La conversion de la dette en euros : mensonge ou explosion ?

Publié le 28 juillet 2011 par Edgar @edgarpoe

Le débat public porte de plus en plus souvent sur le coût d'une sortie de l'euro.

Un argument terroriste est systématiquement employé : sortir de l'euro, pour un pays, serait encourir une explosion de sa dette.

Cet argument est fallacieux.

Dans les premières minutes de l'émission Mots croisés, on voit ainsi Jean-Louis Bourlanges se livrer à un petit numéro de montreur d'ours : si la Grèce sortait de l'euro, la drachme nouvelle serait dévaluée de 50%. Donc la dette grecque serait multipliée par deux car elle resterait libellée en euros.

J'ai même entendu un économiste réputé parler d'explosion de la dette, de multiplication par dix ou cent du stock de dette existant...

Ce point est pourtant faux en grande partie, pour plusieurs raisons.

1. Pour que la sortie de l'euro s'assortisse d'une dévaluation massive, de la nouvelle devise, il faudrait d'abord que la sortie de l'euro soit considérée comme le présage d'un déclin économique.

Les drogués à l'idéologie européenne sont en effet convaincus que l'euro est un parapluie magique.

La réalité, et c'est ce que les marchés ont bien vu, est que l'euro conduit à un effondrement de la balnace commerciale pour tous les pays qui ont plus d'inflation que l'Allemagne - pays à la démographie déclinante, maladivement allergique à l'inflation. Le graphique ci-dessous retrace par exemple l'évolution du taux de couverture des importations par les exportations françaises - plus il est élevé et plus un pays accumule des devises et évite de s'endetter.

Le taux remonte dans la période 1990-1997, où les changes en Europe sont instables, il s'effondre régulièrement depuis 1997 et l'adoption de parités fixes.

A moyen terme, passées les émotions des eurôlatres, la croissance des pays sortant de l'euro repartirait. Les pays qui auraient des problèmes graves sont fort probablement ceux qui conserveraient l'euro.

Le premier point du raisonnement n'est donc pas établi : encore plus pour un pays comme la France, il n'est pas dutout garanti que la sortie de l'euro correspondrait à une dévaluation forte du nouveau franc.

2. La dette antérieure resterait libellée en euros, donc exploserait à hauteur de la dévaluation de la nouvelle monnaie : c'est faux.

Un document intéressant, signé du directeur de la recherche économique de l'université catholique de Lille, Eric Dor, fait le point sur les conséquences - et les difficultés - de la sortie de l'euro.

Sur la conversion de la dette antérieure, il écrit ceci : "Il ne s’imposerait donc pas mécaniquement que toutes les dettes émises en euros préalablement au retrait soient converties dans la nouvelle monnaie nationale."

Cela signifie exactement l'inverse du catastrophisme de la propagande européiste : il est tout à fait possible, lors de l'abandon de l'euro, que la dette antérieure soit convertie dans la nouvelle devise, même si ce n'est pas "mécanique".

Pour Dor, au minimum, la dette détenue par des nationaux du pays quittant l'euro serait incontestablement convertie dans la nouvelle devise. Dans le cas de la France, ce sont déjà 30% du stock de dette qui seraient ainsi convertis en franc, sans "explosion" possible.

Plus précisément, il liste de façon détaillée tout ce qui serait incontestablement et automatiquement libellé en drachmes ou en francs :

"Une obligation souveraine qui avait été émise en euros par le pays qui se retire de l’UEM, à destination des investisseurs domestiques, sans cotation sur des marchés étrangers et payable dans le pays domestique;

- Un prêt en euros qui avait été accordé par une banque d’un autre pays de la zone euro ou hors de la zone euro, à un débiteur du pays qui se retire de l’UEM, et qui stipulait que les remboursements et paiements d’intérêt étaient à verser sur un compte d’une filiale du prêteur dans le pays du débiteur;

- Un prêt en euros qui avait été accordé par une banque du pays qui se retire de l’UEM, à un débiteur de ce pays;

- Une obligation privée ou publique, émise en euros, et qui avait été cotée d’emblée sur la bourse du pays qui se retire de l’UEM;

- Une dette issue d’un contrat qui avait été libellé en euros et est régi par le droit du pays qui se retire de l’UEM, ou qui stipulait que les paiements étaient à effectuer dans ce pays."

Il faudrait un long travail pour évaluer le poids de ces différentes dettes, automatiquement converties, mais les montants concernés échapperaient eux-aussi à tout risque d'explosion.

La conclusion de la note d'Eric Dor, selon moi, est que la sortie de l'euro pose des problèmes techniques importants mais parfaitement maîtrisables - et qui valent surtout la peine d'être surmointés car la survie de l'économie du pays est en jeu. Même avec une interprétation juridique très favorable aux prêteurs, une bone part de la dette existante serait convertie dans la nouvelle devise et resterait donc stable.

3. L'interprétation très favorable aux prêteurs de Eric Dor n'est pas défendable. C'est l'existence même de spreads entre les différents pays européens qui justifierait en réalité la conversion de la totalité de la dette en drachmes, francs, lires etc.

Aujourd'hui, les investisseurs qui achètent de la dette allemande, française ou grecque exigent un rendement différent, en fonction de l'appréciation qu'ils portent sur le risque de défaut de chacun de ces pays. C'est bien parce que la situation grecque se dégrade - du fait de l'euro -, que les marchés exigent un taux d'intérêt plus élevé.

Il serait assez extravagant que ces mêmes investisseurs aillent ensuite exiger que la dette française ou grecque, pour l'achat de laquelle ils ont perçu un supplément de rémunération, précisément en raison d'un risque accru, reste ensuite libellée dans la monnaie qui apparaîtra de plus en plus comme une monnaie allemande. On ne peut avoir le beurre et l'argent du beurre et exiger en plus que le beurre ne fonde jamais...

Par ailleurs, plus la durée des titres de dette est longue et plus la nécessité, pour les investisseurs, de se protéger contre une dévaluation de la devise nouvelle sera limitée : l'effet bénéfique de la dévaluation initiale, modérée, entraînera une reprise de la croissance et un redressement des comptes publics après quelques mois, et donc une remontée des devises nouvelles.

Les investisseurs qui perdront le plus seront donc ceux dont l'échéance des prêts sera très proche du moment de la conversion : ce sont précisément ceux qui ont bénéficié des taux d'intérêt les plus élevés... Si ce sont des prêts à très long terme qui expirent juste après la date de conversion, la plupart du capital et des intérêts auront déjà été payés et la perte des investisseurs sera minime.

Récapitulons : les investisseurs récents sur la dette "sortante"  sont ceux qui perdront le plus. Ce sont ceux qui gagnent beaucoup car les spreads de taux entre pays européens sont très élevés. Il leur a déjà été beaucoup donné et la perte qu'entraînera une dévaluation modérée sera leur contribution à la résolution de la crise (le fameux haircut, l'abandon de créances partieldont chacun s'accorde à dire qu'il est nécessaire pour que la croissance reparte).

*

Conclusion générale : comme bien souvent, les souverainistes européens qui poussent des cris d'orfraie et prédisent la catastrophe lors de la nécessaire sortie de l'euro, sont des pompiers incendiaires.

En réalité, au moment de la sortie de l'euro :

1. les dévaluations seront inférieures à ce que ces braves gens laissent entendre. Les marchés sont moins dogmatiques que ceux qui affirment, contre toute évidence, que l'euro est un atout.

2. la dette existante sera convertie dans la nouvelle devise, au strict minimum pour la partie détenue par des investisseurs domestiques.

3. il serait même parfaitement justifiable, et en pratique on voit mal ce qui l'empêcherait, que la totalité de la dette existante soit convertie dans les devises nouvelles. Les pertes légères des investisseurs, surtout de court terme, représenteraient leur contribution à la sortie de la crise.

Bien expliquée et exécutée, une stratégie de sortie de l'euro peut donc parfaitement permettre de conserver la confiance des marchés financiers et d'assurer ainsi une stabilité des financements des états ainsi libérés du carcan de la monnaie unique. Par ailleurs et surtout, la reprise serait ainsi rendue possible.

Ceux qui expliquent le contraire le font par intérêt politique, idéologique ou par aveuglement.