Adam Smith, considéré comme le père de l’école libérale, a, dans son ouvrage Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations, écrit ceci : « Tout en ne cherchant que son intérêt personnel, [chaque individu] travaille souvent d'une manière bien plus efficace pour l'intérêt de la société, que s'il avait réellement pour but d'y travailler ». Il est comme guidé « par une main invisible ». C’est donc l’axiome qui prévaut par nos temps de libéralisme effréné : laissons faire le marché, et tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Mais très vite cette théorie a rencontré un problème : comment donc un investisseur peut-il choisir, entre plusieurs offres, celle qui lui apporte le maximum de sécurité ? Bien sûr, on ne peut s’en remettre à quelque organisme officiel, ce serait une transgression du dogme de la très sainte église libérale. Donc se sont constituées des entreprises indépendantes qui, employant des experts financiers et des spécialistes de diverses industries, attribuent des notes aux entreprises ou nations à la recherche de capitaux. Les revenus de ces agences de notation sont constitués par les sommes versées par les emprunteurs qui demandent à être évalués. Les notes ainsi attribuées ne peuvent être que justes car, si tel n’était pas le cas, les faits viendraient démentir les notes erronées ou de complaisance. Les agences responsables perdraient alors d’abord leur crédibilité, puis leur clientèle et enfin leur existence.
Un autre point singulier d’un système ainsi régulé de lui-même est que ces agences dégagent par avance leur responsabilité car elles ne fournissent pas des directives mais formulent simplement des opinions. Lorsqu’elles ne se sont pas aventurées à regarder de plus près les comptes d’Enron ou les produits structurés à l’origine de la crise des subprimes, ne serait-ce pas parce qu’elles se préoccupaient surtout de ne pas perdre des clients en leur refusant des notes satisfaisantes ?
L’autre caractéristique perverse de ce système de notation est que, bien plus qu’émettant des opinions, il formule ce que les anglo-saxons appellent des « self-fulfilling prophecies », des prophéties auto-réalisatrices : ainsi par exemple, à partir du moment où la note de la Grèce est abaissée, les emprunts de ce pays lui coûtent plus cher. Il dispose ainsi de moins de ressources pour revenir à la croissance, ce qui entraîne une nouvelle dégradation de sa note et il se trouve pris dans un cercle vicieux.
N’en déplaise à M. Smith et ses adeptes, le marché et les hommes ne sont pas naturellement vertueux et l’on ne peut laisser des entreprises commerciales régler sans contrôle ni sanction les transactions financières. Un minimum de surveillance par des institutions publiques est nécessaire.