Les deux fragments qui suivent sont tout ce qui reste d’une tragédie dont l’auteur, inconnu, a situé l‘action à Éphèse en 356 avant J-C, peu après l’incendie du temple d’Artémis. Si l’on se réfère aux habitudes des dramaturges grecs, il est probable que le coryphée incarnait un des principaux personnages de la cité, grand prêtre d’Artémis ou membre du Conseil des anciens, tandis que le chœur représentait le peuple. La première partie avait sans doute pour décor le portique du temple, quant à la seconde, elle devait avoir pour cadre une taverne.
…Le coryphéeOh Déesse tu peux de nouveau faire descendre sur la ville la pluie de tes bienfaits.
Nous avons saisi le criminel, nous l’avons lié et nous l’avons traîné devant le tribunal
Le chœur
Grande est l’Artémis Éphèse !
Le coryphée
En découvrant son visage les citoyens ont été saisis d’effroi : le monstre n’était ni un vil esclave, ni un de ces métèques qui hantent les ruelles mal famées de nos bas quartiers. Ce n’était pas un Syrien suintant l’huile, ni un Égyptien dont l’haleine pue l’oignon, ni un Scythe couvert de tatouages. Non ! le criminel était un membre de notre communauté. Un Grec ! Un Ionien ! Un fils de ta ville !
Le chœur
Grande est l’Artémis Éphèse
Le coryphée
Abomination : quand le sage Démétrios l’a interrogé. Le misérable n’a pas montré le moindre remords. Bien au contraire ! Il a souri et, le plus calmement du monde, il a commencé à raconter en détail comment il avait préparé son immonde attentat. Philon, le stratège, l’a interrompu en le traitant de fou. « Non, s’est-il écrié, je ne suis pas fou et la preuve, citoyens la voici ! » et il a repris son récit.
Le chœur
Grande est l’Artémis Éphèse.
Le coryphée
Oui il a continué, l’impie ! Le sacrilège ! Sans rougir, sans trembler, il a tout avoué. Comment il a mis au point l’abominable mixture dont il a, patiemment, rempli des vases venus de Corinthe. Comment il a trouvé le moyen de pénétrer dans les réserves du temple et d’y déposer ses infernales machines. Comment enfin, il a choisi le jour solennel où la jeunesse rassemblée rend hommage à la déesse, pour jeter la torche qui déclencha l’incendie qui consuma le temple et où périrent tant de nos concitoyens.
Le chœur
Grande est l’Artémis d'Éphèse.
Le coryphée
Nous tous, les sages de la cité, nous l’écoutions pétrifiés d’horreur, mais le pire restait à venir : « Tout cela Éphésiens, a-t-il poursuivi, je l’ai fait pour vous ! Pour votre bien ! Il fallait vous forcer à lutter enfin contre la décadence à laquelle vous vous abandonnez. La ville est envahie par des métèques dont l’orgueil est tel qu’ils se croiront bientôt les égaux des Grecs. Vos femmes sortent librement des gynécées, elles font la loi dans vos maisons en attendant de prendre votre place à l’Assemblée. Pour tout dire, vous valez un peu moins que des porcs et le seul moyen de vous faire redevenir les hommes, c’est de vous forcer à retrouver le sentiment qui a fait de vos ancêtres les maîtres de ce pays : la Haine, mère de la colère et de la force ! Et maintenant faites de moi ce que vous voudrez ! J’ai semé ! Une moisson abondante lèvera un jour ! »
Le chœur
Grande est l’Artémis d'Éphèse.
Le coryphée
Mais nous n’avons pas cédé à la colère. Nous ne sommes pas entrés dans son jeu. Fidèles à nos traditions et à nos lois, sereinement nous avons débattu, sereinement nous avons médité et sereinement nous avons rendu notre sentence. Le criminel a été jeté au feu et pour rendre inutile son forfait, nous avons effacé son nom et son acte de la mémoire des hommes. Sous peine de mort, il fut interdit à quiconque d’en parler. Ainsi avons nous jugé et bien jugé. Aujourd’hui, oh Artémis, devant ton temple rebâti plus solide et plus beau qu’avant, nous voici, nous, ton peuple pour célébrer ta puissance et te remercier de nous avoir inspiré tant de sagesse.
Le chœur
Grande est l’Artémis d'Éphèse…
Ici le manuscrit présente une lacune, puis reprend avec ce court dialogue, lui aussi, incomplet
Le marin athénien
C’est comme je te le dis
Le marin tyrien
Tu en es sûr ?
Le marin athénien
Par Zeus, pourquoi mentirai-je. Celui qui mit le feu au temple d’Artémis se nomme Erostrate. Le conseil de la cité a déclaré qu'inspiré par la divine Artémis il était désormais interdit de prononcer son nom et de parler de son crime, mais je le sais par une esclave. Son maître n’a pas pu se retenir d’en dire à un mot à sa femme et elle a tout entendu
Le marin tyrien
Et pourquoi cette défense
Le marin athénien
Pour que lui-même et son forfait soient plongés dans l’oubli. Ils croient qu’ainsi, personne, jamais, n’aura l’idée de l’imiter
Le marin tyrien
Et ils prétendent que c'est Artémis elle-même qui leur a soufflé cette idée
Le marin athénien
Oui !
Le marin tyrien
Les Dieux rendent fous ceux qu'ils veulent perdre !
Chambolle