Côte d’Ivoire: vous avez dit démocratie?

Publié le 28 juillet 2011 par Copeau @Contrepoints

Alors que les combats au nom de la démocratie ont fait trembler la Côte d’Ivoire ces derniers mois ; alors que cette même démocratie a réuni un parterre impressionnant d’hommes d’État à Yamoussoukro autour de multiples personnalités venues du monde entier pour célébrer, le 21 mai dernier, l’investiture d’Alassane Ouattara ; alors que le Président ivoirien est reçu dans divers sommets internationaux et à la Maison Blanche en tant que démocrate modèle, que disent les faits en Côte d’Ivoire ? Où en sont la démocratie et l’État de droit tant annoncés et attendus ?

Par Gisèle Dutheuil (*), publié en collaboration avec Audace Institut Afrique

Le Président Ouattara, lors de sa prestation de serment, a juré solennellement de respecter et de défendre fidèlement la Constitution ivoirienne. Le bilan de ses premiers mois d’exercice du pouvoir conduit cependant à s’interroger car les irrégularités juridiques et les manifestations d’un glissement vers l’autocratie ne manquent pas d’éveiller l’attention et l’inquiétude.

Le président ivoirien Alassane Ouattara, en compagnie de généraux de l'armée

En effet, la constitution ne l’autorise nullement à décréter la fin du mandat du Parlement. Cette dissolution de fait de l’Assemblée nationale est même totalement illégale, d’autant que la Constitution ivoirienne instaure une séparation rigide des pouvoirs au sens où l’Exécutif ne peut dissoudre le Législatif et inversement. Toutes les tentatives de justifications de cet acte grave, toutes tergiversations juridiques sont nulles et non avenues. Il s’agit bel et bien d’un viol de la Constitution. Cet événement préoccupant qui marquait les prémisses de la nature autocratique du pouvoir ne semble pourtant pas avoir ému outre mesure les Ivoiriens ni le reste du monde. Sans Assemblée nationale, le pays est gouverné par des ordonnances totalement illégales et des décrets. Même le budget n’a pas été soumis aux représentants du peuple.

Les dernières nominations au Conseil constitutionnel vont également dans cette logique du non respect des textes fondamentaux car ni la durée des mandats, ni le quota de nominations qui revient au Président de l’Assemblée nationale n’ont été respectés. Le nouveau Président de l’institution a été nommé pour 3 ans alors que les textes prévoient un mandat de 6 ans. La situation est d’autant plus loufoque que le mandat de l’ancien président ayant pourtant investi Alassane Ouattara n’avait pas encore expiré.

D’autres faits méritent d’être soulignés car hautement inquiétants :

– Le gouvernement se permet de procéder à des nominations à des postes administratifs. À l’époque de l’ancien Président Gbagbo, on s’insurgeait, à juste titre, contre le favoritisme dans les concours administratifs, aujourd’hui nous en sommes à des nominations discrétionnaires.

– Le chef de l’ancienne rébellion a été nommé chef d’état major des armées ce qui, indépendamment de toutes hypothétiques compétences, est moralement indéfendable. Cette récompense semble ostensiblement signer les accointances entre la rébellion et Alassane Ouattara.

– Le protectionnisme économique s’enracine à travers des marchés de gré à gré protégés et réservés prioritairement à des entreprises françaises. Ce favoritisme constitue un brigandage économique grave qui exclut les Ivoiriens et les autres nations de la compétition. En période de reconstruction chacun devrait avoir une chance de conquérir une part du marché et le jeu de la concurrence permettrait de stimuler la qualité, la baisse des prix et l’esprit d’entreprise.

– Le financement public repose essentiellement sur l’aide publique internationale ce qui brise la relation entre les dirigeants et les populations, sachant qu’ils sont plus soumis au diktat des prêteurs qu’à la volonté des Ivoiriens. De plus, cette augmentation massive du volume de la dette fragilise grandement les générations futures et l’indépendance de la Côte d’ivoire.

– Le gel des avoirs des opposants qui se fait de manière totalement anachronique signe la volonté de liquidation de toute opposition.

– La répression dans le milieu des médias se fait ouvertement. Le siège d’un journal pro-Gbagbo est toujours occupé par des hommes en armes. De nombreux journalistes figurent sur la liste des personnalités sanctionnées ou emprisonnées pour des raisons juridiques demeurant floues. On ne peut asseoir la justice sur l’émotion. La liberté de la presse est un principe intangible. Il ne peut y avoir de décisions arbitraires à l’encontre des journalistes. Si leurs écrits sont contestables ou dangereux, il convient de s’appuyer sur des faits précis pour les traduire en justice. Le mélange de genre est inquiétant car il signe cette volonté de gouverner sans limite et sans contestation.

Est-ce pour ce modèle de société que tant d’Ivoiriens sont tombés ces derniers mois ? Tout cela pour ça ? Au-delà, le silence de la communauté internationale et singulièrement de la France et des États-Unis d’Amérique semble signer une vérité que tout le monde tait car elle n’est pas politiquement correcte à savoir que les grandes puissances ont intérêt à installer des dictatures tropicales. En effet, elles leur assurent des monopoles protégés dans les secteurs stratégiques de l’économie ainsi que la domination nécessaire à la perpétuation de leur impérialisme, synonyme de recul de l’envahisseur chinois. Quel investisseur étranger voudrait tenter sa chance dans un pays où l’État de droit est inexistant si ce n’est en ayant la certitude d’un marché protégé ? C’est ainsi la porte ouverte à une économie de réseau et à la corruption.

À ceux qui crient que le libéralisme est injuste car il favoriserait la domination des plus forts sur les plus faibles, la situation ivoirienne apporte concrètement un argument bien opposé car d’évidence, les monopoles ne peuvent exister que dans un environnement politique autoritaire dans lequel l’État a un pouvoir arbitraire. Cela est bien lointain du libéralisme qui favorise lui un secteur concurrentiel profitable au plus grand nombre et un État minimum qui limite son action à ses prérogatives premières : la justice et l’environnement sécuritaire pour tous.

La Côte d’Ivoire s’éloigne de l’État de droit et, osons dire, l’État de droit y est totalement inexistant actuellement. Le mot démocratie est totalement vidé de son essence sachant qu’une démocratie qui se limite à un simple bulletin dans l’urne ne représente rien et peut même devenir tyrannique si elle n’est enrichie de libertés et de contre-pouvoirs protégeant les populations des abus. Il est donc important de rester vigilant et de ne pas noyer pudiquement l’inacceptable dans une sorte de fatalisme compréhensif. « Nous n’y pouvons rien », «Ça va aller ! » Certes ça va aller mais plutôt vers la dictature si le fatalisme anéantit toute volonté de combat pour la liberté. Cette liberté qui, partout ailleurs, permet à la pauvreté de reculer serait-elle interdite aux Ivoiriens ? Libertés individuelles, liberté d’entreprendre, droit de propriété, économie de marché, sont le véritable socle du progrès.

L’histoire nous enseigne que l’autoritarisme conduit toujours à la violence. La Côte d’Ivoire a suffisamment souffert depuis la mort de Félix Houphouët Boigny. Il est temps que les populations prennent conscience qu’un avenir meilleur est possible sur la voie de la liberté et que cet avenir ne pourra être arraché que dans l’effort acharné et déterminé d’une société civile qui se doit de devenir forte au nom des principes même de l’humanité et en la mémoire de tous ceux qui sont tombés au nom de la démocratie dans le pays.

La politique de l’autruche, le fatalisme, la complicité silencieuse, la complaisance malsaine, doivent faire place à une société civile forte qui dénonce les dérives de leurs dirigeants. Peu importe d’ailleurs la couleur politique, la roue tourne inexorablement et ceux qui profitent du pouvoir absolu aujourd’hui seront un jour dans le groupe des opposants. Cependant, si les fondements de la démocratie sont ébranlés et réduits à néant, ils le seront durablement et eux-mêmes en subiront les affres lorsqu’ils ne seront plus dans le clan des protégés. Dire non, mettre en garde, dénoncer, c’est également aider le pouvoir à canaliser sa puissance. C’est aussi l’aider à résister aux tentatives hégémoniques de forces extérieures. Une société civile forte et active est un argument à disposition de l’État pour ne pas se laisser mener n’importe où par des puissances étrangères et singulièrement l’ancien colonisateur d’autant que celui-ci est intervenu activement dans la crise ivoirienne ce qui lui laisse penser que tout est désormais permis pour lui dans le pays.

Selon la Constitution de Côte d’Ivoire, le véritable souverain est l’individu. Le souverain est donc l’Ivoirien et à ce titre le gouvernement a des comptes à lui rendre. L’homme doit prendre conscience de sa place réelle au sein de son propre pays. La société civile doit agir en conséquence de manière responsable et se doit de dénoncer par la plume et la voix tant qu’il est encore temps. Lorsque les armes gronderont, il sera déjà trop tard. À cette heure, il ne restera face au peuple que de fades miroirs dont les reflets crieront : « Et si ! » Et si les abus étaient dénoncés aujourd’hui pour éviter le chaos de demain ?

—-
(*) Gisèle Dutheuil est directrice d’Audace Institut Afrique. Diplômée en droit et en communication, militante pour l’abolition de la pauvreté dans le monde, elle défend ardemment la thèse selon laquelle l’Afrique a le potentiel de se développer par elle-même et que les intellectuels africains ont un rôle central à jouer dans ce processus.

Article publié en collaboration avec Audace Institut Afrique.