(Kyoto, 27 juillet) Je rentre épuisé d'avoir gravi, la nuit dernière, le mont Fuji. Arrivé à la gare de Kyoto, on m'indique un restau, 11è étage. Je dîne de tempura.
La gare de Kyoto est en U. Les voies sont dans une grande barre de l'U. Au centre, dans le creux, partant du hall cathédrale et s'élevant vers le ciel entre les deux barres de l'U, un escalier digne d'accueillir un sacrifice maya. Bordé d'escalators pour la sciatique du Grand prêtre. Mon restau est en haut, au 11è.
Quand j'en sors il fait nuit noire. Je marché vers le "sky garden" qui tient lieu d'autel, tout au sommet. Vaste terrasse bordée de baies vitrées, vue sur Kyoto. Au centre, le fameux jardin dans une étrange pénombre (où trouve-t-on de la pénombre au Japon? On n'en trouve pas). Et partout de petits couples kyotoites.
Des couples près des baies qui béent sur la ville nocturne, sur les bancs du petit jardin carré, sur les degrés de l'escalier sacrificiel. L'escalier, en cocon utérin, prend ses racines dans l'insondable profondeur de Kyoto station; puis il s'élève étroit, coupé des cris de la ville, entre deux murs de vitres sombres qui se réfléchissent; il monte longtemps; enfin il débouche sur ce petit jardin. Du jardin japonais, seul reste le dépouillement; il est géométrique, de pierres et d'arbres; il se fait discret. Il rend discrets ceux qui y sont. Lieu de non-perception.
Ce qui ne se voit ni ne s'entend n'existe pas au monde extérieur: les couples s'étreignent, chuchotent, glissent plus légers que des ombres.
En toile de fond, réfléchie de tous côtés par les parois de verre, la tour de Kyoto, un grand champignon à tige blanche et à petite ombrelle rouge, qui l'air de rien rappelle aux jeunes japonais l'urgence d'élargir la pyramide des âges.