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Une source perdue, par Lucien Noullez

Par Florence Trocmé

Alain Helissen a adressé à Poezibao ce texte de Lucien Noullez, écrit après décision du journal La Libre Belgique de supprimer sa rubrique poésie.  
 
Une source perdue  
 
La Libre Belgique, qui s’honorait encore, voici quelques semaines, d’être le dernier quotidien francophone du pays à publier régulièrement, dans ses pages littéraires, une chronique de poésie, a décidé de renvoyer la chroniqueuse,  Luc Norin, à ses chères études et de se passer de poèmes. On ne parlera donc plus, dans ce journal qui reste, malgré tout, à mes yeux, l’un des plus sérieux et des plus crédibles de la Belgique francophone, de cette chose fragile et essentielle, réputée invendable, mais qui s’entête malgré tout à être écrite et publiée, lue et commentée1 : la poésie. 
 
On connait l’argument : personne n’en parle, n’en parlons donc pas. Comme si le rôle de la presse et des médias consistait uniquement à alimenter le grand radotage social. Comme si les supposés problèmes de priapisme d’un ex patron du FMI, les sauts et sursauts sanitaires d’une vieille star du rock, le mariage tonitruant d’un Prince anglais méritaient d’effacer l’intimité profonde de chacun, la retenue dans la parole et l’enchantement lucide des poèmes. 
 
Certes, et le bon Bernard Pivot s’en était expliqué jadis : la poésie passe mal à la télé. La poésie est lente, la télévision fait dans le stress ; la télé impose l’image et la poésie la suscite. Mais cela n’empêcha pas l’animateur d’Apostrophe et de Bouillon de culture, d’inviter quelquefois des poètes et il leur réserva toujours une petite place dans le mensuel littéraire qu’il avait fondé.  
 
Vous me direz que, par nature, la presse est pressée. C’est vrai. Et cette urgence s’accélère encore par l’usage un peu désordonné que les quotidiens font de l’internet. Les infos y affluent, le plus souvent mal écrites ; elles se contredisent parfois, et elles laissent se déchainer, sous prétexte de démocratie, les pires commentaires des bloggeurs. Là encore, on confond le bavardage avec l’élection, et on oublie que ce qui fonde, après tout, toute démocratie autorisée est un silence : le silence de l’isoloir.  
Tiens, tiens, le silence et la solitude seraient donc nécessaires, essentiels même à la bonne marche de la chose publique. De Thérèse d’Avila à… Charles De Gaule, je ne me souviens pas, en effet, de grandes femmes ou de grands hommes d’action qui pussent se passer de retraite, de méditation, de moments d’isolement silencieux, pour agir après, avec détermination force et prudence. Et je ne connais pas non plus, dans mon environnement immédiat, dans mon métier de professeur, des éducatrices ou des éducateurs dignes de ce nom qui ne sachent se détacher un peu de l’immédiateté des problèmes, pour retrouver en eux la source qui procure tout à la fois la modestie et la confiance nécessaires à l’exercice de l’autorité. 
 
Vous me voyez venir ?  
 
La poésie, tout le monde le répète, est à l’origine de tous les grands récits fondateurs. La poésie subsiste, dans la conscience littéraire et dans la conscience tout court, comme un lieu un peu mystérieux où se chauffent et se questionnent nos interrogations sur l’être, sur le néant, sur l’espérance et son contraire. La poésie est le petit secret de chacun. Elle ne remplacera jamais le grand commerce des idées, des décisions ou des mœurs, mais elle a, si j’ose le dire, son silence à y apporter.  
 
Elle a donc à voir avec l’âme. Et, s’il vous plait, ne riez pas trop vite. Car l’âme est une métaphore qui ne peut se résoudre. L’âme est un petit mot inutile, l’âme n’est pas un dogme : c’est un flottement imperceptible de véracité qui irrigue nos choix, nos convictions, nos décisions, nos affections et nos silences. 
 
Quel chagrin de penser que même La Libre ait cru bon de s’en passer…  
 
[Lucien Noullez ]
  
1. Le Journal des poètes, par exemple, continue de donner régulièrement une information sérieuse sur la vie poétique internationale. Son abonnement coute un prix dérisoire (18€ par an)  
 
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