(titre emprunté à Freud: Das unbehagen in der Kultur)
Les images se télescopent pour former une bouillie qui laisse
un goût d’amertume. Tsunami au Japon, mort de Ben Laden, DSK en boucle, Bettencourt et consorts, raids en Lybie, répression sans écho en Syrie, famine dans la corne de l’Afrique, la Grèce
exsangue, la tuerie d’Oslo. Les chiffres donnent le tournis, dix mille morts et disparus au Japon, location à 50 000€ mensuel, dons d’une milliardaire d‘1million d’euro à l’un, 160 millions à un
autre, 600 à un autre encore, dette de 35 millions au fisc, 50 millions d’euro pour la guerre en Lybie, un dictateur accueilli en grande pompe et voué aux gémonies quelques mois plus tard, 1200
victimes d’un dictateur en Syrie, 500 000 réfugiés de la faim au Kenya, 170 milliards d’euros pour éviter une faillite d’un pays, réduction drastique de l’aide alimentaire et au logement chez
nous, massacre en Norvège. Et puis, pour saupoudrer d’incompréhension notre nausée, des annonces de viols, de meurtres d’enfants, d’agressions gratuites.
Le texte de Freud (déposé en novembre 1929 chez l’imprimeur) avait la couleur du temps: haine, agression, autodestruction. Là, trop de religion qui
invite à détruire l’autre, le mécréant ou l’autre religion. Ici, plus assez de sens du sacré, c’est à dire la perte du sentiment d’appartenance à une forme d’idéal d’un groupe. Je ne peux
m’empêcher de penser que le diagnostic de Régis Debray est juste: «Si Freud revenait en ce début de XXIème siècle, il découvrirait une société réduite à des rêves consuméristes sans utopie ni
projet.»
Je m’interroge. Que signifie cet acharnement à vouloir vivre et faire survivre l’expérience artistique? Loin des cercles de pouvoir politique ou médiatique, artisan de l’écriture, artisan du théâtre, il ne s’agit pas de vouloir apparaître sous les feux des projecteurs pour se réaliser, mais peut-être simplement de se dégager des comportements archaïques, des régressions, des pulsions de mort. Et offrir l’opportunité, modestement, là où je me trouve - Cholet, une petite ville de province - loin des grands messes artistiques, de donner à voir, à écouter des textes de théâtre, à feuilleter un livre qui mêle la passion de la littérature à la passion du beau, de rencontrer autrui pour partager nos efforts de création. Et le proposer pour un jeune public, pour des élèves de collèges et de lycées, pour des apprentis, au plus grand nombre.
Il faut bien des rituels pour organiser l’espace, pour rythmer le temps, pour prendre le temps de l’écoute. Quand l’humain va-t-il abandonner les borborygmes, les cris de haine ou de vengeance ou de peur? Il est nécessaire d’accéder aux langages. Des mots, de l’art. Pour relier ce qu’on ressent, son expérience singulière à l’universel. S’apercevoir qu’on n’est pas seul quelles que soient nos différences ideologiques et culturelles. Se rendre compte que nous sommes le produit d’une fiction, comme chacun d’entre nous. Qu’il est donc inutile de vouloir accuser l’autre de ne pas être identique. Flaubert disait: «Imbéciles: ceux qui ne pensent pas comme moi.»
Tisser des liens entre pratiques professionnelles et amateurs, faire se rencontrer les créateurs révélés et ceux qui ne le sont pas encore, faire en sorte que l’activité artistique et l’expérience de la création ne soient plus réservées à la poignée de ceux qui en connaissent les rites, les codes et les réseaux. Et de répondre à la question que posait Freud:
«La question décisive pour le destin de l’espèce humaine me semble être de savoir si et dans quelle mesure son développement culturel réussira à se rendre maître de la perturbation apportée par la vie en commun par l’humaine pulsion d’agression et d’auto-anéantissement».
*à paraître aux éditions ÉLAN SUD en septembre.
** Compagnie de théâtre professionnelle à Cholet.
Images :
1 : TOURMENTE 5 juillet, 2006 par fdpp (cliquer ici)
2 : Couverture de "L'éphémère a un goût de cacahuète" de Maurice Lévêque (cliquer ici), à paraître chez Elan Sud en septembre 2011