Magazine Journal intime

David Servan Schreiber continuera à briller pour moi

Par Isabelledelyon

Je suis très attristée par la mort de David Servan Schreiber (DSS). Cinquante ans, c'est beaucoup trop tôt pour mourir. Ses deux petits derniers ne l'auront que si peu connu. En mai 2010, voici un an, sa femme était enceinte de 5 mois de la petite benjamine lorsqu'il a appris son glioblastome.

J'ai toujours détesté ce mot "glioblastome", l'impression de vomir lorsque je le prononce, certainement à cause des "O", "GL" et "BL" qui forcent à ouvrir en grand la bouche pour déverser ce mot synonyme de mort, de grand malheur, de cancer incurable. La première fois que je l'ai entendu, je ne savais pas ce qu'il signifiait en terme de tragédie mais le chirurgien, neurologue, chef de service, m'a vite mise au parfum. Il avait pris la précaution de nous faire asseoir ma mère et moi avant de nous l'annoncer. Il avait fait plus simple en disant "cancer au cerveau incurable, quelques mois de survie". L'oncologue lui l'a prononcé ce mot correctement suivi d'une précision de taille pour notre malheur, enfin surtout pour le malheur de mon père : "glioblastome de type 4". Il a même insisté pour éviter tout faux espoir, "il ne passera pas l'année". Mon père avait à peu près le même âge, 54 ans à l'annonce, 55 au décès. Ce n'était pas une rechute, c'était directement le Big One comme l'appelle DSS.

Il ne s'agissait pas de moi cette fois-ci mais de mon père que j'aimais tant. J'ai fait comme les frères de DSS, je suis restée autant que j'ai pu à ses côtés, je l'ai accompagné. Je lui ai donné ses bains, je lui ai coupé ses ongles, je lui ai lavé son linge, j'ai compensé comme j'ai pu avec l'aide de mon mari sa perte d'autonomie pour pouvoir l'avoir un peu chez moi et profiter de ses dernières semaines de vie. Je sais qu'il est resté conscient jusqu'au bout, enfin jusqu'à sa plongée dans une sorte de sommeil artificiel pour l'empêcher de souffrir, une quinzaine de jours avant sa mort. Entre l'annonce et son départ, il se sera écoulé 10 mois. Il a assisté à la perte de ses capacités physiques. Beaucoup de personnes s'inquiètent des souffrances physiques. Je pense qu'elles ont tort, ce n'est pas ce qui est le plus dur à vivre, il existe quantité de drogues pour planer et ne pas sentir les effets de ce crabe qui ronge peu à peu nos organes vitaux pour gagner du terrain. Je reste persuadée que le plus dur, le plus terrible est de savoir que cette fois la mort est imminente, de dire au-revoir à tous ceux qui nous sont chers, à nos enfants. C'est la souffrance psychologique qui est la plus dur à supporter. Et tout ce temps passé alité ne peut que faire augmenter son intensité, trop de temps pour penser, trop de temps pour imaginer, trop de temps pour souffrir.

DSS a réussi à accepter sa mort en voyant tout ce qu'il avait accompli, en ayant eu une vie remplie et heureuse. Son entourage dit qu'il n'était pas en colère. Je n'aurais pas cette acceptation-là. Je n'aurais pas cette paix intérieure face à ma mort si elle survient dans la force de l'âge. Je sais que c'est la seule façon de partir apaisé, de réussir sa mort, mais je ne pourrais pas. J'aime bien trop la vie. Je ne veux pas dire au-revoir à mes proches. Je suis admirative devant cet équilibre, devant cette force qu'il a eu. Je suis toujours très en colère contre le cancer, contre cette maladie qui vole beaucoup trop de vie.

DSS a pu compter sur sa famille pour être accompagné jusqu'au bout. C'est tellement important de sentir l'affection des gens qu'on aime, c'est une force qui nous porte et nous permet de supporter beaucoup de souffrances. J'ai pu le constater pendant mes annonces de métastases, pendant mes traitements lourds dont je voyais pas la fin.

DSS était une personne très sympathique, pleine d'empathie. Son combat était le notre. Il a réussi à faire parler de tout un tas de facteurs qui peuvent aider les personnes luttant contre un cancer, en dehors des traitements classiques. Les médecins font de leur mieux face à cette maladie sournoise et si puissante. Ils disposent de peu d'armes toutes dévastatrices, chirurgie, chimio, rayons. Le plus souvent, elles sont suffisantes pour venir à bout du cancer. Tant pis pour le patient qui a réussi à sauver sa peau mais qui est dans un état d'épuisement intense avec toutes ces batailles livrées dans son corps pour éradiquer ce cancer.

DSS a su attirer l'attention sur des petits plus, qui ne cherchent pas à dévaster, à diminuer quelque chose mais au contraire à augmenter, à positiver. J'ai toujours aimé son discours, ses propositions. Elles m'ont permis de me sentir actrice de ma maladie et pas seulement transformée en champ de bataille.

L'idée que l'alimentation puisse nous aider à augmenter nos défenses immunitaires est simple à mettre en pratique sans tomber dans des carences. De tout temps, on a utilisé des plantes, des aliments pour aider le corps à lutter. Les sportifs sont accompagnés de nutritionnistes pour doper leur corps naturellement. Pourquoi pas un cancéreux qui va devoir supporter toutes ces destructions de cellules dans son corps? Et puis l'idée de participer à sa guérison est très positif pour le moral. Avoir le sentiment qu'on puisse avoir un petit rôle dans cette lutte contre l'ennemi aide à supporter toutes ces misères aussi bien physiquement que psychologiquement.

Plus ma peur du cancer est grande, plus je suis excessive dans mon alimentation. Au début de ce changement d'alimentation, je me suis dit que je n'avais plus grand chose à perdre avec des métastases au foie aussi autant mettre toutes les chances de mon côté. Ça ne pouvait pas me faire de mal, que du bien.

Je n'ai pas changé que mon alimentation. Le cancer a fait son travail. Je ne suis plus la même. Je ne vis plus de la même façon. J'ai une conscience accrue de ma qualité de mortelle et donc de mon intérêt à savourer chaque instant qui passe.

Dans son dernier livre il parle de ce rapport à la nature qui semble être très important et qu'il n'a pas su mettre assez en pratique. J'ai ressenti aussi ce besoin de me couper du monde, de me retrouver en symbiose avec la nature, un véritable retour à mes sensations primaires. Après ce cancer, j'ai aussitôt voulu une maison à la montagne pour en profiter toute l'année. Je ressentais un besoin vital de me retrouver là-haut, cernée de toute part par la majestuosité de ces montagnes, par la nature. A chaque fois, je reviens de là gonflée d'énergie comme si cet environnement me permettait de me libérer de toutes les tensions qui m'habitent. Rester assise sur une chaise devant ces paysages grandioses, bercée par le bruit des insectes en été, des oiseaux toute l'année, me sentir loin de tout stress, me fait un bien fou. C'est une véritable thérapie.

Je ressens aussi, comme DSS, le besoin d'en savoir toujours plus sur le cancer et de partager ces connaissances. Evidemment pas du tout au même niveau mais à mon petit niveau, celui d'une patiente dotée d'une curiosité insatiable en ce qui concerne mister crabus. Je pense que c'est une sorte d'auto-défense, on se défend mieux lorsqu'on connaît mieux son adversaire. L'inconvénient c'est que je maîtrise aussi toutes les étapes du déclin.

Par contre j'ai une divergence d'attitude avec DSS. Peut-être est-ce dû à la durée de la rémission ? je ne sais pas. Il écrit qu'il a eu la faiblesse de croire qu'il était devenu "invincible". Il a osé pensé que le cancer ne reviendrait plus ou plus tard. Il a mis certaines de ses bonnes résolutions de côté, a repris un rythme trépidant, ne se ménageant plus beaucoup. Il a osé avoir deux enfants en bas âge alors que lui-même avait dépassé 45 ans. Je ne suis pas capable de cette prise de risque. J'ai bien trop peur du cancer. Parfois moi aussi, je me sens au-dessus de ce cancer. J'ai le sentiment que peut-être je pourrais être différente, que peut-être je pourrais être plus forte que lui et arriver à avoir une vie pas trop courte, presque normale. J'ose m'imaginer arriver à la retraite, j'ose imaginer que je connaîtrais mes petits enfants. Je touche du doigt des paradis qui ne sont pas pour moi mais j'ose me dire "pourquoi pas après tout?" et y croire. Et puis il suffit d'un contrôle, d'un bilan, d'une perfusion d'herceptine, de l'annonce du décès d'une sister pour que la réalité revienne à moi et que je me réveille d'un joli rêve.

Même si je n'avais pas mes perfusions d'herceptine, je n'oserai jamais avoir un autre enfant. J'aurais bien trop peur d'en faire un orphelin. Je tremble déjà bien assez pour mes filles à l'idée de les abandonner en chemin. Lorsque je sens que je manque de sommeil, que je suis trop tendue, je pense aussitôt à mon cancer. Je fais tout pour lever le pied et revenir à un état d'équilibre. J'ai tellement peur de jouer le jeu de cette saleté. Je me sens beaucoup plus fragile que DSS. Il faut dire qu'à chaque fois que j'ai eu le malheur de penser que je nageais dans le bonheur, le cancer m'a rappelée à son bon souvenir. Je suis extrêmement méfiante.

J'aime beaucoup sa conclusion, dans son dernier livre "On peut se dire au-revoir plusieurs fois", l'image d'un proche décédé qui viendrait nous caresser le visage comme la brise le fait, une sorte d'ange gardien qui ne nous abandonnerait jamais.

Dans la soirée "arte" consacrée au cancer du sein, voici quelques mois, une femme atteinte d'un cancer du sein à un stade avancé donnait sa vision de la vie qui m'a marquée et touchée :

"La vie c'est comme un livre, il y a des petits livres avec très peu de pages, d'autres avec de très nombreuses pages. On ne sait pas de combien pages sera fait notre livre mais chaque jour nous en rajoutons quelques pages."

J'espère bien atteindre le volume de celui que je lis actuellement "Belle du seigneur", en édition poche, il fait 1.100 pages...

aurevoir


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