A Madrid, les «indignados» sont de retour

Publié le 28 juillet 2011 par Uscan


Article à lire, par Marc Semo (Libération du 25 juillet).

Ils marchent à travers le pays, campent et occupent les places, se réunissent en sommet, manifestent, tiennent des assemblées… Un peu plus de deux mois après l’étincelle qui a mis le feu aux poudres, l’autodénommée Spanish Revolution est toujours en marche. Les pavés de la Puerta del Sol brûlent à nouveau de mille et une revendications : les indignados sont de retour. Ils n’étaient jamais vraiment partis, vous diront-ils. Leur point d’information, une simple bâche recouvrant un comptoir bricolé de bouts de bois au milieu du grand carrefour madrilène, est resté en service depuis le 13 juin, jour où ils avaient levé le camp après un mois d’occupation héroïque. Mais faire venir des indignés des quatre coins du pays, comme ils l’ont fait ce week-end, pour remplir à nouveau chaque centimètre carré de leur Puerta del Sol est un tour de force admirable en plein cœur de l’été.

Euphorie. Hier soir, lors d’une manifestation qui a relié la gare d’Atocha à la place emblématique, ces indignés ont uni leurs voix pour scander le désormais traditionnel «ils ne nous représentent pas !» en allusion aux gouvernants et à la classe politique. La veille, les six cortèges venus de régions différentes avaient fait une entrée triomphale à la tombée de la nuit sur la Puerta del Sol.

Des contingents, formés chacun d’une centaine de personnes - étudiants, chômeurs et retraités -, étaient partis il y a un mois de Barcelone, Valence, Malaga, Saint-Jacques-de-Compostelle, Bilbao et d’Estrémadure. Les colonnes, grossissant en cours de route, ont convergé vers Madrid, où des milliers de personnes les ont accompagnés et encouragés sur les derniers kilomètres. «C’était vraiment beau de traverser tous ces villages, d’écouter les populations nous parler de leurs problèmes, et à notre tour de promouvoir le mouvement en leur transmettant l’idée qu’ils peuvent changer les choses», raconte Guillermo, un étudiant de Lleida (Catalogne), qui porte sur son visage bronzé et barbu la fatigue et la joie de vingt-sept jours de marche à travers la campagne. Transportés par une euphorie croissante au fur et à mesure qu’approchait le mythique carrefour de Sol, les marcheurs ont offert aux caméras des scènes de liesse mémorables sur la place, dans une profusion de danses, de chants et d’embrassades. Le haut-parleur annonçait l’arrivée de chaque caravane sous les applaudissements des Madrilènes, alors qu’Agora Sol, la radio des indignés, retransmettait l’événement.

Explosion. Depuis la veille, l’organisation méthodique de cette rébellion sérieuse avait repris ses quartiers sur la place : les tentes des différentes commissions de travail étaient réapparues, et les collectes de nourriture avaient repris auprès de la population. En fin de soirée, tous ces indignés ont tenu une improbable et démesurée assemblée pour partager les expériences récoltées en cours de route. A un moment donné, le micro est tombé aux mains d’un policier, qui a lancé ce message : «Dans la police, nous sommes aussi indignés, nous vous soutenons !»

Les délégations régionales ont campé sans vraiment dormir dans les allées ombragées en face du musée du Prado, puis se sont retrouvées au parc du Retiro hier matin, pour une nouvelle assemblée, cette fois-ci sur les stratégies à mettre en place pour assurer la vigueur du mouvement. Divisé en sept groupes travaillant sur des aspects différents, les activistes, assis en ronds sur le gazon, ont décidé d’assurer davantage de coordination pour souder la révolte et préparer des actions concertées aux niveaux national et international.

Dans la section dédiée à l’analyse, on tentait de définir le mouvement et la façon dont la population le percevait, notamment les générations plus âgées, alors que le groupe étudiant les scénarios pour le futur prédisait une explosion de révoltes «un peu partout en Europe». «J’ai l’impression que notre mouvement est mûr», explique Roberto García-Patrón, doctorant en sciences politiques et coordinateur de l’assemblée des stratégies du 15 mai. «Nous avons commencé dans le chaos, puis nous avons organisé ce chaos, et nous avons considérablement mûri, en nous installant dans chaque village et dans chaque quartier.»

Au-delà des campements c’est l’occasion d’échanges et de brainstormings festifs. Les indignés ont reconnu lors de cette réunion l’importance de poursuivre dans la voie de l’ancrage local et de la multiplication des assemblées populaires dans les villes et villages, qui constituent la base du mouvement et lui donne sa substance. L’objectif reste plutôt la démocratie participative que la création d’un nouveau parti. «Nous sommes un pouvoir instituant, pas institué», résume Roberto.

Ce lundi, les indignés espagnols tiennent leur premier forum social à Madrid, avant de rentrer dans leurs villes et leurs régions. Après la parenthèse de repos qu’ils s’imposent en août, ils prépareront la journée mondiale d’indignation et de mobilisation contre la crise du 15 octobre.