en disant qu'elle était persécutée
pour des motifs politiques. Ce mensonge, elle ne l'a pourtant pas caché par la suite. Elle l'a même évoqué lors d'entretiens avec des médias. Juste avant qu'elle
ne quitte son dernier foyer perdu et ne reprenne son errance, sa citoyenneté néerlandaise lui est cependant rendue...
Au début Ayaan va sillonner les Etats-Unis pour y faire des conférences et mesurer à quel point ce pays est immense. Elle va en quelque sorte rester nomade. Quand elle prend le
temps de faire une pause, elle découvre une spécificité de ce pays qui est enthousiasmante, avec la faculté de passer rapidement à autre chose quand cela ne marche pas :
"Pour moi, c'est cela l'Amérique : une vaste famille à laquelle n'importe qui peut appartenir, dès
lors que vous en acceptez les valeurs."
Seulement les musulmans d'Amérique n'accepte pas vraiment ces valeurs. Ils jettent le discrédit sur ce que dit Ayaan Hirsi Ali dans ses conférences. Même si la situation des femmes musulmanes est
meilleure en Amérique qu'en Europe, encore qu'elle se dégrade, pour les jeunes musulmans de là-bas, les mutilations génitales subies par elles, leur statut inférieur de
demi-personnes juridiques, les mauvais traitements qui leur sont infligés sont exagérés ou des vues de l'esprit de la part de quelqu'un qui ne ferait montre que d'un ressentiment
personnel.
Quels remèdes pour que l'esprit musulman aille vers l'ouverture ? Selon Ayaan seules les valeurs issues des Lumières sont à même de le faire : "la liberté
de questionnement, l'éducation universelle, la liberté individuelle, l'interdiction de la violence privée et la protection des droits de propriété de l'individu".
Encore faut-il que demeure la liberté d'expression qui, selon elle, "inclut le droit de blasphémer
et d'offenser" et que l'auto-censure ne prenne pas sa place pour ne pas faire de peine ou ne pas s'exposer à des représailles.
Encore faut-il que les féministes ne ferment pas les yeux sur les droits bafoués des femmes musulmanes sous prétexte de respecter une autre culture que la leur et qu'elles ne fassent pas de
fausses comparaisons avec le sort encore inégal des femmes occidentales.
Encore faut-il que cessent les luttes intestines entre athées et agnostiques, chrétiens et juifs, protestants et catholiques.
Encore faut-il que les athées, les libéraux classiques, les chrétiens éclairés luttent ensemble contre cet ennemi commun qu'est l'islam.
Encore faut-il que le Vatican et les églises protestantes ne croient pas que le dialogue interconfessionnel amènera "l'islam dans le giron de la civilisation occidentale":
"Les Eglises devraient faire tout ce qui est en leur pouvoir pour remporter cette bataille des
âmes en quête d'un Dieu compatissant - ces âmes qui découvrent maintenant qu'un Allah impitoyable leur est plus accessible."
Dans sa conclusion Ayaan relate une histoire contée par sa grand-mère. Un lutteur et un poète rivalisent. Le lutteur accepte le défi de composer un poème qui n'est pas à la hauteur de celui du
poète. Il perd donc et est discrédité. Le poète, plus intelligent, n'aurait pas accepté de rivaliser avec les muscles de son adversaire...
S'il n'y a pas d'épilogue réel à son errance, l'auteur imagine celui d'enfanter une fille, comme le lui a conseillé Oriana Fallaci, rencontrée peu de temps avant sa mort
Elle s'adresse à sa fille dans une lettre où elle s'engage à ne surtout pas lui infliger l'éducation qu'elle a reçue.
Elle lui enseignera trois valeurs : la responsabilité, le devoir et la réflexion critique. Elle la mettra en garde contre le ressentiment. Elle aura pour elle un amour inconditionnel tellement
plus puissant que celui de la foi en Allah...
Francis Richard
Ayaan Hirsi Ali a créé en 2008 une fondation, AHA ici, pour faire prendre conscience des pratiques violentes exercées
contre les femmes aux Etats-Unis, les informer et les assister.